Asile et LGBTI : rien n’est moins sûr !

Publié par Matthias Thibeaud le 28.05.2019
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Droit et sociallgbtiasile

La « liste des pays sûrs ». Le terme, pas plus que son objet ne sont connus du grand public. Et pourtant c’est au titre de cette notion largement utilisée en matière de droit d’asile que sont prises des décisions souvent préjudiciables aux personnes LGBTI+. C’est la raison pour laquelle, à l’initiative de l’Ardhis (1), plusieurs organisations non gouvernementales (2) ont décidé de publier à l’occasion de l’Idablhot 2019 (3) un appel à radier quinze pays de cette liste des pays dits sûrs. Pour les ONG, ce sont des pays où, contrairement à ce que croit l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), on ne peut ni ne doit considérer que la protection des personnes LGBTI+ est effective.

La notion de « pays d’origine sûrs » a, dès sa création en 2005, posé problème. Dans son édition 2018, le rapport VIH Hépatites, la face cachée des discriminations réalisé par AIDES et l’Ardhis avait largement abordé cette question et notamment les évolutions liées à la loi Asile Immigration, dite loi Collomb, adoptée en septembre 2018 et progressivement entrée en vigueur en 2019. On y expliquait notamment d’où venait l’opposition historique à la liste des pays d’origine dits « sûrs ».  La première liste a été adoptée par le conseil d’administration de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) en 2005. Depuis, les personnes demandeuses d’asile issues de ces pays sont placées en « procédure accélérée », qui est plus expéditive et réduit leurs droits. Avant la loi relative à la réforme du droit d’asile de 2015, les personnes demandeuses d’asile issues de ces pays ne recevaient pas d’autorisation provisoire de séjour (APS), ce qui leur interdisait l’accès à la couverture maladie universelle (CMU) et aux aides sociales. De surcroît, elles pouvaient être éloignées du territoire lors de l’examen de leur recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). La loi de 2015 a remédié à ces différences de traitement, mais en a instauré une nouvelle : l’examen du recours devant la CNDA par un juge unique, et non une formation collégiale comme c’est le cas en procédure normale, ce qui réduit le nombre de questions posées et empêche tout débat lors du délibéré.

La loi Asile Immigration a non seulement maintenu cette disposition, mais elle est également revenue en arrière concernant le caractère suspensif du recours devant la CNDA et le risque d’expulsion des demandeurs-ses d’asile durant leur procédure de recours devant la CNDA.

Les associations, notamment les membres de la Coordination française du droit d‘asile (CFDA), sont opposées à cette liste depuis son adoption en 2005. En 2011, elles dénonçaient déjà les préoccupations financières et la volonté de diminution des flux de migration qui régissent l’établissement de cette liste. Cette fameuse liste a même connu des problèmes juridiques puisque le Conseil d’État a annulé les décisions de l’Ofpra relatives à cette liste à quatre reprises, retirant par deux fois l’Albanie et le Kosovo des pays d'origine dits sûrs. En 2017, l’Albanie était encore le premier pays d’origine des demandes d’asile en France.

Régulièrement donc, cette notion de pays d’origine sûrs a été contestée (notamment à l’occasion de la loi Asile Immigration) pour ses effets délétères puisqu’elle permet de renvoyer des personnes LGBTI+ étrangères et demandeuses d’asile dans leur pays d’origine au motif qu’il n’y aurait pas, là-bas, pour elles de risque pour leur sécurité. Autrement dit, même si elles appartiennent à une minorité sexuelle, l’État assurerait leur protection. Et donc rien ne justifierait que l’asile leur soit accordé en France au motif que leur appartenance à une minorité sexuelle n’engendrerait pas de discrimination ni ne constituerait un risque pour leur sécurité. On ignore sur quels critères précis est établie cette liste qui évolue dans le temps, mais reste très décalée par rapport à la situation réelle. Elle semble alimentée, pour partie, par les informations recueillies auprès des postes diplomatiques français. Elle est très largement utilisée alors qu’elle est loin d’être sans défauts ET c’est rien de le dire. Ainsi, peuvent figurer dans cette liste de pays dits sûrs des pays qui ont et appliquent une législation répressive vis-à-vis de l’homosexualité. C’est le cas du Ghana et du Sénégal.

Le rapport VIH Hépatites, la face cachée des discriminations 2018 pointait déjà ces deux cas, mais il expliquait que cette criminalisation à l’œuvre dans des pays prétendument sûrs, pouvait aussi se présenter sous une forme détournée. C’est le cas au Bénin où l’âge du consentement sexuel entre personnes de même sexe est de 21 ans, alors qu’il est de 13 ans pour les relations hétérosexuelles. « Dans ces pays, ces mesures législatives sont effectivement mises en œuvre et des condamnations sont régulièrement prononcées à l’encontre de personnes LGBTI+ », notait le rapport. Mais l’absence de sanctions pénales est-elle suffisante pour évaluer la qualité d’un État démocratique et la sécurité des personnes LGBTI+, interrogeaient les auteurs-es du rapport. À l’évidence pas ! « Il importe également de prendre en compte si l’État prévoit une protection des personnes LGBTI+ en cas de discriminations ou de persécutions », notaient-ils. « Ce n’est pas le cas en Arménie, où des agressions récentes contre des militants-es LGBTI+ rappellent qu’aucune disposition ne condamne les discriminations ou violences contre les personnes LGBTI+ ».

