Croi 2019 : des infos tous azimuts

Publié par Mathieu Brancourt et Bruno Spire le 12.03.2019
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ConférencesCroi 2019

De très nombreux sujets ont été abordés lors de la Croi 2019, qui s’est achevée, à Seattle le 7 mars. Voici des infos concernant la transmission mère-enfant, les IST et les cas de VHC chez les gays, la Prep, les conséquences de la polymédication, les aspects neurologiques de l’infection à VIH, etc.

Immunité materno-fœtale

La trithérapie permet d’éviter la transmission du VIH pendant la grossesse, mais il y a des risques pour le bébé dû à la toxicité des antirétroviraux. Parmi les nouveaux nés infectés à la naissance, la moitié est infectée au cours de l’allaitement. Les bébés ont pendant quelques mois les anticorps de la mère (avant d’avoir leur propre système immunitaire), et pourraient être immunisés pour monter leur propre réponse immunitaire, comme c’est le cas concernant le VHB. Des essais tentent de montrer l’intérêt des anticorps neutralisants à large spectre pour réduire le risque de transmission ou même pour faire partie des combinaisons thérapeutiques. Dans le modèle sur le singe, ces anticorps préviennent la transmission. Ces anticorps (Ac) sont bien tolérés chez l’homme et nécessitent une injection trimestrielle.

Les premières années de vie représentent une opportunité pour monter une réponse immunitaire contre le VIH, et il serait plus facile de vacciner chez l’enfant que chez l’adulte. Des données montrent que les anticorps fabriqués par les enfants infectés sont plus puissants pour neutraliser le virus que chez un adulte. Des essais de vaccination contre l’enveloppe virale montrent que les nourrissons peuvent fabriquer des anticorps neutralisants, comme le modèle sur le singe, qui ne sont pas en compétition avec les Ac de la mère transmis à la naissance. Des essais cliniques prometteurs vont démarrer. L’idée est de vacciner les enfants quelques semaines après la naissance et de faire un rappel à l’adolescence avant les premiers rapports sexuels.

Clusters et transmission

La détection des signatures moléculaires des souches virales permet de mieux repérer où le virus se transmet. Les données de surveillance permettent d’identifier et de comparer entre elles les souches virales qui circulent pour comprendre dans quels sous-groupes de population les nouvelles infections surviennent. On repère ainsi des familles de virus très proches qui émergent en même temps (clusters). On a ainsi pu, en Colombie britannique (Canada), repérer un virus d’emblée résistant qui se répandait chez les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes et mieux adapter les recommandations pour dépister et traiter ce type d’infection. Le séquençage de toutes les nouvelles souches est en cours dans la surveillance des virus circulant aux États-Unis. Le repérage d’un cluster viral indique un échec au niveau de la prévention ou du soin. L’approche ne permet pas de savoir dans quel sens (de qui à qui) les transmissions se sont faites et ne peuvent pas être utilisées à des fins juridiques par des magistrats qui voudraient s’en servir dans des procédures. Ces données sont également très sécurisées.

VHC chez des gays séropositifs à Londres

Alors que l’Angleterre connaissait un contexte de hausse des cas de VHC au début des années 2010, une baisse d’environ 70 % a été observée entre 2015 et 2018, dans une cohorte de 6 000 hommes gays séropositifs à haut risque de contamination au VHC. Cette baisse correspond de peu à la date d’arrivée des antiviraux à action directe (AAD), extrêmement efficaces et rapides pour guérir l’infection par l’hépatite C. Celle-ci est corrélée avec un accès plus large à ces molécules depuis cette date, grâce à la prescription de ces antiviraux aux personnes dont l’hépatite C est chronique, peu importe le stade de fibrose. Le délai entre le dépistage et le début d’un traitement est passé de 17 à 3 mois en 2018. Ces éléments expliquent donc cette baisse, mais une inquiétude demeure, car la courbe des contaminations connait un plateau depuis 2018, avec également des cas de réinfection et, surtout, un accès privilégié aux AAD qui se cantonne à un essai clinique. La NHS (National health service, équivalent du ministère de la Santé) ne permet pas de délivrer un traitement dans les six premiers mois de la phase aigüe de l’hépatite C ou en cas de réinfection, contrairement à ce qui s’est fait dans l’essai. Lucy Garvey de l’Imperial college of London a exprimé sa crainte de voir cette baisse éphémère et de voir une hausse se (re)produire, faute d’un élargissement de l’accès aux AAD par les autorités anglaises. Quant aux hommes gays séronégatifs au VIH, elle estime qu’il n’y a pas plus de risque pour eux de se contaminer au VHC que les personnes vivant avec le VIH, même si elle estime que la Prep, leur est absolument nécessaire pour pouvoir dépister une (ré)infection au VHC dans le suivi. Elle rappelle d’ailleurs que la Prep n’est, elle aussi, disponible gratuitement en Grande-Bretagne que dans le cadre d’un essai thérapeutique.

