Cent réponses, sans répit !

Publié par Mathieu Brancourt le 25.07.2017
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ConférencesIAS 2017Aids 2017PrEPtransnotification aux partenaires

Pas de pause en ce deuxième jour. Les sessions s’enchainent et les constats s’accumulent : solidarité politique et financière contre l’épidémie, outils de prévention de l’infection et accès aux traitements, les stratégies sont multiples et surtout complémentaires. Des zones les plus pauvres du monde, souvent délaissées par la réponse mondiale, aux villes les plus riches où certaines communautés restent très vulnérables au VIH, les enjeux sont pléthoriques. Retour sur les points saillants de cette troisième journée.

Copyright : Marcus Rose/ IAS

Décès : le sida fait résistances

Les dernières données sur l’épidémie montrent des progrès flagrants, avec la baisse du nombre de nouvelles infections et des décès des suites de la maladie. Mais ce déclin cache une autre réalité, beaucoup plus inquiétante : dans certaines zones, et malgré l’accès aux traitements ARV, le nombre de décès reste extrêmement élevé. C’est ce que rapporte l’ONG Médecins sans frontières (MSF), sonnant l’alarme sur le taux de mortalité autour de 30 à 40 %. Les données venant de République démocratique du Congo, de Guinée, du Malawi et au Kenya indiquent que le dépistage et l’accès aux traitements ARV sont si tardifs que les personnes se présentant dans les services décèdent dans les 48 heures. Une première cause de nombre encore élevé, près d’un million par an, de décès liés à un stade sida.

L’autre cause d’inquiétude vient des résistances massives aux traitements de première ligne. Car malgré la hausse de la couverture en antirétroviraux depuis le début des années 2000, et près de la moitié des personnes séropositives ayant accès à un traitement aujourd’hui, beaucoup d’entre elles montrent des signes cliniques d’échappements voire d’échecs thérapeutiques. "Au Kenya, où les antirétroviraux sont disponibles depuis des années, 50 % des personnes diagnostiquées et traitées arrivent en échec thérapeutique. Nous faisons tout pour les passer en seconde ligne de traitement plus rapidement", explique l’épidémiologiste de MSF, le Dr Maman. Attendre n’est plus une option possible insiste MSF, qui s’inquiète que ces retards à l’entrée dans le soin, faute de programmes d’accès au dépistage et aux traitements, tout comme la discrimination persistante, favorisent la montée des résistances et donc des futurs décès, faute d’obtenir suffisamment de nouveaux traitement efficaces.

MSF appelle à de nouvelles recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour mettre en place et financer des programmes d’accès aux secondes lignes pour freiner ces résistances, qui peuvent empêcher à termes la fin de l’épidémie en Afrique. Des actions de mise sous traitement immédiate après dépistage (test and treat), de mesures de charge virale et de point d’accès à la prévention du VIH et de la tuberculose demeurent une urgence absolue. Pourtant, MSF mesure la difficulté majeure de ces préconisations dans un contexte où la réponse à l’épidémie à l’échelle mondiale stagne. L’ONG cite notamment les projections de coupes des Etats-Unis dans ses donations au Fonds mondial (-17 %) et pour son propre programme Pepfar (-11 %). Aujourd’hui, Médecins sans frontières soutient l’accès aux antirétroviraux pour 230 000 personnes dans dix-neuf pays. Ses conclusions propres sont, à large échelle, un signal très fort pour ne pas voir les progrès accomplis perdus faute de nouvelle impulsion politique.