Il est intéressant de regarder la situation de l’Inde, où la dépénalisation de l’homosexualité, adoptée le 6 septembre 2018, n’a pas pour autant mis fin à l’homophobie dans la société, indiquait aussi le rapport.

Comme on le voit, la liste de pays d’origine dits sûrs souffre d’un péché originel, qu’aucun gouvernement n’a voulu corriger. En outre, depuis la loi Asile Immigration de 2018, elle délivre un label « droits humains LGBTI+ » à des pays en se fondant sur une estimation partielle et partiale, aléatoire et, au final, peu fiable du contexte légal et sociétal d’un pays. Perdure ainsi un outil de régulation des migrations aux effets dangereux pour les personnes qui en sont la cible. Il est donc logique qu’à l’occasion de la journée du 17 mai, des organisations non gouvernementales tentent de limiter les dégâts en demandant la radiation de quinze pays de cette liste, à défaut d’obtenir la fin définitive de cette liste. La fin de cette liste, ce n’est pas du tout ce que préconise le programme de la liste Renaissance (LREM) pour les élections européennes. On trouve ainsi cette mesure : « Notre priorité sera de construire une politique européenne de l’Asile et de sauvegarder Schengen (….) en avançant vers la reconnaissance mutuelle des décisions, notamment grâce à une liste commune des pays d’origine sûrs ».

(1) : Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et transsexuelles à l’immigration et au séjour.
(2) : Acat, Acceptess-T, Adheos, AIDES, Ardhis, Afrique Arc-En-Ciel Paris, Centre LGBTI de Normandie, Centre LGBTQI+ de Paris Île de France, Centre LGBTI de Touraine, Elena France, Gisti, Homogène - Centre LGBTI Le Mans, J'En Suis, J'Y Reste - Centre LGBTQIF de Lille Hauts-de-France, La Station - Centre LGBTI d'Alsace, Le Jeko, Ligue des droits de l'homme, Migrations, Minorités Sexuelles et de Genre , Nosig - Centre LGBTQI+ de Nantes, Shams France.
(3) : Journée mondiale de lutte contre l'homophobie, la biphobie et la transphobie.

Aucun pays n’est sûr !
L’Ardhis a demandé au président du Conseil d’administration de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) la radiation de quinze pays de la liste des pays d’origine dits « sûrs » et est soutenue dans cette démarche par plusieurs associations attachées à la défense des droits des personnes LGBTI et du droit d'asile. Elles s’appuient sur une disposition de la loi Asile et immigration 2018 qui ajoute expressément, parmi les critères que l’Ofpra doit prendre en compte, les persécutions fondées sur l'orientation sexuelle ou l'identité de genre. Cette disposition ne peut donc conduire qu'à exclure de cette liste les pays où l’homosexualité ou la transidentité peuvent faire l’objet de sanctions pénales ou de mauvais traitements.
Est demandé le retrait du Sénégal, de Maurice et du Ghana, où l’homosexualité ou la sodomie tombe sous le coup de la loi, de l’Inde, dont la récente dépénalisation de l’homosexualité ne suffit pas à amoindrir les craintes de persécutions, du Bénin, où malgré l'absence de pénalisation, les personnes LGBTI sont victimes d’une forte stigmatisation sociale et doivent vivre cachées, de l’Arménie, où aucune disposition légale ne protège les personnes LGBTI des persécutions et discriminations, de l’Albanie, de la Bosnie, de la Mongolie, de la Géorgie, du Kosovo, de la Moldavie, de la Macédoine, du Monténégro, de la Serbie, où la protection des personnes LGBTI par les autorités n’est pas effective.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi Asile et immigration 2018, être originaire d’un pays d'origine dit « sûr » a pour conséquence de priver la personne du droit de se maintenir sur le territoire pendant l’examen de son recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Celle-ci peut donc être expulsée avant le terme de l’examen de sa demande d’asile. Les associations constatent que des mesures d’éloignement sont prises contre des personnes qui risquent leur vie dans leur pays d'origine, avant que la Cour n’ait statué sur leur demande d’asile, les privant du droit à un recours effectif.
Nous rappelons notre opposition à l'existence même d'une liste des pays d’origine dits « sûrs » et au traitement accéléré de certaines demandes d'asile. La situation des personnes LGBTI, pour lesquelles les menaces et persécutions proviennent autant de la famille, du voisinage, de la société dans son ensemble que des autorités et des États, rappelle pourquoi aucun pays ne peut être a priori considéré comme sûr. Toutes les demandes d’asile doivent être examinées à l’aune des craintes personnelles de persécutions de chaque demandeur et demandeuse d’asile.

(1) : La CFDA rassemble les organisations suivantes : Acat (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture), Amnesty International France, Ardhis (Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à l’immigration et au séjour), Centre Primo Levi (soins et soutien aux personnes victimes de la torture et de la violence politique), La Cimade (Service œcuménique d’entraide), Comede (Comité pour la santé des exilés), Dom’Asile, Elena (Réseau d’avocats pour le droit d’asile), Fasti (Fédération des associations de solidarité avec tout-e-s les immigré-e-s), GAS (Groupe accueil solidarité), Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés-ées), JRS-France (Jesuit Refugee Service), LDH (Ligue des droits de l’Homme), Médecins du Monde, MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), Secours Catholique (Caritas France). La Croix-Rouge française et la représentation française du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés sont associées aux travaux de la CFDA.