IST : une hausse antérieure à la Prep

De 2012 à 2016, il y a eu baisse du VIH chez les hommes ayant des relations sexuelles au Royaume-Uni, notamment grâce à un dépistage régulier. La Prep est arrivée en 2015 via un essai. Le but de l’étude a été de déterminer la prévalence et le nombre de nouvelles IST avant l’arrivée et la mise en place large de la Prep. Les trois principales IST (syphilis, chlamydiae, gonococcie) ont augmenté de 2012 à 2017, alors même qu’il y a eu baisse du nombre de nouveaux diagnostics VIH, notamment à partir de 2016, avant même le passage à l’échelle de la Prep. D’après ces données, on ne peut donc pas lier la hausse des IST avec l’arrivée de la Prep. Sachant qu’un dépistage régulier, avant même le suivi Prep, avait déjà contribué à la baisse du VIH chez les hommes ayant des relations sexuelles au Royaume-Uni.

Dépistage et traitement : le combo gagnant ?

L’étude d’impact du traitement universel en Zambie (essai Popart) apporte encore une preuve de l’intérêt de la promotion du traitement immédiatement après un diagnostic de VIH. Dans un contexte subsaharien, les chercheurs-euses de Popart (HPTN 071) ont voulu voir comment on peut avoir un impact sur les contaminations grâce à un tel programme. Cet essai a été implanté dans 21 communautés en Zambie et en Afrique du Sud, soit auprès d’un million de personnes. C’est le plus gros essai de Tasp jamais mis en place. Un essai qui comparait trois groupes, un groupe A avec une intervention renforcée avec mise sous ARV immédiate, puis un groupe B avec le même accompagnement, mais une mise sous traitement selon les recommandations du pays, ou enfin une prise en charge telle que les standards du pays le permettent (groupe C). Cette étude observationnelle a démarré en 2013 dans ces pays, qui ont d’ailleurs adopté en 2016 (trois ans plus tard que le groupe A) le traitement universel dès le diagnostic. L’intervention Popart se composait d’un test VIH à tout le monde, un dépistage des IST et de la tuberculose et une proposition de préservatifs + gels et de protection pour femmes enceintes, ainsi qu’un accompagnement vers le soin en cas de diagnostic positif. La proposition se faisait via du porte à porte, par des intervenants-es communautaires qui référaient à une clinique. La cohorte était assez jeune (moins de 35 ans à 75 %) avec une prévalence moyenne de 20 % chez les femmes et les hommes dans ces communautés. Grâce à l’étude, la couverture en antirétroviraux s’est établie à 81 % avec un petit trou d’air chez les plus jeunes. Les résultats montrent que la réduction de l’incidence avec l’offre la plus complète était de seulement 7 %, soit pas significative, mais de 30 % dans le groupe B. Ce qui signifie que la mise sous traitement immédiate n’a pas montré de supériorité à la mise sous traitement à partir d’un seuil défini de CD4. Ce résultat a étonné les chercheurs-euses et ces derniers souhaitent faire de nouvelles recherches pour en comprendre les raisons. Au final, le traitement universel délivré plus en amont que les recommandations du pays ne montre pas d’effet supplémentaire, mais l’essai montre l’intérêt d’une intervention communautaire proactive dans le lien vers le dépistage et le maintien dans la prévention et le traitement afin d’atteindre les objectifs de l’Onusida (90-90-90) en termes de couverture en antirétroviraux, qui doit se traduire par une baisse des contaminations.

