Croi 2014 : Traitements du VIH : doravirine, inhibiteur de l’attachement, formulations longue durée, nouveaux schémas et nouvelles données

Publié par Renaud Persiaux et Emmanuel Trénado le 08.03.2014
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ThérapeutiqueARV

La Croi (Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes) 2014 s’est terminée jeudi 6 mars à Boston. Voici ce qu’on peut en retenir sur le front des traitements anti-VIH. A noter particulièrement deux nouveaux antirétroviraux expérimentaux, dont un d’une classe inédite, les inhibiteurs d’attachement, et une étude qui annonce le début des essais sérieux de formulations longue durée (mensuelle) par injection.

De l’espoir pour des formulations longue durée (mensuelle)

Une injection d’ARV tous les mois ou tous les deux mois, c’est ce que souhaitent développer les laboratoires Janssen et ViiV. Pour cela, il faut des antirétroviraux de petites tailles et capables de rester longtemps dans l’organisme, qu’on peut insérer dans des nanoparticules en suspension dans un volume injectable. C’est le cas de deux ARV, la rilpivirine, ici dans une formulation longue durée, et du GSK-744 (qui est aussi évalué en Prep). On savait grâce à des données préliminaires que la rilpivirine supporte des injections mensuelles, tandis que le GSK-744 semble pouvoir autoriser des injections trimestrielles.

Ont été présentés les résultats d’une étude de maintenance par la prise orale quotidienne (en comprimés) de la rilpivirine et du GSK-744. En comparaison avec efavirenz + Truvada ou Kivexa, deux trithérapies de référence, l’efficacité est équivalente. La tolérance de cette combinaison orale est aussi prometteuse.

ViiV espère lancer dans les prochaines semaines un essai sur 160 personnes qui donnera une idée de la tolérance, de l’acceptabilité et de l’efficacité de ce nouveau traitement basé sur ces deux ARV longue durée. Chacun sera formulé séparément, il faudra deux injections. Deux possibilités sont discutées pour le GSK-744 : une injection tous les mois ou tous les deux mois (mais il faudra un dosage et un volume plus importants).

La doravirine explorée

Le MK-1439, on en avait parlé lors de la Croi en 2013, a maintenant un nom, la doravirine. Selon le laboratoire Merck, qui le développe, ce nouveau non nucléoside (la même classe que Sustiva, Viramune, Intelence, Edurant) présente plusieurs avantages. In vitro, il reste efficace sur les virus résistants aux autres nucléosides, et ne sélectionne pas de résistances croisées avec la rilpivirine ou l’étravirine. Cela en fait donc un très bon candidat à la fois pour concevoir des thérapies de rattrapage après des échecs, ou inversement, pour trouver une place en 1ère ligne. Il a été comparé avec Sustiva, molécule puissante, mais souvent mal tolérée (en gros, un tiers des personnes ont des effets psys très importants), alors nécessairement la tolérance apparait bonne : notamment, beaucoup moins de vertiges et de cauchemars, mais autant de rêves anormaux. Cela devra être confirmé par des études ultérieures. En termes d’efficacité virologique (pourcentage de charge virale indétectable), les résultats sont équivalents. Merck va poursuivre le développement. A suivre !

L’inhibiteur d’attachement  BMS-068

Bristol-Myers Squibb (BMS) a présenté de nouvelles données du premier représentant d’une nouvelle classe d’antirétroviraux, les inhibiteurs d’attachement. L’entrée du VIH se fait en trois étapes : le VIH doit d’abord s’attacher à un récepteur CD4 à la surface de la cellule (ce sont, précisément, ces récepteurs qui ont donné leur nom à ces cellules), puis se lier à un co-récepteur - soit CCR5, soit CXCR4 - et finalement fusionner avec la membrane cellulaire pour pénétrer dans le lymphocyte, le CD4. Ces dernières étapes sont déjà ciblées par des antirétroviraux (Celsentri et Fuzeon), mais pas la première, l’attachement.