Ipergay même pour les "petits" utilisateurs

Dans la même présentation des résultats d’hier sur l’efficacité de la PrEP intermittente en phase ouverte (voir billet d’hier), une autre donnée intéressante a été livrée par le professeur Jean-Michel Molina, investigateur de l’essai ANRS-Ipergay. En effet, ont été extraites de la phase randomisée (où les participants recevaient Truvada ou un placebo) de nouvelles données, la prise médiane de comprimés par les participants était de quinze par mois, pour un niveau de dix rapports sexuels par mois. Les chercheurs expliquent avoir voulu déterminer si l’efficacité de la PrEP en prise intermittente était la même pour les participants moins actifs sexuellement. Ils ont donc cherché dans les périodes où des participants étaient sous cette médiane, si les contaminations avaient eu lieu. Les six contaminations constatées n’ont eu lieu que dans le bras placebo, signe que ceux qui prenaient bien du Truvada, même à un rythme plus faible, restaient  très bien protégés de l’infection au VIH. La PrEP reste donc hautement efficace, même chez ceux qui ont peu de rapports sexuels. Fervent défenseur de ce schéma intermittent, le Pr Molina a souligné que ce dernier n’était pas reconnu partout dans le monde, alors qu’il permet plus de flexibilité pour les personnes, avec moins de toxicité à long terme. "Cette option doit être un levier pour que plus de gens prennent la PrEP dans les populations les plus exposées". Le schéma reste à évaluer chez les femmes et les hommes hétérosexuels. L’essai ANRS-Prevenir veut, à une bien plus large échelle qu’Ipergay, évaluer l’intérêt et l’efficacité de la PrEP pour l’ensemble de ces groupes. Et d’ajouter que l’arrivée des génériques du Truvada serait imminente en France, ce qui permettrait de réduire drastiquement le coût de cette stratégie, et donc de la rendre plus facilement supportable pour les finances publiques et donc encore plus attractive.

Notifications aux partenaires : enfin des données !

Encore une sous étude d’Ipergay. Tentaculaire, cet essai de PrEP a permis également de passer un questionnaire entre avril et juin 2016 auprès des participants de la phase ouverte. "Enfin une première image de comment les gens font, et, ici, les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH)", s’est félicitée Marie Suzan-Monti, chercheure à l’Inserm, co-investigatrice de cette sous-étude et également administratrice de AIDES. Une population cependant informée et volontaire, au sein d’un essai, nuance-t-elle. Parmi les 275 répondants, 250 déclarent avoir eu au moins une IST durant l’essai. En ont-ils ensuite parlé à un de leurs partenaires ? D’après leurs déclarations, plus de 70 % l’ont notifiée d’eux-mêmes et souhaitaient continuer à le faire pour les éventuelles futures IST. Dans les motivations, il est intéressant de noter qu’un rapport anal non-protégé avec un partenaire occasionnel n’est pas une raison incitant à notifier une IST à son partenaire principal. En cas de chemsex, la notification est plus fréquente. Cette enquête exploratoire sur la notification aux partenaires ne fait pas de distinction entre les IST, et ne vise pas le VIH. Ce qui parait étrange après 35 ans de lutte. Il reste du chemin à faire note le professeur Jean-Michel Molina, présent pendant ce point à la presse française organisé par l’ANRS. Contrairement à d’autres pays, la France ne s’est pas lancé dans cette stratégie de tracking des transmissions par les médecins, pour des raisons de protection de données et de secret médical. Aussi les ONG sont inquiètes vis-à-vis de la possible criminalisation à l’aune de cet outil de surveillance. D’autres pays, comme la Suède ou l’Australie, ont mis en place des stratégies de notification anonyme, avec succès. Cette première enquête française doit être un moyen de se pencher à nouveau sur ce moyen de rattraper les pistes de l’infection.

La PrEP, un outil adapté aux chemsexers

La consommation de produits dans un cadre sexuel chez les gays (chemsex) séronégatifs ayant participé à la phase ouverte de l'essai ANRS-Ipergay était associée avec le fait de prendre la PrEP, selon une analyse présentée par Perinne Roux (Inserm) à l'occasion de la conférence HIV Science de l'IAS à Paris. Cela montre un niveau de conscience des risques pris lors de la pratique du chemsex et que la PrEP est un outil de réduction des risques adapté à cette population. Près de 30 % des participants déclaraient avoir pratiqué le chemsex au cours de leur suivi dans le cadre de cet essai. Si les caractéristiques sociodémographiques des prepeurs étaient les mêmes entre non chemsexers et chemsexers, le profil psychologique de ces derniers dénote quant à lui une plus grande vulnérabilité (plus fortes consommations d'anxiolitiques et score plus élevé de recherche de sensations). Cette étude souligne la nécessité de profiter de l'opportunité des consultations PrEP pour proposer un accompagnement spécifique sur la consommation de produits dans un cadre sexuel.

