Drogues et sexe : je milite pour l’effet "kiss kool" !

Publié par Sophie-seronet le 05.05.2011
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Parler sexe et produits, parler sexe ou produits… n’est pas facile… Cela peut même se compliquer en fonction des lieux, des habitudes et d’une propension que les militants ont, parfois malgré eux, à cataloguer un peu vite les personnes. Chargée de mission sur les hépatites, la réduction des risques pour les personnes consommatrices de produits et les prisons, Aurélie revient sur son expérience et ses solutions expérimentées pour sortir des automatismes. Interview.
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Il semble qu'on oublie parfois, par exemple dans les accueils CAARUD, que les personnes qui consomment des produits psycho-actifs ont AUSSI des relations sexuelles. Comment expliques-tu le fait, concernant les personnes fréquentant les CAARUD, qu’il faille rappeler ce qui peut sembler une évidence ?
On voit les gens entrer à AIDES par différentes portes. Parfois, c’est celle du CAARUD [Centre d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des Risques auprès des Usagers de Drogues, ndlr], et on se dit forcément alors qu’ils viennent récupérer du matériel d’injection stérile ou pour parler de leur consommation de drogues ou de médicaments, comme les traitements de substitution aux opiacés -héroïne- par exemple. Spontanément, on pose une étiquette sur les gens… Ils sont d’abord "drogués" avant d’être des gens, avant d’Etre ! Maintenant, faisons entrer un homme dont le look n’a absolument rien à voir avec celui des "punks à chiens", ni des "gars de la rue", immédiatement, on pensera qu’il vient discuter avec nous de ses pratiques sexuelles voire récupérer des préservatifs et du gel ! Le plus souvent, on n’imaginera pas un instant qu’il vient peut-être chercher de l’info sur les risques liés aux drogues, ou parler des effets ressentis par ses consommations de produits. De la même manière, lui aussi se verra coller une étiquette. Lui aussi sera ramené à ses pratiques sexuelles avant d’être une personne, avant d’Etre !

Quel signe y vois-tu ?
Personnellement, c’est que l’on catégorise trop souvent les gens et qu’on les met trop vite dans des cases. Il nous faut dépasser nos propres représentations et penser en transversalité. C’est-à-dire penser la personne comme un tout et ne pas la résumer à une identité, souvent plaquée par nous-même. On peut être consommateur de produits et avoir une sexualité avec des hommes et des femmes, avoir de multiples partenaires, vivre en couple, etc. Il est primordial de pouvoir aborder ces sujets avec la personne que l’on accompagne, le but étant de l’aider à réduire tous les risques qui peuvent exister. Une personne est un ensemble de plusieurs choses, et elle ne se résume pas à un seul type de mode de vie. Je me demande également dans quelle mesure on ne contribue pas à ce que les personnes qui viennent à AIDES se catégorisent elles-mêmes… Si je suis gay et que je consomme du poppers, vers quel accueil vais-je d’avance me tourner ?

Dans le CAARUD d'Avignon que tu connais bien, un temps a été proposé aux personnes pour parler de sexualité. Est-ce une initiative fréquente des CAARUD et les personnes parlent-elles facilement de sexualité ?
Nos acteurs, qui sont des militants de la lutte contre le VIH/sida avant tout, ont, très souvent, l’idée et l’envie de proposer des espaces de paroles qui permettent aux personnes d’avoir une parole spécifique autour de la sexualité. Parce que réduire les risques liés à la consommation de produits, c’est aussi rappeler qu’il ne faut pas oublier de mettre une capote après une soirée bien arrosée ou lorsque l’on a pris de la cocaïne par exemple.  Alcool et cocaïne sont tous deux des produits psycho actifs. Par ailleurs, ce n’est pas parce que l’on fréquente un CAARUD que l’on échappe à la loi universelle de l’excitation et de "l’envie très pressante" de faire l’amour, qui va faire que, cette fois-ci, on ne va pas mettre de préservatif. Ce que l’on observe, et ceci est valable également dans les CAARUD qui ne sont pas animés par AIDES, c’est que parler de pratiques sexuelles en toute simplicité avec les autres n’est pas chose aisée. Les personnes consommatrices de produits ne sont pas différentes des autres, elles ne parlent pas de sexe aussi facilement que ça. Pour certaines d’entre elles, elles font une différence : c’est le CAARUD qu’elles fréquentent, et pas l’association AIDES, même lorsque c’est l’association qui le gère. C’est à nous de rappeler que c’est la porte d’une association de lutte contre le sida et les hépatites qu’elles ont aussi ouverte en arrivant chez nous… dans un CAARUD. Pour favoriser l’émergence d’une parole sur la sexualité, c’est à nous de créer des espaces intimistes et sécurisants. Enfin, comme pour les autres personnes, entendre son mec ou sa nana s’extasier autour des plaisirs sexuels devant tout le monde peut être très dérangeant, alors on doit, sans hésitation, dire souvent dans nos accueils que AIDES c’est aussi ça, un endroit où parler sexe et prises de risques… Eh bien, c’est naturel !

