CROI 2018 : Prep pour le chantier ?

Publié par Mathieu Brancourt et Bruno Spire le 09.03.2018
5 935 lectures
Notez l'article : 
0
 
ConférencesPrEPCROI 2018

La Prep (prophylaxie pré-exposition) reste l’une des attractions de cette édition 2018 de la conférence américaine. A Boston, de nombreux posters et présentations ont traité de la mise en place, l’accès et les marges de progression pour cet outil qui doit, au côté du Tasp, être la fusée qui mène vers la fin de l’épidémie. Voici un florilège des études les plus éclairantes présentées cette semaine, notamment chez les femmes.

Faut-il déployer la Prep chez les femmes, dans un contexte d’épidémie généralisée ? C’est la question à laquelle il fallait répondre à la CROI cette année. Dans sa présentation, Linda Gail-Bekker revient sur les chiffres connus de l’utilisation de la Prep. On estime à 220 000 personnes le nombre d’utilisateurs de la Prep dans le monde, dont 25 000 qui l’achètent à l’étranger. Si elle était accessible et utilisée dans les pays les plus touchés par l‘épidémie, le nombre d’utilisateurs ou utilisatrices potentiels serait énorme. On sait que la Prep marche si on la prend correctement, les résistances sont rares et surviennent seulement en cas de primo-infection. Mais il y a des idées reçues à combattre pour parvenir à un accès pour tout-e-s.

D’une, la Prep ne serait pas faite pour les femmes africaines, à cause des échecs de certains essais (Voice, FemPrep). Mais, dans ces cas, les femmes qui ont été contaminées n’étaient pas observantes ; d’autres essais ont montré que les femmes étaient protégées lorsqu’elles étaient observantes (TDF2, Partners Prep). La faible observance peut l’être pour des raisons de dépression ou de peur des effets indésirables ou par manque de confiance de la communauté à laquelle l’outil est proposé. Aussi, certains disent que la Prep met du temps à être efficace. La pharmacologie indique pourtant que la protection serait atteinte après trois jours chez les femmes contre deux chez les hommes. La Prep ne serait pas possible pendant la grossesse ? C’est faux, il n’y a pas d’effets négatifs sur le fœtus et la Prep est même encore plus indiquée à cause du sur-risque pendant la grossesse. Il n’y a pas non plus d’impact sur l’efficacité de la contraception. L’allaitement est sans risque car peu de molécules passent dans le lait.

La Prep n’est pas pour les adolescents ? Absolument faux, car l’incidence est élevée chez les adolescentes et jeunes femmes en Afrique. Il n’y a pas de différences d’observance avant ou après 25 ans, chez les jeunes femmes en Afrique du Sud dans une étude ouverte, même si une baisse d’observance au cours du temps a été notée chez toutes les participantes. La Prep demeure une intervention médicale : elle a besoin de promotion par les communautés pour une appropriation régulière.

La Prep fait le jeu des IST ? Des études montrent le contraire au Nord, mais on a besoin de suivi et de dépistage ciblés au Sud. Enfin, la Prep serait trop chère : la priorisation pour les groupes les plus exposés au risque d’infection est une solution au départ. A partir de là, quelle types d’intervention fonctionne et quelles leçons tirer des études menées ?

Les anneaux vaginaux de Prep peuvent faire diminuer l’épidémie

Les anneaux vaginaux de dapivirine ont montré une réduction de 30 % du risque d’acquisition du VIH chez les femmes. Une recherche opérationnelle à la suite de l’essai a été mise en place pour continuer à suivre les femmes de l’essai. Cette recherche a montré que 90 % des femmes de l’essai ont continué à vouloir être suivies. Les anneaux vaginaux ont été utilisés pour 89 % de ces femmes. L’incidence du VIH n’a été que de 1,9 personne-année, au lieu de 4,3 pour le groupe qui prenait le placebo pendant la phase de l’essai. Cette différence est sans doute due à une meilleure observance. Cette baisse est de même nature que la moyenne d’efficacité des essais de Prep orale menés chez les femmes. Un second essai sur ce même anneau avait donné des résultats similaires et les auteurs ont également présenté le suivi de cet essai : l’observance a été de 96 % et l’incidence au cours du suivi de 1,8 personne-année, soit deux fois moins que ce qui avait été vu dans le groupe placebo de l’essai. Au total ces anneaux vaginaux sont bien tolérés et acceptés par les femmes et, s’ils sont correctement utilisés, représentent un outil supplémentaire et complémentaire de réduction des risques.

