Bordeaux : l'Afravih se lance

4 561 lectures
Notez l'article : 
0
 
ConférencesAfravih 2018

La Conférence de l'Alliance francophone des acteurs de santé contre le VIH et les hépatites (Afravih) pose ses valises dans les coteaux bordelais. Sur les rives du lac situé en plein cœur de la capitale aquitaine, les chercheurs, chercheuses et activistes se sont accueillis et ont chacun déclarer leurs intentions. Complémentaires, elles n'en restent pas moins une gageure ici et ailleurs, et nécessitent que tous les acteurs, du politique au communautaire, puissent en avoir les moyens.

Faire converger le monde francophone de la lutte contre le sida

L’Afravih créée en 2009 par la professeure Christine Katlama, organise sa 9e conférence, qui réunit les travaux produits dans 34 pays, 1 200 participants avec près de 100 présentations orales et 385 posters. Durant ces journées intenses, des activistes se font également le relais des communautés les plus touchées par le VIH, afin de ne pas laisser la science aux seuls médecins.

En ouverture, c’est le célèbre maire de Bordeaux, Alain Juppé, qui a souhaité la bienvenue dans sa région Nouvelle Aquitaine. L’ancien candidat Les Républicains à la présidentielle est à l’aise sur ses terres, qu’il semble bien connaître, même concernant le VIH. L’ancien Premier ministre livre à l’audience quelques données : la région aquitaine est très représentative de l’épidémie française en dehors de l’Ile-de-France, avec 400 nouvelles contaminations l’année dernière et un nombre de personnes ignorant leur séropositivité estimé à 1 400. Alain Juppé veut voir sa ville contribuer à la réponse à l’épidémie et annonce que Bordeaux va devenir la deuxième ville française à rejoindre le réseau international des villes sans sida, après Paris. Le maire de Bamako, Adama Sangaré, également présent à cette cérémonie d’ouverture explique que "Le sida au-delà de la problématique de santé publique est un obstacle au développement. C’est pourquoi nous sommes dans l’objectif d’une éradication des contaminations à Bamako et les autres grandes villes maliennes". Avec des résultats chez les enfants et femmes enceintes, mais pas encore chez les adultes. Une avancée qu’Alain Juppé fait remarquer de façon fort peu délicate : "C’est bien la première fois que Bordeaux a du retard sur Bamako", lance-t-il, hilare. Pourtant, il faut bien reconnaître que l’engagement des capitales du Sud n’a pas attendu celles du Nord, n’en déplaise aux images d’Epinal.

Paris passe donc le flambeau à Bordeaux, et le relais est assuré à l’Afravih par Eve Plenel, coordinatrice du programme "Vers Paris sans sida", en l’absence d’Anne Hidalgo. Cette dernière a chargé Eve Plenel de saluer cet engagement, tout en rappelant le sens de cette stratégie d’éradication de l’épidémie dans les villes : "cette stratégie doit s’ancrer autour des moyens de prévention et de soins : dépistage, Prep, autotest, Tasp. Grâce à la recherche, nous disposons d’une exceptionnelle palette d’outils pour faire face à cette épidémie. Il faut en favoriser l’accès et la promotion pour les plus vulnérables", rappelle encore Eve Plenel. Cette dernière n'oublie pas le caractère communautaire de l'engagement parisien autour des populations les plus vulnérables : "Paris s’engage auprès d’elles et avec elles, pour tout faire pour elles et avec elles sur le territoire. Les personnes appartenant aux minorités sexuelles, de genre ou d’origine doivent être reconnues comme des citoyens à part entière et être protégées des discriminations", défend la seule femme du panel d’invités sur la scène, de cette première partie de la plénière d'ouverture.

C'est ce que défendra à son tour Caroline Andoum (Bamessos et ses amis, Raac-sida), seule représentante des associations de personnes vivant ou exposées au VIH, et présente en tant que porte-parole des signataires de la Déclaration communautaire de Paris, issue de l'IAS 2017. "Rien pour nous sans nous, c’est ce que nous ont légué les pionniers de la lutte contre le sida". Et de se servir d'une délégation des tâches, une démédicalisation, pour donner aux acteurs de la société civile les moyens de contribuer à la réponse à l'épidémie, au plus près des groupes vulnérables et discriminés. En Europe ou en Afrique, les exemples de collaboration sont multiples et montrent le besoin dans une approche positive inclusive et non jugeante de la sexualité", explique la porte-parole du Raac-sida, réseau des associations africaines et caribéennes de lutte contre le sida et les hépatites, la promotion de la santé sexuelle et la lutte contre les IST.

