CROI 2012 : Lundi, jour des trainees

Publié par Rédacteur-seronet le 06.03.2012
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Croi 2012
Seattle accueille la 19e Conference sur les retrovirus et les infections opportunistes (CROI), la plus grande conférence scientifique annuelle sur le VIH et ses complications. Ce lundi, la cérémonie d’ouverture a été précédée des traditionnelles sessions des trainees et des ateliers techniques. Bruno, Emmanuel et Renaud donnent l’ambiance. Récit.
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Début de conférence sous la pluie. Pas plus mal puisqu’on va être enfermé dans un centre de conférence climatisé qui conduit les plus prudents à non seulement garder la veste mais aussi à utiliser en préventif, qui un foulard, qui un chèche.

Flash-back. Samedi, après 11 heures de vol et 9 heures de décalage, arrivée à Seattle sous un soleil radieux, qui ne manquait pas de surprendre de la part d’une ville surnommée "rainy city", la ville pluvieuse. On dit aussi "ville d’émeraude", en référence aux superbes forêts qui l’entourent. Cela expliquant ceci. Située en bordure du Pacifique nord, à quelques 150 km de la frontière canadienne, Seattle revendique son héritage portuaire, mais ne fait décidément rien comme les autres : une ville dominée par une soucoupe volante construite en 1962 pour une exposition internationale, le fameux Space Needle ("l’aiguille de l’espace") dont on fête le cinquantenaire, et un fameux monorail de la même année – avec deux rails - car il y en a deux !

C’est cette Space needle qui est sur tous les sacs - les fameux conference bags. Car cette année, le homard, brodé l’an dernier à Boston (et très abordable), cède le pas au Dungeness crab (crabe dormeur du Pacifique), et au Crabe Royal d’Alaska, nettement moins bon marché, et dont on se dispensera. On se rabattra sur les myrtilles du Pike Market Place, lieu emblématique d'une ville désormais envahie par 4 000 médecins, chercheurs et activistes.
 


Dimanche soir au calme, pour la lecture de l’abstracts book et le survol de ses quelques 1 142 résumés. Façon de sélectionner les sessions à ne pas manquer. Cette CROI, c’est donc 55% de résumés acceptés. 11% qui le sont à l’oral, les plus prestigieux, le reste finissant en posters qui ne permettent qu’une faible visibilité au cours de la conférence, mais s'affichent pour prendre date. Les trithérapies ne sont-elles pas apparues comme cela lors d’une (déjà) très ancienne CROI dans les années 90…


Du vaccin aux complications
Le premier jour de la CROI, c’est toujours la session des trainees – sans aucun accent – à savoir les apprentis et les young investigators – les jeunes chercheurs. Succession de présentations assurées par le comité scientifique de la CROI. Il s’agit d’une session très populaire, très courue, où les places sont chères. Avec une régularité de métronome qui change des habitudes françaises où chaque orateur empiète sur le suivant.

Richard Koup (Centre de recherches sur le vaccin des NIH, National Institute of Health, à Bethesda) souligne que depuis la publication de l’essai Thai en 2009, toute une série de chercheurs ont tenté de découvrir ce qu’avaient de particulier les personnes qui se sont infectées malgré le vaccin. C’est un peu le "Saint Graal" de la recherche vaccinale, qui va faciliter l’identification de candidats vaccins prometteurs. En l’espèce, des anticorps de type IgG (immunoglobulines) dirigés contre les boucles V1 et V2 d’une fameuse protéine du VIH, la gp120. Une découverte qui remet en piste la voie de recherche qui vise à produire des anticorps neutralisants contre le virus.


Prévention : on retrouve Sharon Hillier (Université de Pittsburgh) qui soulignait déjà l’an dernier que la prévention dite biomédicale (avec des antirétroviraux) ne devait pas négliger la dimension comportementale, humaine, de la prévention (motivation et régularité des prises). On ne saurait trop insister là-dessus. Cette année, il s’agira d’analyser les "grandes nouvelles" qu’on a vu arriver en deux ans seulement. Autant de résultats esquissés à ne pas déflorer car nous y reviendrons dans le courant de la semaine.


Judith Currier (Université de Californie) sur le front des complications, commence par un classique du congrès médical : le cas clinique. Cette fois-ci, il s’agit d’un patient de 56 ans vivant avec le VIH depuis 1986 et dont les CD4 restent à 240/mm3 malgré une charge virale depuis longtemps indétectable. Et surtout, avec une longue "liste de problèmes" c'est-à-dire de complications : diabète, ostéoporose, troubles de la pensée, risque cardiovasculaire... En cause, l’inflammation qu’il faut parvenir à réduire.


DE La PTME A LA TUBERCULOSE
Pat Flynn (Hopital Saint-Jude des Enfants de Memphis) détaille les dernières données. On revient de loin : avant 1994, la transmission du VIH de la mère à l’enfant, sans traitements, c’était entre 16 à 25% des cas, et jusqu’à 45% dans les pays en développement. Un chiffre qui, grâce à sa prévention, la PTME, est tombée à moins de 1% quand les meilleures techniques et traitements sont mis en œuvre (et c’est possible aux USA comme au Botswana). Mais dans un contexte de ressources, et donc de traitements limités, il s’agit là de trouver l’option la plus pertinente dans une situation donnée, chacune ayant des avantages et des inconvénients.