Plénière sur les polymédications

Les personnes vivant avec  le VIH sont nombreuses à présenter des comorbidités, en particulier après 50 ans. La polymédication est définie par la prise de plus de cinq médicaments hors antirétroviraux. Une cohorte espagnole a montré qu’il y avait plus de polymédication chez les personnes vivant avec le VIH, en tenant compte de l’âge. Ceci augmente le risque d’interactions médicamenteuses qui peuvent diminuer l’efficacité des antirétroviraux ou augmenter leur toxicité. Ces interactions peuvent être identifiées au cours du développement des médicaments (lors des essais), mais parfois plus tard dans des études observationnelles après la mise sur le marché (dans la vraie vie). Les interactions peuvent concerner le foie ou le rein, là où les médicaments sont métabolisés ou éliminés. Les interactions n’ont pas toutes le même impact clinique et les interprétations peuvent varier dans les recommandations de prise en charge selon les pays. Les questions les plus fréquentes se posent pour les statines, puis les inhibiteurs de la pompe à protons (anti-acides). Les statines perdent de leur efficacité avec certains antirétroviraux. Le dabigatran (Pradaxa), un nouvel anticoagulant est augmenté par les boosters des antirétroviraux, surtout par le cobicistat. Les antituberculeux ont beaucoup d’interactions avec les antirétroviraux qui ouvrent tout un champ de recherche en pharmacologie pour mieux adapter les schémas et les doses d’ARV pour les personnes ayant besoin d’antituberculeux. L’arrivée des ARV à longue durée va poser de nouvelles questions sur ce point des interactions.

Aspects neurologiques du VIH

On peut trouver du virus dans le liquide céphalorachidien (reflet de sa présence dans le cerveau) même quand la charge virale est indétectable dans le sang. Pour prouver qu’il y a bien de la réplication dans le système nerveux central, il a fallu montrer qu’il y a des cellules infectées, et que les souches de virus sont différentes de celles du sang et ont des propriétés différentes. Les virus se répliquent à partir des macrophages (M-tropic) qui ont du CD4 et du CCR5 à leur surface. Un quart des personnes vivant avec le VIH et qui a moins de 400 CD4/mm3, a du virus dans le système nerveux central. Chez les personnes dont le virus est contrôlé, on voit de la réplication dans le système nerveux central chez environ 10 à 15 % des personnes.

Prep

Prep et Tasp sont les deux piliers du plan américain pour mettre fin à l’épidémie. Cependant, dans le monde, peu de personnes qui en auraient besoin ont effectivement accès à la Prep : 275 000 personnes aux États-Unis et 199 000 dans le reste du monde ; le Kenya étant le deuxième pays après les États-Unis dans l’accès à la Prep. Il existe de nombreuses barrières : la stigmatisation, son coût, la non-perception du risque, la complexité des parcours Prep, etc. Il faut en simplifier l’accès, peu importe les modalités.

Fonction rénale

Une analyse de l’essai Ipergay s’est intéressée aux anomalies de la fonction rénale, en comparant les participants du groupe placebo et du groupe qui avait pris le Truvada. Il n’y a pas eu de différences significatives entre les deux groupes, y compris chez les participants les plus âgés ou ceux qui avaient des paramètres rénaux à la limite de la normale. Il existe un effet rénal connu, lié à l’exposition au Truvada lié à la dose de médicament actif pris en Prep, certes significative, mais qui ne fait pas passer le seuil problématique.

Tester la créatinine dans un point of care

Comme évoqué au-dessus, c’est la créatinine qui permet de mesurer la fonction rénale. Cette mesure reste jusque-là nécessaire à l’initiation d’une Prep. Une étude a voulu déterminer s’il était possible de mesurer la créatinine dans des lieux décentralisés avec un système de point of care. La créatinine n’était mesurée que chez les personnes qui voulaient prendre la Prep. Elle se mesure très rapidement, en seulement trois minutes. Sur 4 168 femmes du programme, 16 d’entre-elles ont été écartées à cause d’un taux de créatinine anormal. Les auteurs-res en concluent que cet événement demeure trop rare pour avoir à introduire ce test de manière routinière, surtout dans des contextes où les ressources sont limitées.

Maintien dans la Prep à Atlanta

Les hommes noirs ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes noirs appartiennent au groupe où l’incidence du VIH est la plus forte aux États-Unis. Malgré la Prep, on reste sur des taux d’incidence de près de 6 % par an. La Prep est sans doute abandonnée trop vite et une étude a voulu étudier la durée de maintien dans la Prep au sein de cette population. Sur 125 personnes qui l’ont initiée, seules 49 sont restées dans la Prep, tout le long de l’étude. Après 219 jours, la moitié de la cohorte avait arrêté la Prep. Les jeunes, les consommateurs réguliers de cannabis, ceux qui ont eu des IST et ceux qui ont moins de partenaires, apparaissent comme ceux qui arrêtent plus rapidement la Prep.

Adolescentes et Prep au Kenya

Les jeunes filles au Kenya sont une population particulièrement exposée au risque du VIH. Une étude a mesuré au cours du temps l’initiation de la Prep, auprès de jeunes filles qui venaient dans des consultations de santé sexuelle. 400 jeunes filles ont été recrutées, et 168 d’entre-elles étaient éligibles, mais seulement 9 ont accepté la Prep, soit un taux d’acceptation de 2,25 %.