La notion de plaisir est évidemment associée à la consommation de produits.  D'après ton expérience, est-ce que la notion de plaisir concernant la sexualité est posée par les personnes dans les mêmes termes, la même importance ?
La drogue (ainsi que ses consommateurs-trices) fait les mauvais frais d’une vision généraliste négative de la notion de plaisir. Ceux qui jugent diront : "Ah ! Il ou elle se drogue, alors il ou elle est dépendant-e !" Sauf qu’on oublie de dire qu’il y a d’abord du plaisir à consommer, bien avant la notion si facilement tracée de dépendance. Lorsqu’on fait l’amour pour la première fois, c’est bien parce qu’on est attiré par la découverte d’un plaisir inconnu, dont tout le monde parle comme étant "exceptionnel". Lorsqu’on goûte à une drogue pour la première fois, c’est aussi du plaisir que l’on est venu chercher. De la même manière, c’est un plaisir exceptionnel que l’on veut trouver. Je ne crois pas qu’il y ait de différence ou de hiérarchie entre le plaisir sexuel et le plaisir à consommer des produits. Parlez-en un peu autour de vous et vous verrez que les consommateurs d’alcool vous diront que boire avant de faire l’amour, et bien c’est très plaisant ! Vont-ils pour autant préférer l’un à l’autre ?  Pas si sûr ! Consommer des drogues ou faire l’amour, il n’y a pas de choix à faire ! On est tous des êtres humains à la fois égaux devant le sacro saint plaisir et faillibles aussi, que ce plaisir soit apporté par le sexe, le chocolat ou l’héroïne.


Qu'est-ce qui explique les difficultés des personnes fréquentant les CAARUD à s'exprimer facilement sur la sexualité, les pratiques, leurs éventuelles prises de risques ?
Que l’on consomme des drogues, de l’alcool ou que l’on n’en consomme pas, parler de sexualité et des pratiques que l’on a avec son, sa ou ses partenaires lorsque l’on fait l’amour, ce n’est ni simple, ni si évident que cela ! Avant d’être dans un accueil de AIDES, connaissons-nous des lieux où l’on peut parler de sexe librement sans être jugé par les autres ? Dès que l’on commence à dire que l’on aime le sexe, on passe vite pour un(e) excentrique non ? ! Ce n’est pas en famille, avec ses amis, à l’école ou au travail que l’on parle le plus facilement de pénétration anale ou vaginale, ni même de plaisir sexuel d’ailleurs. Parler de sexe en général est malheureusement toujours tabou, et cela quel que soit son âge, son sexe, ou le milieu social auquel on appartient. Quand on se trouve dans un CAARUD, on libère plus facilement la parole autour des drogues parce que le lieu est identifié comme tel. Après tout, sa dénomination, c’est : "Centre d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des Risques auprès des Usagers de Drogues". Si demain, on appelait ces centres des CAARUP - P pour plaisir -, sans doute serait-il plus simple, et moins tabou, de parler de TOUS LES PLAISIRS en général !

Récemment, Dominick Descharles, chargé de mission à AIDES auprès des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) et toi vous avez proposé un moment dynamique et inédit pour conduire des militants investis auprès des HSH et ceux investis auprès des consommateurs de produits à réfléchir au cloisonnement qui existent dans les actions de AIDES et plus largement dans les stratégies de prévention conduites. Pour faire simple, vous vouliez questionner la tendance à classer les personnes dans des cases en fonction de critères qui ne permettent pas de prendre en compte la richesse des parcours et la possibilité pour une même personne d'appartenir à deux, voire à plusieurs groupes. Etre gay et consommateur de produits ; être consommatrice de produits et vivre en couple ; être consommateur de produits et vivre le multipartenariat, etc. Qu'est-ce qui vous à inciter à lancer cette réflexion et qu’en attendez-vous ?
J’ai soumis cette idée à Dominick parce que je n’ai jamais oublié cette sensation que j’avais eue il y a quelques années, lorsque j’ai fait mes premières actions auprès des HSH. J’étais volontaire à l’époque, et ce qui m’a frappée, c’est la facilité avec laquelle on abordait la sexualité avec ces hommes. Plus tard, lorsque je suis devenue salariée sur le CAARUD d’Avignon, il y a eu un matin où un volontaire investi dans les actions HSH est venu participer à l’accueil du CAARUD : jamais, on a parlé de sexe aussi facilement avec les personnes présentes. Ça aussi, ça m’a frappée. Depuis, j’ai grandi dans AIDES en voyant les militants investis auprès des HSH comme "les pros" de la réduction des risques sexuels (RDR sexe) ; de la même manière qu’on nous voit, nous qui sommes investis dans les CAARUD, comme "les pros" de la réduction des risques auprès des usagers de drogues. Avec le temps, on se cloisonne nous-mêmes et on ne s’en rend même plus compte. Souvent, j’entends dire qu’il est difficile de parler d’usage de produits avec les personnes qui fréquentent les autres accueils de AIDES, et je me dis qu’on passe à côté de quelque chose d’important, dès lors qu’il s’agit pour nous d’accompagner de façon globale les personnes qui viennent rencontrer l’association. Après tout, la consommation de drogues, même si elle n’est qu’occasionnelle, peut avoir une incidence sur l’efficacité des trithérapies. Comme le fait d’oublier, dans l’euphorie de la consommation de produits, une prise du traitement par exemple. Je nous rêve "polyvalents" même si ce terme n’est pas très joli ! Et je ne veux pas oublier que je suis une actrice de la lutte contre le sida et les hépatites avant tout. Que même si on s’est "spécialisé" sur une thématique, on a tout à apprendre justement des uns et des autres, et je voudrais militer pour un réel transfert de nos compétences ! Et ce dans l’intérêt des personnes que l’on accueille et que l’on accompagne chaque jour. C’est le double effet "kiss kool" de la multiplicité et de la complémentarité des acteurs de AIDES !