Suit John Mellor (Université de Pittsburgh) en charge d’une présentation inhabituelle, celle des recherches sur le CURE, les recherches pour trouver un traitement curatif contre la maladie à VIH, définitif ou créant un équilibre favorable entre le corps et le virus. Nous y reviendrons, mais ces résultats très préliminaires seront un des points forts de cette CROI. Bien que tous aient en mémoire les promesses faites en 1996, et les espoirs déçus sur la "force de frappe" réelle des antirétroviraux, très efficace pour écraser le virus, mais pas suffisamment pour le faire disparaître… la plupart accueille ces résultats avec la prudence nécessaire.


La tuberculose (TB) ferme le bal, avec un champ de recherche très dynamique, explique Richard Chaisson (Université John Hopkins). La TB est la principale cause de mortalité chez les personnes vivant avec le VIH au Sud. Là encore, il s’agit d’améliorer nos connaissances, de trouver les solutions les plus efficaces possibles. Notamment, et ça ne fait rire personne, face aux défis des tuberculoses "MDR" (multirésistantes, à l'isoniazide et à la rifampicine, deux antituberculeux classiques) et "XDR" (résistantes en plus aux fluoroquinolones et au moins à l'un des antibiotiques injectables suivants : capréomycine, kanamycine ou amikacine). Il s’agit aussi d’améliorer les traitements de courte durée. Et de trouver un vaccin enfin véritablement efficace.

Absente au tableau des trainees : les hépatites, malgré un programme plutôt plus chargé que d'habitude.


Le TASP vu par les couples sérodifférents
"Le traitement comme prévention (TasP) est une opportunité mais doit rester un choix". Excellent résumé en une phrase du militant italien Giulo Maria Corbelli, dans une vidéo de 3 minutes et 30 secondes présentant les témoignages d’activistes vivant avec le VIH, expliquant que le TasP réduit la peur de faire l'amour avec une personne au statut sérologique différent du sien. C’est Nikos Dedes, habitué des conférences et activiste multi-casquettes de l’EATG, et l’ITPC, sortes d’équivalents européens et mondiaux de notre TRT-5 français, qui avait la - lourde - tâche de présenter (en 20 minutes) les visions de la communauté sur le TasP et la PrEP. Où l’on a parlé du potentiel du TasP pour lutter contre la discrimination. "HPTN 052, la percée scientifique de l’année, c’est bien. Mais l’effet préventif des traitements on le connaissait d’après nos expériences de vie. Il a fallu 11 ans entre les prémisses du projet en 2000 et les résultats. Entre temps, il y a eu l’avis suisse. On ne pouvait attendre plus longtemps". Et de conclure : "Les chercheurs doivent être aussi des activistes. Travaillez avec nous !"


Sessions techniques
L’après-midi ont lieu les traditionnelles sessions techniques.
D’un côté, le design des essais cliniques. Essentiel pour répondre au mieux aux questions, avec le plus de rigueur possible. Avec un focus sur les surrogate endpoints à utiliser (critères de l’essai qu’on fixe à son début et qui vont permettre de dire s’il y a réussite, ou  échec, selon qu’ils soient ou non atteints), mais aussi le changement des standards de soins au cours des essais cliniques, et comment le gérer. Car ils sont pour le moins mouvants. On pense en particulier au seuil de CD4 pour commencer un traitement qui varie selon les recommandations et selon les pays, même s’il a tendance à se relever depuis quelques années (de 350 à 500/mm3).


De l’autre côté, les "nouvelles frontières" dans les sciences de laboratoire : nanotechnologies, profilages cellule par cellule, modèles de laboratoire de la latence virale.


Le ronron de l’ouverture
Session d’autopromo ce soir à  la cérémonie d’ouverture. John Coffin, le président de la conférence accueille à la tribune le célèbre Dennis Burton, du Scripps Institute, qui a fait une revue des recherches vaccinales (enfin, des siennes surtout). Il s’agissait de défier la structure et la variabilité du VIH avec des anticorps largement neutralisants (c'est-à-dire capables de s’accrocher à des virus très différents, car le VIH a énormément de "visages" pour les anticorps). A renforts de vidéos en 3D de la structure moléculaire, il montre comment certains anticorps, identifiés en faisant appel à plus de 2 000 donneurs à travers le monde, s’accrochent au virus. Selon ses modélisations, avec 25 anticorps neutralisants à large spectre, on peut capter quasiment tous les virus. Reste à concevoir les vaccins capables de faire produire ces anticorps par nos organismes humains. Ce qui ne sera pas une mince affaire…


Suivent deux autres stars, Quarraisha et Salim Abdool Karim, du CAPRISA, centre de recherche sud africain créé en 2001, surtout connu pour l’essai de gel vaginal préventif à base de ténofovir. Mariés depuis plus de 20 ans, les deux cliniciens chercheurs expliquent les nombreux apports des partenariats entre leur équipe sud africaine, et de prestigieuses institutions et universités américaines, telle la très chic Columbia University de New -York. A la clé, 129 publications dans des revues scientifiques souvent de très haut niveau, et deux brevets : un sur le gel vaginal, et un vaccinal.