La molécule en question, qui répond au nom de code de BMS-068, n’est pas la substance active elle-même, mais sa prodrogue, c'est-à-dire une molécule qui va donner la substance active (BMS-529) après avoir été absorbée dans l’organisme. Le BMS-529 se fixe à une protéine du virus, la gp 141, empêchant ainsi l’attachement du virus au récepteur CD4, et bloquant son entrée dans la cellule.

Les premiers essais sont encourageants en termes d’efficacité et de sureté. Le BMS-068 se prendra en une prise par jour, et c’est la dose 100 mg, qui a été choisie. Pas de résistances croisées avec les autres classes, et BMS dit espérer qu’il y aura un effet particulièrement synergique avec les médicaments de la classe des anti-intégrases (ce qui reste à prouver).

Il est encore trop tôt pour avoir une idée précise des effets indésirables, mais ce développement d’une nouvelle classe tout à fait nouvelle donne de l’espoir pour le futur (et notamment plus d’options pour les personnes avec des virus résistants à toutes les classes existantes). En espérant bien sûr que le développement aille à son terme et que la molécule tienne ses promesses.

D’autres études concernaient des médicaments ayant déjà une autorisation de mise sur le marché.

Une bithérapie antiprotéase et Isentress + Prezista

Prezista + Isentress fait aussi bien que Prezista + Truvada, selon l’étude ANRS-143/NEAT001, portant sur environ 400 personnes dans chaque bras. Il s’agit, généralement, avec ce type de schémas sans nucléosides (qui sont pourtant la base des trithérapies actuelles), d’éviter certains de leurs effets à long terme, notamment pour certaines personnes chez lesquelles ils se seraient accumulés et pour lesquelles les médecins souhaiteraient utiliser des molécules avec un profil d’effets à long terme différent. Cependant, ici, il s’agissait d’un essai chez des personnes dont c’était le premier traitement. Un tiers des personnes avait une charge virale très élevée (plus de 100 000 copies) et 5 % une charge virale extrêmement élevée (plus de 500 000 copies). Autant de challenges pour les combinaisons testées.

Au final, il y a de très forts taux de réussite avec les deux régimes. Cependant en cas d’échec, il y avait plus de résistances sélectionnées sur le raltégravir (chez 5 personnes sur 28 personnes en échec), mais c’était vrai en cas de charge virale très haute (bien au dessus de 500 000 copies), a expliqué Francois Raffi de l’hôpital de Nantes, l’investigateur principal. Celui-ci estime que cette combinaison sans nucléosides pourrait être un choix possible comme premier traitement.

Quel 3ème agent choisir entre Isentress, Prezista et Reyataz ?

Une autre grosse étude comparait trois régimes (600 personnes dans chaque groupe) basés sur le Truvada, associé soit à une antiprotéase, le daranuvarir boosté, ou le Reyataz boosté ou à une anti-intégras, Isentress. Les trois schémas sont équivalents sur le plan virologique, cependant c’est le critère de tolérance qui permet à Isentress de démontrer une supériorité. Il est mieux toléré que le darunavir, lui-même mieux toléré que l’atazanavir (qui provoque des jaunisses, ce qui a conduit des personnes à l’arrêter). Cela sera sans doute discuté dans les recommandations.

Le Stribild possible en switch

Deux études montrent que Stribild (une trithérapie avec anti-intégrase en un comprimé par jour, tout juste commercialisée en France) est efficace en switch, que ce soit à partir d’une trithérapie (à base de Truvada) avec une antiprotéase (dans l’essai, il s’agissait de l’atazanavir boosté ou du darunavir boosté) ou d’un non nucléoside (dans l’essai, il s’agissait du Sustiva). Le Stribild, lui contient Truvada + l’elvitégravir et son booster, le cobicistat. Ces données seront transmises à l’agence du médicament et pourraient rassurer certains médecins qui ne seraient pas à l’aise avec les switchs.

Le dolutégravir dans le VIH2

Dans une étude, française, de suivi de 13 ATU nominatives de dolutégravir pour des personnes porteuses du VIH-2, celui-ci s’est montré bien toléré et efficace. Il s’agit de concevoir des "trithérapies de sauvetage" pour des personnes en multi-échec thérapeutique et en urgence thérapeutique. Ces données devront être confirmées.