Alcool : peu de mesures efficaces

Publié par jfl-seronet le 31.03.2019
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Des critiques avaient déjà fusé lors de la présentation du plan national de mobilisation de lutte contre les addictions 2018-2022 de la Mildeca (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) contre le peu de prise en compte de la réduction des risques concernant la consommation d’alcool. La sortie de nouvelles données relatives à l’alcool dans le dernier Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH n°5-6, 19 février 2019) vient d’en susciter une nouvelle.

De fait, les chiffres présentés montrent bien le poids de ce « fardeau sanitaire » lié à la consommation d'alcool en France et la faible réponse des autorités de santé et du gouvernement dans ce domaine. Le « fardeau sanitaire » reste « considérable » environ 41 000 décès par an, a rappelé Santé publique France (dont les services réalisent et éditent le BEH). L'alcool est responsable de 7 % des décès de personnes adultes survenus en 2015, estime l'organisme public, un chiffre en légère baisse par rapport aux estimations précédentes, mais qui en fait toujours la deuxième cause de mortalité évitable après le tabac (78 000 décès par an).

C'est une « hécatombe », déplore le psychiatre spécialiste des addictions Amine Benyamina, cité par l’AFP, qui critique sur Twitter « l'insuffisance des mesures » prises par le gouvernement. « Combien de morts faut-il attendre avant la mise en œuvre d'une politique de réduction des risques réellement efficace ? », développe dans un communiqué l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (Anpaa). Une structure qui s’est montrée très critique sur le dernier plan de la Mildeca. L'association préconise notamment un « meilleur encadrement de la publicité » pour l'alcool sur Internet, une « forte taxation » des produits ciblant les jeunes (type « premix ») et une politique de santé « indépendante des producteurs d'alcool et de leurs représentants ».

En cause, le discours du gouvernement très favorable à la consommation de vin comme on a pu le voir avec des déclarations d’Emmanuel Macron, du Premier ministre Édouard Philippe ou encore, tout récemment, du ministre de l'Agriculture Didier Guillaume qui avait estimé que le vin n'était « pas un alcool comme les autres », déclenchant l'indignation des médecins addictologues. Un peu isolée, la ministre de la Santé Agnès Buzyn a appelé à ne « pas banaliser la consommation d'alcool ». Force est de constater que le gouvernement est plus pugnace en matière de tabac qu’en matière d’alcool. En 2009, 49 000 décès étaient dus à l'alcool, soit 9 % du total des décès.

La baisse enregistrée aujourd’hui (on reste tout de même à 41 000 décès par an) s'explique « en grande partie par la diminution de la mortalité pour les causes liées à l'alcool ». On sait mieux soigner les maladies qu'il provoque, donc on évite des décès. C’est plus cela qui explique la baisse que la légère baisse de la consommation, passée de 27 à 26 g d'alcool pur par jour entre 2009 et 2015. C’est ce qu’expliquent les auteurs-es d’un des articles publiés dans le BEH du 19 février. Le bilan est beaucoup plus lourd chez les hommes, pour lesquels l'alcool est à l'origine de plus d'un décès sur dix (11 %), contre 4 % chez les femmes. Ces proportions sont plus élevées en France que chez plusieurs pays voisins : en Ecosse, l'alcool causerait ainsi 6,8 % des décès chez les hommes et 3,3 % chez les femmes, en Suisse, 5 % et 1,4 % respectivement, et en Italie, 3 % et 2 %, indique Santé publique France.

L’étude, menée par un biostatisticien et une épidémiologiste, indique que le cancer est de loin la première cause de ces décès liés à l'alcool, avec 16 000 morts estimées en 2015, devant les maladies cardiovasculaires (9 900), les maladies digestives (6 800) et les accidents et suicides (5 400). La très grande majorité de ces décès (90 %) « sont liés à des consommations supérieures à 53 g par jour » d'alcool pur, soit plus de cinq unités d'alcool. Ces chiffres plaident pour inciter la population à réduire sa consommation moyenne, qui était de 2,6 verres par adulte et par jour en 2015, concluent les auteurs. Selon l'Anpaa (l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie), il faudrait que Santé publique France lance « des campagnes de prévention nationales claires et vigoureuses » pour mieux faire connaître ses nouveaux « repères de consommation » publiés en janvier (« pas plus de dix verres par semaine », « pas plus de deux verres par jour » et « des jours sans alcool »).  Ces éléments sont rappelés dans la dernière stratégie sur l’alimentation… mais sans doute trop timidement.

Cet objectif (de baisse) est d’autant plus important que la consommation moyenne des Français-es ne baisse plus ces dernières années, montre une autre étude du BEH : elle était, en 2017, de 11,7 litres d'alcool pur par habitant de plus de 15 ans, le même niveau qu'en 2013. Cette moyenne présente de grandes disparités : 10 % des 18-75 ans boivent à eux seuls 58 % de l'alcool consommé en France. Cela doit inciter à cibler les politiques de santé sur les personnes « gros buveurs », juge Michel Reynaud, président du Fonds Actions Addictions, car les dommages « croissent de façon exponentielle selon les quantités ». Enfin, il est rappelé que « même à la dose relativement modérée de moins de 18 g d'alcool pur consommé par jour (moins de deux verres standards) (...) le risque global est augmenté », rappelle Santé publique France. « Les minimes et très sélectifs effets protecteurs de l'alcool sont réduits à néant par ses effets délétères », insiste d’ailleurs, dans un éditorial du BEH, François Bourdillon, directeur général de Santé publique France.