Améliorer l'existant et trouver le manquant : la quête de Seattle

Publié par Mathieu Brancourt et Bruno Spire le 15.02.2017
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ConférencesCroi 2017

La deuxième journée de la Croi s’est consacrée, dès le matin, aux différents chantiers de la recherche sur le VIH. La guérison reste LE Graal des scientifiques, qui cherchent à déterminer les meilleures stratégies pour éliminer le virus après une contamination. Les tentatives sont nombreuses et les résultats prometteurs, mais on reste encore loin d'une solution globale. Dans le même temps, d'autres chercheurs continuent leurs travaux sur l'amélioration des thérapies utilisées pour les personnes séropositives, que ce soit en termes d'efficacité ou de tolérance. Nouvelles molécules ou efficacité de longue durée malgré un arrêt du traitement, les combinaisons deviennent subtiles pour rendre meilleurs les médicaments utilisés.

Trouver the cure, toujours

C'est une chercheuse thaïlandaise, Jintanat Ananworanich qui a ouvert la plénière à propos des recherches menées par la section de recherche sur le VIH de l'armée américaine, notamment en Asie du sud-est. Son exposé est revenu sur un cas unique : celui du patient de Berlin, le seul homme ayant guéri du VIH. Timothy Ray-Brown a fêté ses dix ans sans VIH il y a peu, mais sa situation reste bien trop spécifique pour être une victoire pour l'ensemble des personnes vivant avec le VIH. Par la suite, la chercheuse a expliqué que pour d'autres personnes, un palier intermédiaire a été atteint. Certaines personnes traitées en primo-infection ont pu interrompre le traitement malgré la présence du virus qui a pu être contrôlé par le système immunitaire : c’est la rémission. Nous sommes aujourd’hui attelés à la construction d’une rémission dite fonctionnelle avec l’indétectabilité de la charge virale dans le sang,  après arrêt des antirétroviraux. Chez le nourrisson, on peut traiter très tôt car la primo-infection se déroule le plus souvent lors de l’accouchement. Le système immunitaire du bébé n'est pas encore terminé et on peut alors influencer son développement et mieux le préparer contre le VIH. On a montré que plus le traitement anti-VIH était commencé tôt, plus le temps avant une reprise virale après l’arrêt du traitement est long. La mise sous traitement immédiate permet de limiter les réservoirs et la diversité virale et préserve ainsi l’immunité. L’objectif est de réduire la réplication des virus "compétents", responsables de la remontée de la charge virale.

La mise sous traitement immédiate a montré son impact dans la réduction de la taille des réservoirs. Chez les nourrissons, une initiation du traitement à six semaines après la naissance amenant la suppression de la charge virale avant l'âge d'un an, permet d’obtenir des réservoirs plus petits.

Pour diminuer les réservoirs, il faut donc diminuer le nombre de cellules ayant un virus intégré compétent pour se répliquer. Mais ce n’est pas encore suffisant pour écraser à long terme le virus, même si on traite avant l’apparition de la séroconversion. Il faudra certainement combiner des stratégies pour "secouer" et "tuer" le virus et ses réservoirs. La chercheuse évoque des agents anti-latence qui vont réveiller le virus latent ("dormant") et ensuite tuer la cellule infectée. Jusqu’à présent, cela ne marche pas, car un seul agent a été testé. On pourrait combiner un agent anti-latence avec d'autres méthodes immunologiques, comme un vaccin thérapeutique ou des anticorps neutralisants. Elle conclut sa présentation en rappelant que ce champ de la recherche n'est pas accessoire et qu'il faut accélérer la recherche clinique, sans négliger la parole et le ressenti des participant-e-s de ces études pilotes et travailler de manière conjointe avec les sciences sociales. "D’énormes progrès ont été faits sur les traitements et la prévention, mais des millions de personnes doivent se cacher et craignent la discrimination si elles sont vues prenant des comprimés. Il faut trouver un chemin pour ne pas seulement contrôler le virus, mais l'éradiquer".

Le professeur Carl June, de l'université de Pennsylvanie, a présenté une autre voie pour arriver au Cure : la thérapie génique. C'est grâce à elle que le patient de Berlin, greffé d'une moelle osseuse contenant des cellules présentant une mutation génétique rare (sur le corécepteur CCR5) a empêché la réplication du virus et lui a permis de guérir. La thérapie génique est utilisée avec succès dans certains cancers. Chez les patients atteints de cancer, on modifie certains gènes en utilisant des morceaux du VIH comme cheval de Troie, afin de modifier et tuer les cellules malades chez des personnes atteintes de leucémie. De telles approches sont à l'étude pour modifier génétiquement les fameuses cellules latentes, afin de les activer et ainsi pouvoir les atteindre. Mais ici encore, pas de résultats concluants pour l’instant. On tente en ce moment de modifier le fameux corécepteur CCR5, comme pour le patient de Berlin. Si cela marche, il faudra déterminer le modèle de production qui soit le moins cher possible et donc transposable au plus grand nombre de personnes.

