Drogues : le feu vert, c’est pour quand ?

Publié par jfl-seronet le 30.10.2012
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RDRdrogues
Excellente séance d’ouverture pour les Quatrièmes rencontres nationales de la réduction des risques liés à l’usage de drogues (25 et 26 octobre derniers)… Il a beaucoup été question des salles de consommation à moindre risque. Et la nouvelle présidente de la MILTD était là… Seronet aussi.
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"Et si vous étiez la président-e de la MILDT ?" La question servait de slogan à l’AFR (Association française de réduction des risques) lors de la dernière campagne présidentielle. Façon de chercher à comprendre quelle politique des drogues les candidats, alors en lice, entendaient proposer et appliquer. "Et si vous étiez la président-e de la MILDT ?", cette même question a servi d’apostrophe lors de l’ouverture (jeudi 25 octobre) des Quatrièmes rencontres nationales de la réduction des risques liés à l’usage de drogues. Et cela tombe d’autant plus à propos que la titulaire, Danièle Jourdain-Menninger, récemment nommée, est dans la salle.


Dans les faits, la question initiale a été complétée d’un "… quelle serait votre première mesure ?" "Cela va être compliqué", avance-t-elle prudemment… et puis elle lâche : "Ma première décision a été de venir !" Rien que cela signe une rupture avec son prédécesseur Etienne Apaire qui, de l’avis de nombreux militants, a trop longtemps sévi à la tête de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie (MILDT). Prédécesseur qui avait dédaigné participer aux précédentes rencontres. Attendue, Danièle Jourdain-Menninger est, à défaut d’annonces précises, surtout venue parler de sa méthode de travail. Sa technique, c’est le "aller vers"… aller à la rencontre des acteurs, écouter, rencontrer des personnes, des experts aussi. Elle entend se rendre à Marseille, Bordeaux, à la Gare du Nord… partout où on l’invitera. Qu’on se le dise !


Côté fonds, la nouvelle présidente de la MILDT réaffirme l’importance de la réduction des risques, notant au passage que cela figure d’ailleurs "en bonne place dans la lettre de mission" que le Premier ministre lui a donnée. Elle rappelle aussi des idées, largement enterrées sous l’ère Apaire, comme le fait qu’on "ne peut pas mener une politique de santé publique sans les usagers".  Elle entend défendre le réalisme et le pragmatisme et renouer avec l’esprit de Nicole Maestracci, une ancienne présidente de la MILDT, nommée par Lionel Jospin, qui croyait en la science pour étayer les choix en matière de politique des drogues plutôt que dans l’opinionisme. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Danièle Jourdain-Menninger a rappelé qu’elle a travaillé avec Nicole Maestracci.
 
Le feu vert, c’est pour quand ?
Evidemment, à la suite de l’annonce de Marisol Touraine sur son souhait d’expérimenter avant la fin de l’année des salles de consommation à moindre risque, on attendait avec impatience les propos de la présidente de la MILDT. Premier message : "La MILDT est en ordre de marche" et attend le feu vert du gouvernement. Deuxième message, il faut avancer "dans la concertation avec les élus locaux de gauche comme de droite, les forces de police et de gendarmerie, les habitants… On réfléchit à une méthode", explique Danièle Jourdain-Menninger, qui permette la meilleure concertation possible. Concertation qu’elle entend aussi réaliser dans l’élaboration du prochain plan pluriannuel d’action de la MILDT. Troisième message, Danièle Jourdain-Menninger met en garde contre une focalisation trop forte sur les seules salles de consommation. Et la présidente de la MILDT de citer, entre autres, les "prises en charge en détention".


Pour elle, il convient d’entamer un travail sur l’ensemble des situations. Cette vision large, d’autres intervenants l’ont eue lors de l’ouverture de ces Rencontres, même si chacun a parlé de ce projet de salles de consommation à moindre risque. Comment d’ailleurs faire autrement quand, à lui seul, ce projet symbolise les frilosités françaises, l’immense retard pris du fait des décisions politiques en matière de réduction des risques. C’était d’ailleurs intéressant de voir la diffusion d’un reportage télé fait par une chaîne locale marseillaise sur les projets de salles d’injection supervisée à Marseille. Le sénateur-maire UMP de la cité phocéenne y expliquait que la mairie était prête depuis longtemps à cette expérimentation dans la ville, mais que le Premier ministre d’alors, lui aussi UMP, François Fillon, le lui avait interdit. Le maire reconnaissait que ce dispositif aurait pourtant été utile pour la santé publique des Marseillais, notamment ceux des groupes les plus précarisés… Du côté de Marseille, on avance. Deux sites ont été retenus pour de futures salles : le quartier de la Gare saint-Charles et celui de Sainte-Marguerite ; une salle itinérante pourrait être proposée dans les quartiers nord de la ville. Adjoint au maire de Marseille, le docteur Patrick Padovani a d’ailleurs adressé un message aux participants des rencontres pour rappeler l’engagement de la ville dans ce domaine. Il attend, lui aussi, le feu vert !
 
