Croi’s anatomy

Publié par Rédacteur-seronet le 14.02.2017
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ConférencesMathieu Brancourt et Bruno Spire

De l’autre côté du monde. Seronet a fait le (long) voyage jusqu’à Seattle (Etats-Unis). La capitale de l’Etat de Washington accueille la Croi (Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes), plus grande conférence scientifique américaine sur ces enjeux, dans laquelle le VIH a une place centrale. Terreau de Starbucks et de Microsoft, cette ville est surtout connue des accros à la série Grey’s anatomy, qui suit depuis 14 saisons les péripéties médicales et amoureuses de ses héros. Mais cette cité verte et progressiste devient le temps d’une semaine le centre névralgique des discussions et débats sur l’avenir de la recherche scientifique sur des maladies comme Zika, Ebola, le VIH et les hépatites virales. Vaccins, nouveaux traitements, effets indésirables : de nombreuses nouveautés émailleront cette Croi 2017. Retour sur la journée d’ouverture, qui n’a pas manqué de prendre le pouls du monde, et pas seulement celui du VIH.

La Croi a été créée en 1993, par une communauté de chercheurs qui pensaient que la lutte contre les maladies infectieuses ne pouvait être conduite que de façon mondiale. Et cela en validant et évaluant les recherches et études sur les maladies qui ont un impact sur la santé publique sur l’ensemble du globe. Aujourd’hui, 40 % des présentations d’études sont proposées par des scientifiques travaillant en dehors des Etats-Unis. Dans les travées de la conférence, on croise le professeur Yazdan Yazdanpanah, chercheur franco-iranien, un des pays concernés par les restrictions à l’immigration de la nouvelle administration Trump. Grâce à l’appel d’un juge fédéral, de Seattle, il a pu au dernier moment se rendre à la Croi 2017. Ce sont des faits.

Le sida ne discrimine pas, la science non plus !

C’est ce que rappelle Susan Buchbinder en conférence de presse, lundi après-midi. La présidente de cette édition 2017, rappelle la forte opposition de la Croi contre le "Muslim ban", décidé par le nouveau président Donald Trump. "Cette mauvaise politique a été rejetée pour l’instant et nos chercheurs possiblement concernés ont pu se rendre à Seattle, mais nous savons que, si elle s’appliquait, cela représenterait une grave atteinte au sens de la conférence : rassembler les chercheurs du monde entier. De ce point de vue, nous sommes inquiets". Dans ce contexte, cette conférence, tout ce qu’il y a de plus scientifique, a pris une tonalité très politique. Durant la cérémonie d’ouverture, Susan Buchbinder a renouvelé avec véhémence (et sous les applaudissements des 4 200 participants), le rejet de la discrimination au nom des origines et de l’appartenance religieuse par le monde scientifique mondial. Une marche de la Science, pour porter ces revendications d’indépendance, mais aussi de liberté de mouvements et d’alliances, aura lieu le 22 avril prochain, partout sur le globe. Et tout le monde en parle déjà.

Programme chargé

Plus habituelle, la présentation générale des grandes thématiques de cette édition 2017, par sa collègue Judith Currier, de l’université de Los Angeles. La chercheuse a détaillé en grandes lignes les aspects saillants des présentations proposées cette année. Avec une touche très américaine et des nouvelles données épidémiologique sur les Etats-Unis. Comme le fait que les deux tiers des nouveaux diagnostics VIH, entre 2011 et 2016, se font chez les hommes noirs-américains ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes. Des posters et des abstracts détailleront également l’état du dépistage et de l’accès aux soins des personnes séropositives vivant aux Etats-Unis. Le charme discret du microbiote, ou flore bactérienne intestinale, sera aussi à l’honneur. Ce ferment du "deuxième cerveau" a une réelle influence sur la réponse virologique du corps humain, notamment via la concentration des médicaments. Un essai de PrEP orale chez les femmes sera présenté cette semaine. Des données sur les IST, ces nouvelles camarades de chambrée du VIH, qui sont en forte hausse, et doivent être prises en compte. On n’oubliera pas les recherches sur les nouveaux médicaments, comme les inhibiteurs de capsides, ces molécules au rôle particulier, qui pourraient bien devenir une nouvelle classe de médicaments. Aussi, des essais cliniques sur les effets indésirables ou les complications associées à la vie avec le VIH (vieillissement/cancer/AVC) chez les personnes séropositives. "Il y aura un très large choix de sujets, de Zika au sida. Il est important et encourageant d’avoir de nouvelles données sur les nouveaux médicaments et de voir des améliorations", ajoute Judith Currier. "Un programme étudié et riche, sur différents sujets où tout le monde pourra y trouver son compte". Impossible de tout voir ni d’assister à toutes les prises de paroles, cette année, 903 présentations sont proposées ! Pas le choix, il faudra en faire un, telle sera notre devise ces trois prochains jours. A demain !

Bernard Field, malin comme un singe
Au temps de la revendication politique a suivi celui de la mémoire de la recherche, durant la cérémonie d’ouverture. Deux lectures d’hommage, trait d’union entre le travail d’hier et d’aujourd’hui à des chercheurs décédés. L’une était en l’honneur de Bernard Field, un des précurseurs de la recherche sur le VIH/sida, disparu à 57 ans en pleines années noires. Ses recherches sur les singes ont permis de mieux comprendre le fonctionnement du VIH et connaissent un prolongement aujourd’hui comme l’a rappelé Jeffrey Lifson. Le chercheur du Frederick national laboratory (Maryland) a fait une synthèse des études de ces travaux sur le modèle animal du singe, qui ont permis de mieux comprendre le fonctionnement du VIH. Depuis qu’on connaît le rôle de la charge virale dans l’histoire naturelle de la maladie, on a travaillé sur des modèles simiesques, notamment en recherche vaccinale. Il existe plusieurs modèles singes à utiliser différemment selon les problématiques. La limite de ces modèles est que le singe n’est pas l’homme et que le virus utilisé est le SIV, pas le VIH. Récemment avec des anticorps neutralisants, on a pu montrer leur effet protecteur en modèle singe. On a pu aussi démontrer le rôle de la muqueuse intestinale en tant que lieu de réplication majeur du virus lors de la primo-infection, induisant ensuite une migration de bactéries dans le système sanguin, appelé translocation microbienne, et une activation massive du système immunitaire favorable à la réplication du virus. Ce phénomène d’attaque de la barrière intestinale n’existe pas chez les singes, qui ne développent pas le sida bien qu’infecté par le virus. Certains essais pour un vaccin semblent efficaces chez les singes et leurs analyses, en cours, montrent que l’efficacité n’est pas due à une réponse immunitaire classique. Ces modèles permettent également d’étudier comment le virus s’intègre dans l’ADN, afin de mieux comprendre son fonctionnement et trouver de nouvelles stratégies visant l’élimination du virus pour la "guérison", mais aussi réfléchir sur la variabilité génétique et donc mieux sélectionner les candidats vaccins.