Méconnaissance forte de la Prep chez les femmes dans le sud des Etats-Unis

Une étude a évalué l’éligibilité, la connaissance et la volonté d’utiliser la Prep chez des femmes du sud des Etats-Unis à partir d’une cohorte de femmes séronégatives exposées au risque d’infection. Elles ont eu trois partenaires sexuels dans les six derniers mois en moyenne, 11 % d’entre elles ont contracté des IST. Autre donnée : 32 % entraient dans les critères pour la Prep : pas d’utilisation de préservatif avec un partenaire dont elles ignoraient le statut sérologique. Très peu de participantes connaissaient la Prep avant l’étude. Celles qui voudraient avoir la Prep ont conscience de leurs risques et rapportent des histoires de violence avec leurs partenaires. D’où l’intérêt très fort pour cette population exposée à l’infection à VIH.

Quels sont les freins à l’utilisation de la Prep chez les femmes trans migrantes aux Etats-Unis ?

Une étude qualitative montre que les craintes vis-à-vis d’éventuelles interactions avec les traitements hormonaux, le refus de prendre des comprimés tous les jours ou la peur des effets indésirables sont les obstacles majeurs à l’envie de prendre la Prep chez des femmes trans migrantes vivant aux Etats-Unis. La volonté de prendre la Prep est associée à une perception élevée de prise de risque et au fait de recourir au travail du sexe.

La Prep chez les travailleuses du sexe en Afrique du Sud : c’est pas gagné !

Un projet propose le traitement ou la Prep aux travailleuses du sexe en Afrique du Sud. La prévalence du VIH était de 49 % chez les participantes de ce projet. La rétention pour la Prep n’était que de seulement 22 % à douze mois, mais pas de cas de séroconversion chez celles qui restent sous traitement préventif, preuve de son efficacité. Le coût est de 126 dollars (environ 102 euros) par an et par personne. Des données qualitatives montrent que pour beaucoup de ces femmes, la faible confiance dans l’outil a joué sur leur observance voire l’abandon de la Prep.

La Prep est prescrite sans soucis chez les femmes enceintes au Kenya

Comme démontrée dans une autre étude présentée à la CROI, la grossesse augmente le risque d’acquisition du VIH. Un programme au Kenya a donc recherché les femmes enceintes exposées à un risque d’infection pour leur proposer la Prep. D’après les données, les femmes initient d’autant plus la Prep si elles ont connu dans les six derniers mois une ou plusieurs infections sexuellement transmissibles, si elles ont subi une agression sexuelle voire un viol, si elles ont subi des violences physiques ou sexuelles avec leur(s) partenaire(s). L’acceptation de la Prep semble donc fortement liée, non pas à la perception personnelle de l’éventuelle utilisatrice, mais au risque réel ou objectif de s’infecter au  VIH.

Quel impact de la Prep sur les contaminations ?

La Prep est efficace évidemment, mais son efficacité dépend de l’observance. C’est ce qui explique les différences de résultats d’une étude à l’autre. La baisse de l’incidence peut s’observer par la protection créée par la Prep : pour la personne utilisatrice qui ne s’infecte pas, pour ses partenaires, les partenaires de ses partenaires... Quelques données ont été publiées sur la baisse d’incidence avec la Prep chez les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes. Une baisse, difficile à interpréter, a été observée à Londres et à Sydney chez des gays. La Prep pourrait faire baisser l’incidence chez les personnes usagères de drogues, mais la combinaison avec les programmes d’échanges de seringue est indispensable pour cela. Chez les personnes migrantes originaires d’Afrique en Europe, la Prep aurait un impact individuel, mais pas d’ampleur de santé publique car il y a peu de prévention secondaire des transmissions (cela a été montré par l’analyse moléculaire des virus transmis). Dans les pays à très haute prévalence, la Prep n’aurait, selon les modélisations, qu’un effet limité sur l’incidence comparée au Tasp dans un contexte d’épidémie généralisée.