Faites-nous confiance !
Par contraste, on pouvait même trouver Jean-Marie Le Guen, député PS et adjoint au maire de paris à la Santé, un peu moins offensif, plus mécanique dans son soutien aux salles d’injection. L’élu parisien est certes un défenseur de longue date de la réduction de risques, mais sa prestation assez convenue et quelques approximations (du genre : "La politique de RDR a bénéficié, du côté politique, d’un traitement consensuel" !) ont placé son intervention bien en deçà de celles des autres intervenants. Il faut dire que sa tache n’est pas très facile puisque sa mission semblait de nous convaincre de faire confiance au gouvernement. Que Marisol Touraine soit convaincue de l’intérêt de telles salles peut-être, mais quelles sont les garanties données par d’autres ministres : Manuel Valls à l’intérieur, Christiane Taubira à la Justice ? Bien sûr, on ne doit pas publier que Manuel Valls, l’été dernier, a indiqué que les "salles d’injection sont une question de santé publique", mais il n’a pas précisé depuis… comment cela se traduirait. La question mérite d’être posée lorsqu’on entend l’intervention de Marie Debrus, présidente de ces Quatrièmes rencontres, citant l’exemple d’une personne consommatrice venue à une action de prévention proposée par une association et interpellée 10 mètres plus loin par la police en sortant de l’action. Les salles d’injection ne fonctionneront pas si les pressions policières s’exercent à proximité des lieux.

En finir avec la loi de 70
Mais du point de vue des militants, des experts, cet exemple illustre un dysfonctionnement bien plus important : la permanence de la loi de 70. "C’est une loi qui est définitivement obsolète", tranche Gilles Garnier, conseiller général délégué de Seine-Saint-Denis chargé de la prévention des conduites à risques. Très logiquement, cette loi qui pénalise l’usage simple des drogues doit être abrogée... parce qu’elle n’est plus adaptée, pire parce qu’elle est contreproductive, dangereuse et mortelle pour des gens. C’est le message qu’a fait passer Anne Coppel, présidente d’honneur de l’AFR. Celle qui se définit elle-même comme le "dinosaure en chef" de la RDR française, rappelle que cette loi était tombée en désuétude parce que certaines peines n’étaient plus appliquées, mais tout a changé en 2007. "Il s’est passé un tournant majeur, note-t-elle. Celui de la tolérance zéro, des peines planchers". La France a alors choisi d’appliquer la même politique que celle conduite aux Etats-Unis : multiplication des arrestations et condamnations pour simple usage, automaticité de certaines peines, etc. D’ailleurs, renvoie-t-elle aux militants dans la salle, "c’est bien joli de distribuer des seringues en prison.. mais le mieux, c’est encore de ne pas y aller !" Pour Anne Coppel, les signes sont désormais nombreux qui exigent, en urgence, la fin de la loi de 70. "Les overdoses augmentent de nouveau aujourd’hui, leur niveau est égal voire supérieur à celui de 1992/1993. La santé des usagers s’est dégradée. Et, faut-il le rappeler… 4 000 personnes décèdent d’une hépatite par an en France".

Et pourtant, on ne sort pas encore le crêpe noir pour un enterrement de première classe. La présidente de la MILDT, Danièle Jourdain-Menninger, ne dit rien d’un changement de cette loi. De son côté, Clarisse Taron du Syndicat de la magistrature défend la nécessité d’une nouvelle politique des drogue… dont le préalable est l’abrogation de la loi de 70. Même avis de serge Longère, président de l’AFR. Celui-ci pointe d’ailleurs d’autres problèmes comme "l’obscurantisme" des gouvernements à l’égard des nouveaux outils de réduction des risques pourtant indispensables. Il parle du "manque de courage" et ironise sur la "procrastination" des politiques. Sénatrice (PC) du Val de Marne, Laurence Cohen met en garde contre un débat qui se cantonnerait aux experts. Pour elle, il faut à la fois un accompagnement de l’opinion publique et conduire un  travail de conviction. C’est d’ailleurs, rappelle-t-elle, ce qu’elle a conduit au Sénat avec un groupe de travail qui a élaboré une Charte : "Une autre politique des drogues est possible". Elle s’appuie sur cette initiative pour convaincre les politiques autour d’elle, mais reconnaît que c’est difficile. Elle a demandé un rendez-vous à Marisol Touraine, mais n’a pas encore obtenu de réponse. Elle a fait de même avec Christiane Taubira à la Justice, pas davantage de réponse. Une histoire de feu vert sans doute !