Autre personnalité invitée de cette plénière d'ouverture, Michel Sidibé, directeur exécutif de l'Onusida. Propos clairs, chiffres effrayants de la pandémie dans le monde, discours rodé de visite en visite mais vision nette et politique des enjeux. Avant de les développer, il a choisi de reprendre une citation de Jacques Chirac, sans doute un geste amical à destination d'Alain Juppé : "Le sida est encerclé de toutes parts, il finira par céder, mais pour le moment il résiste". Il résiste faute de financements insuffisants, parce qu'il reste des populations discriminées un peu partout dans le monde, parce que certains Etats ne font pas assez. Et Michel Sidibé de citer l'exemple de la Russie, désormais troisième pays dans le monde le plus touché par les nouveaux cas d'infections, juste après l'Afrique du sud et le Nigeria. Dans son intervention, il a rappelé quelques grands principes qui sont autant de pistes de travail pour en finir avec l'épidémie ; et de citer l'intégration de services. C'est-à-dire une offre de soins qui prenne en charge toutes les comorbidités en faisant travailler les différents acteurs de la prise en charge en synergie. Autre piste : le passage de l'offre de soins à l'offre de santé. Et Michel Sidibé de citer la démédicalisation. D'ailleurs, il cède la parole à des acteurs de la société civile, Alou Coulibaly et Adam Yattassaye, tous deux médecins à Arcad-sida (Mali), spécialistes de la prise en charge du VIH. A la tribune, ils expliquent qu'il faut une levée immédiate de toutes les barrières qui empêchent le plein déploiement de la délégation de tâches. C'est-à-dire la réalisation d'actions de dépistage, de prise en charge par des acteurs et actrices communautaires. Les deux médecins rappellent que la délégation de tâches fonctionne bien dans des pays, qu'elle apporte de bons résultats, que l'offre communautaire est complémentaire, mais aussi qu'elle permet d'atteindre des personnes auxquelles les médecins ne savent pas ou ne peuvent pas s'adresser : "Il faut lever les barrières communautaires".

Il faut démédicaliser !

Cette thématique est portée par Coalition PLUS dont AIDES est membre. Coalition PLUS considère que la démédicalisation et le partage des tâches entre professionnels de la santé et acteurs communautaires est un des leviers (au côté de l'augmentation des financements et de la baisse du prix des médicaments) pour accélérer la riposte au sida. Le mot d'ordre retenu est d'ailleurs : "Pour un monde sans sida, démédicalisons !". Mais comment passe cette demande de la reconnaissance et l’implication communautaire dans l’ensemble du continuum des soins de l’infection à VIH chez les soignants ? On a pu s'en faire une petite idée par deux des interventions en plénière. Une plutôt favorable contre une seconde défensive qu'on doit au professeur Katlama, présidente de l'Afravih. Dans son intervention (par ailleurs, très bonne sur la question de la place des femmes, sur la lutte contre les discriminations, etc.), elle a vite parlé de la démédicalisation, mais dans un registre de défiance, en l'évoquant comme une volonté de la société civile de se passer des médecins. Ce qui, bien sûr, ne sera jamais possible, selon elle. Personne ne demande cela, mais que, suivant des règles, des taches puissent être partagées pour des systèmes de santé soulagés. Il ne s'agit donc pas de se passer des médecins, mais de faire autrement avec eux, quand ils sont débordés, quand il y a un médecin VIH pour 10 000 personnes. Ce qu'ont rappelé des militants sur des affiches à la sortie de la plénière d'ouverture. La réaction favorable, on la doit à Philippe Duneton d'Unitaid qui a défendu l'engagement vers la démédicalisation et expliqué que cet outil était sans doute une des clefs du rattrapage en Afrique de l'Ouest et du Centre en matière de VIH.

En sortant de la salle, sur certains panneaux brandis par des militants de Coalition PLUS, on pouvait notamment lire : "Plan de rattrapage : pas de bavardage". Il reste trois jours de conférence pour que le mot d'ordre "Pour un monde sans sida, démédicalisons !" devienne un engagement.