Bioéthique : retours sur l’avis du Conseil d’État

Publié par Chloé le Gouëz le 07.08.2018
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Politiquebioéthique

Le 11 juillet dernier, le Conseil d’État a rendu publique son étude (une somme de 262 pages) proposant "un cadrage juridique préalable à la révision de la loi de bioéthique". Seronet a tout lu et vous propose pour rester dans le coup, même en vacances, un petit état des lieux commenté.

AMP : balle au centre et petit pressing sur les Parlementaires

Les sages estiment, à la fois, qu’aucun principe juridique n’impose d’ouvrir l’AMP (assistance médicale à la procréation) aux couples de femmes et aux femmes seules et que "rien n’impose de maintenir les conditions actuelles d’accès à l’AMP". En d’autres termes, chaque partie est renvoyée dans ses buts. Les supporters-trices de l’ouverture ne peuvent pas, en droit, se prévaloir des principes d’égalité et de non discrimination pour la réclamer. Les aficionados du maintien de la situation actuelle ne peuvent pas, en droit, invoquer l’intérêt de l’enfant ou le principe de précaution pour refuser d’ouvrir l’AMP aux femmes célibataires et aux couples de femmes.

Toutefois, ce renvoi dos-à-dos est — malgré les apparences — une avancée notable en comparaison de la position du Conseil d’État de 2009 qui se prononçait, alors, en défaveur de toute modification du cadre légal dans ce domaine. Et, à cet égard, la majorité des articles de presse interprète la position du conseil d’État comme un "feu vert juridique" à l’ouverture de l’AMP à toutes les femmes.

Le Conseil d’État, bottant en touche, s’en remet donc à "l’appréciation souveraine du législateur". C’est dans ce contexte, que François de Rugy, président (LREM) de l’Assemblée nationale, s’est manifesté pour soutenir l’inscription d’une proposition de loi des parlementaires de la majorité avant la fin de l’année. Le député des Deux-Sèvres (LREM), Guillaume Chiche a saisi la balle au bond en affirmant, lors d’un entretien accordé au "Journal du Dimanche" (15 juillet), qu’il comptait déposer, avant la fin juillet, une proposition de loi ouvrant l’AMP aux couples de femmes et aux femmes célibataires.

Remboursement de l’AMP : tacle du CCNE ! Et point important — car la position du Conseil d’État tranche avec l’avis du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) de juin 2017 sur l'assistance médicale à procréation —, dans le cas d’une ouverture de l’AMP, le Conseil d’État estime, en se référant au principe de solidarité, qu’elle doit être remboursée au même titre que pour les couples hétérosexuels.

Don : statu quo sur la gratuité et l’anonymat. Enfin, le Conseil d’État est favorable au maintien de la gratuité et de l’anonymat des dons de gamètes. Le Conseil d’État préconise, toutefois, un système qui laisserait la possibilité pour le donneur d’accepter ou non que son identité puisse être révélée à la majorité de l’enfant né-e de son don, s’il ou elle en  fait la demande.

Les prolongations avec la question de la filiation : le match de l’année impossible à gagner (on refera le match dans 20 ans). "Le Conseil d’État estime qu’il ne peut être envisagé d’étendre l’AMP aux couples de femmes sans leur permettre d’établir la filiation de l’enfant à l’égard de la conjointe de la mère par d’autres voies que l’adoption".

Le Conseil d’État propose quatre scénarios

Scénario 1 : On ne change rien : obligation de se marier et de passer par une procédure d’adoption.
Scénario 2 : Appliquer aux couples de femmes des dispositions applicables aux couples hétérosexuels : le conseil d’État est très réservé car ce scenario est celui qui ébranle le plus les principes fondateurs du droit de la filiation fondé, notamment, sur la sacro-sainte "vraisemblance biologique".
Scénario 3 : Création d’un nouveau mode d’établissement de la filiation applicable à tous les couples bénéficiaires d’un don de gamète : le conseil d’État est frileux car "cette option pourrait être vécue comme un recul par les couples hétérosexuels infertiles, voire comme une discrimination au sein des couples hétérosexuels selon la nature de leur pathologie".
Scénario 4 : Création d’un mode d’établissement de la filiation ad hoc pour les seuls couples de femmes.