Faible connaissance de la PrEP pour les femmes trans au Brésil

D’après une étude exploratoire menée dans la région du Nord du Brésil, la plus pauvre du pays, auprès des femmes trans vivant au Brésil, seulement 18 % des femmes interrogées avait connaissance de l’outil. Concernant l’intérêt, deux fortes tendances : 90 % d’entre elles étaient très intéressées par la prophylaxie pré-exposition quand les 10 % restantes l’étaient très peu. Parmi ces dernières, aucune n’avait l’intention de commencer une PrEP si cela était possible. Les facteurs associés à la faible connaissance était le fait d’avoir plus de 25 ans, être latino-américaine, avoir des revenus faibles et d’avoir recours au travail du sexe. La connaissance sur la prévention est globalement plus faible dans le Nord du pays, avec un accès très limité à la PrEP, même si le pays a récemment décidé de la rendre plus accessible dans sa stratégie de lutte contre le VIH. Une raison d’attaquer les inégalités sociales et d’accès aux soins pour permettre aux groupes vulnérables de pouvoir connaitre et demander ce moyen de prévention.

Comment les femmes trans se contaminent-elles au VIH en Californie ?

La chercheure américaine commence par rappeler que les femmes trans sont 50 fois plus vulnérables au VIH que les adultes cisgenres. Elles passent aussi inaperçues dans les études car mal genrées et souvent intégrer aux HSH dans les enquêtes épidémiologiques. A travers la phylogénétique, c’est-à-dire la composition du virus au sein de groupes auxquelles elles appartiennent, elles ont représenté 70 des 563 contaminations observées, mais en proportion, elles sont beaucoup plus touchées par l’infection que des hommes hétérosexuels ou les femmes cisgenres observés. Aussi, 41 % d’entre elles rapportent des injections à risques. L’usage de drogue a également un impact sur le risque d’infection. Une preuve selon la chercheure de la vulnérabilité des femmes trans et l’importance de mieux répertorier les cas en respectant l’identité de genre et non le sexe de naissance.

Que veulent les femmes trans dans la prévention du VIH ?

Autre étude américaine, à Washington cette fois-ci, concernant l’impact du VIH parmi les femmes transgenres de couleur. Parmi les 200 participantes à des groupes de parole sur ces questions, il a été possible d’obtenir une photographie de la situation épidémiologique et sociale de cette communauté. Elles ont 38 ans en moyenne, sont majoritairement noires et au tiers hispaniques. Près de 87 % bénéficient d’une couverture maladie publique, et 75 % d’entre elles vivent sous le seuil de pauvreté. La prévalence du VIH atteint le chiffre ahurissant de 55 %. Une situation catastrophique auxquelles s’ajoutent des enjeux sociaux très lourds : la violence et la stigmatisation à leur encontre, le manque de confiance dans le milieu médical et l’éloignement des services VIH. Pourtant, les femmes séropositives ont toutes été sous traitement ARV à un moment de leur vie. 91 % sont toujours sous ARV, mais plus de 52 % d’entre elles ont dû interrompre leur traitement à un moment donné. Elles plaident, et la chercheure présente avec elles, pour une approche beaucoup plus holistique de la santé trans. Des soins respectueux de leur genre, des services VIH là où elles vivent ou travaillent et l’éducation des soignant-e-s sur ces enjeux, voire d’engager des personnes de la communauté trans pour cela.

Perception du risque : défi de taille chez les femmes transgenres

Une étude menée en Thaïlande est venue interroger la perception du risque chez les femmes trans vivant dans cinq villes du pays. Plutôt jeunes et assez concernées par le travail sexuel, elles connaissent une prévalence de 5 % et 32 % d’entre elles ont déjà eu une IST. Sur ce constat, les chercheurs ont demandé à quels niveaux de risque face au VIH elles se situaient : nul, faible, moyen ou fort. De manière générale, la connaissance sur la prévention était globalement la même, peu importe le niveau de perception du risque. Cependant, parmi celles qui déclaraient ne prendre aucun risque, 20 % d’entre elles rapportaient avoir des partenaires multiples. Une donnée parmi d’autres qui indique que les femmes trans thaïlandaises ont une perception du risque plus faible que le risque réel. Et une perception du risque plus faible était associée à une envie moindre d’utiliser les outils de prévention comme la PrEP.