D'ici là, de meilleurs traitements

Une autre session a compilé les meilleurs travaux sur des molécules prometteuses dans le traitement des personnes séropositives. En voici une sélection :

Les nanoparticules

Voici une nouvelle façon d'administrer un médicament anti-VIH. Une nouvelle formulation, à base de nanoparticules, lopinavir ou éfavirenz permettrait une réduction des doses de moitié et donc des bénéfices sur la toxicité du traitement, mais aussi pour les formulations pédiatriques, qui nécessitent une attention particulière. Pour l'instant, peu d'effets indésirables et une bonne tolérance de la formulation. Le choix de cette combinaison sur l'un des traitements les plus utilisés en première ligne date de 2009 ;  depuis, l'éfavirenz n'est plus le médicament le plus recommandé. Mais des études sont en cours sur d'autres molécules. D'autres études pharmacologiques montrent une équivalence entre les médicaments classiques et ceux à base de nanoparticules.

Un nouvel inhibiteur antirétroviral

Il s’agit d’une molécule d’une nouvelle classe de médicaments : les inhibiteurs de capside. La capside virale, qui contient l’ARN du virus, se "désassemble" lors de la pénétration du virus dans la cellule et s’assemble lors de la sortie. GS-CA1 devient le premier inhibiteur de la capside, conduisant à un assemblage aberrant de cette capside et une perte d'infectiosité. Il joue à la fois sur l’assemblage et le désassemblage du virus. Dans les tubes à essai, le pouvoir inhibiteur est encore plus grand que ceux des antirétroviraux commercialisés jusque là. Il n’y a pas de toxicité constatée sur les cellules non infectées en culture, un signe de bonne tolérance. L'efficacité reste la même sur les différentes souches de VIH. Le composé est administrable en injection sous-cutané et pourrait être actif à raison d’une dose mensuelle, mais il faudra le confirmer dans des essais cliniques chez l'être humain.

Le bictegravir

Un nouvel anti-intégrase du laboratoire Gilead. Il a été évalué en phase II. Le bictegravir n’a montré à ce stade ni toxicité cardiaque, ni reinale. Il est administrable en une prise par jour. Il existe cependant une interaction avec les médicaments anti-acides pour l’estomac (comme l’oméprazole) qui doivent être pris à distance. Il est possible d’adapter le dosage pour faire un comprimé unique avec le bictegravir et le TAF/FTC (Descovy). Un essai randomisé a comparé le bictegravir associé à TAF/FTC avec la combinaison dolutégravir (Tivicay) + TAF/FTC chez des personnes n’ayant jamais pris de traitement anti-VIH. Il y a eu 65 personnes dans le groupe prenant la combinaison bictégravir + Descovy et 33 dans le groupe prenant la combinaison Tivicay + Descovy. A 24 semaines, il y a 97 % de succès virologique pour la combinaison avec bictégravir et  94 % pour celle avec le dolutégravir. A 48 semaines, on reste à 97 % pour le bictégravir contre 91 % pour le dolutégravir, mais la différence n’est pas statistiquement significative. Pas de différences en matière de tolérance, très bonne, concernant les deux molécules.

Monothérapie de  dolutégravir en allègement

Dans certaines cohortes (groupes de patients suivis), des personnes se sont vues prescrire un traitement allégé : une monothérapie par dolutégravir (Tivicay), qui peut conduire parfois à des échecs virologiques avec un rebond de la charge virale. Une étude a étudié les échecs liés à cette stratégie, en particulier les mutations de résistance. Sur 1 082 personnes ayant une combinaison avec dolutégravir, 122 ont eu un allègement en monothérapie, dont onze ont présenté un échec virologique qui n'était pas dû à un problème d’observance ni à l’histoire thérapeutique antérieur des personnes, mais à un défaut de puissance de la monothérapie elle-même. Les mutations de résistance compromettent par la suite l’utilisation des anti-intégrases. Il n’est donc pas conseillé d’utiliser la monothérapie de dolutégravir pour les personnes dont le traitement est efficace.

Allègement par la bithérapie dolutégravir + rilpivirine (Tivicay+ Edurant)

Un essai d’allègement randomisé a été conduit chez des personnes dont la charge virale est contrôlée. Ainsi, 513 personnes ont eu un traitement allégé contre 511 autres dans le groupe témoin, où les personnes ont pris une trithérapie classique. Il y a eu 95 % de succès dans les deux groupes de l'essai. On dispose, grâce à ces données, d’une stratégie d’allègement efficace, bien qu’on ait observé un peu plus d’effets indésirables légers, au début dans la stratégie d’allégement.

Doravirine : un nouvel inhibiteur non nucléosidique

Cette molécule est donnée en une prise par jour. Elle est combinée avec TAF/FTC (Descovy) en un seul comprimé. Cette trithérapie a été testée chez des personnes n’ayant jamais pris de traitement contre des thérapies à base de darunavir boosté (Prezista) en comparateur. A 48 semaines, pas de différence de succès virologiques (84 % contre 82 %). La doravirine est non-inférieure au traitement par darunavir. Il n’y a pas de différences entre les groupes en termes de tolérance observée, mais il y a eu moins d’anomalies lipidiques sanguines (cholestérol) pour le groupe prenant la doravirine. Il y a eu également moins d’arrêts de traitement suite à des effets indésirables dans le groupe prenant la doravirine.