Le Conseil d’État oriente le jeu sur ce dernier scénario. Ainsi s’il ne semble pas envisageable d’engendrer une situation qui serait "vécue comme un recul pour les couples hétérosexuels" (voir le scénario 3). En revanche, pas de problème de créer un modèle spécifique qui stigmatise, discrimine et établit une hiérarchie entre les couples de femmes et les couples hétérosexuels !  "Le Figaro" a bien décrit les implications de ce quatrième scénario ayant la faveur des sages (pas si sages !) ; il engendre une distinction entre les enfants nés-es d’une AMP au sein d’un coupe de femmes qui verraient inscrite la mention AMP sur leur état civil et ceux et celles nés-es au sein d’un couple hétérosexuel dont les parents peuvent choisir de ne pas inscrire cette mention sur leur état civil et maintenir ainsi la vraisemblance d’une "procréation charnelle".

La tactique du Conseil d’État sur ce scénario 4 est fortement huée par certaines associations de défense des droits LGBTQI+ car celui-ci crée un régime d’exception pour ces modes de faire famille et en laisse, de fait, de côté, notamment la reconnaissance de la filiation au sein des couples composés par une personne trans ou bien la reconnaissance de la co-parentalité. Bref, l’enjeu est fort sur la filiation ! C’est le match du siècle !

Autoconservation des ovocytes : démarquage par rapport au CCNE !

Actuellement, l’autoconservation des ovocytes (prélever des ovocytes chez une femme et les congeler pour un usage ultérieur) ne peut être pratiquée en France qu’uniquement si la femme présente une pathologie ayant des conséquences risquées sur sa fertilité (chimiothérapie pour cancer, voire une endométriose par exemples) ou si elle souhaite donner une partie de ses ovocytes. Il n’est donc pas possible de réaliser une autoconservation de manière préventive et anticiper sur une baisse de la fertilité liée à l’âge.

Le Conseil d’État a jugé "pertinente" la possibilité de l’autoconservation des ovocytes eu égard à l’âge de la première grossesse qui recule depuis plusieurs années. C’est une bonne nouvelle, mais il s’agit également de rester vigilant-e quant à la possibilité des personnes trans d’y accéder.

Les opérations de réassignation de genre des enfants intersexes

Le Conseil d’État pousse et occupe la surface de réparation ! Il rappelle que les opérations ne doivent intervenir que lorsque "un motif médical très sérieux" est engagé. Dans les autres cas, le Conseil d’État rappelle l’obligation d’attendre le consentement éclairé de l’enfant. Ainsi, les actes médicaux ayant pour objectif de "conformer l’apparence esthétique des organes génitaux aux représentations du masculin et du féminin" ne doivent se faire qu’avec "le consentement éclairé de l’enfant". Le Conseil d’État  poursuit par : "… il convient d’attendre que le mineur soit en état de participer à la décision, pour qu’il apprécie lui‐même si la souffrance liée à sa lésion justifie l’acte envisagé". Le conseil d’État recommande d’attendre, dans ce cas, pour inscrire la mention du sexe de l’enfant sur l’état civil.

Sa position est intéressante car elle donne un carton rouge au corps médical trop prompt à faire de la réassignation de genre un "motif médical sérieux" en soi. Le Conseil d’État remet au centre de la décision le consentement éclairé de l’enfant et les droits humains. Néanmoins, il ne donne aucune piste pour une application concrète de ces droits. Comme le rappelle le Collectif intersexe et allié-e-s, il convient de conserver la plus grande vigilance car le Conseil d’État reste dans un cadre binaire qui ne sort pas d’une pathologisation des parcours intersexes.

Fin de vie : le Conseil d’État siffle la fin de la partie

Le Conseil d’État juge peu souhaitable de modifier la loi Claeys-Leonetti de 2016. Il estime que la loi actuelle est suffisante et se prononce contre l’autorisation du suicide assisté et de l’euthanasie. La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a annoncé que la fin de vie ne serait pas abordée dans le cadre de cette révision des lois de bioéthique.

Voilà où nous en sommes. Suite à la rentrée avec l'avis du Comité consultatif national d'éthique et le projet de loi du gouvernement dans la foulée, probablement cet automne !