Eliminer le VHC : l’Afef a un plan !

Publié par jfl-seronet le 26.04.2018
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ThérapeutiqueVHChépatite C

Le 14 mars, la société française d’hépatologie (Afef) a présenté ses nouvelles recommandations pour l’élimination du VHC en France. Elles s’organisent autour de deux axes prioritaires : le traitement universel et le dépistage universel. Seronet était à la présentation de ces recommandations qui n’attendent désormais qu’un soutien du gouvernement pour être largement appliquées.

Elimination du VHC en France. L’objectif est parfaitement réaliste, explique le professeur Christophe Bureau (CHU de Toulouse), secrétaire national de l’Afef. "Et nous avons même les moyens de l’atteindre en 2025 en France, bien avant l’objectif de 2030 qu’a fixé l’Organisation mondiale de la santé". Mais pourquoi s’engager dans cet objectif ? "Parce que c’est une priorité de santé publique", explique-t-il. "Les hépatites virales sont, au niveau mondial, la première cause de mortalité imputable aux maladies infectieuses. En France, 120 000 personnes restent à traiter et 75 000 patients ne sont pas connus". Les estimations évoquent le chiffre de 2 000 nouvelles contaminations par an…

L’élimination est possible, estiment les expert-e-s de l’Afef, parce que les conditions sont réunies pour. "Il existe des moyens simples de diagnostics qui ne passent pas par des examens invasifs, des moyens simples de caractériser la sévérité de la maladie, des schémas courts de traitements qui sont efficaces et bien tolérés", détaille Christophe Bureau. Et surtout, on peut inciter au dépistage car, à la clef — en cas de diagnostic positif — il y a pour la quasi-totalité des personnes, la guérison. Pour les expert-e-s de l’Afef, le concept est assez simple : il faut parvenir à une réduction de 90 % des nouvelles infections et à une diminution de 65 % des cas de mortalité. Sur le plan stratégique, plusieurs mesures simultanées doivent être mises en place autour de deux axes : le traitement universel et le dépistage universel.

Comment faire ?

"Il faut simplifier le parcours de soin, favoriser une prise en charge de proximité, recommander des schémas thérapeutiques simples, efficaces et bien tolérés, limiter le recours aux réunions de concertation pluridisciplinaire(1)", explique l’Afef. Dans les faits, le traitement universel (les agents antiviraux directs sans critères restrictifs d’accès) est possible depuis 2017. Marisol Touraine, alors ministre de la Santé, avait, au terme de longs mois de discussion, décidé cet accès universel aux traitements hautement efficaces contre le VHC — plus de 95 % de guérisons. Les obstacles restent dans le parcours de soins. Il existe des schémas thérapeutiques simples, mais il n’y a pas, en France, d’élargissement des prescripteurs, notamment les médecins généralistes. C’est ce que préconisent les expert-e-s de l’Afef.

"A l'étranger [c’est le cas en Allemagne et en Australie, ndlr], l'expérience de prescription du traitement antiviral par tous les médecins a montré une augmentation significative du nombre de patients traités. Il est donc indispensable d'élargir l'autorisation de prescription des agents antiviraux directs à l'ensemble des médecins", indique le secrétaire général de l'Afef. Et de souligner également que la "dispensation exclusive de ces traitements par les pharmacies hospitalières privées ou publiques constitue un autre frein à l'élimination de l'infection par le VHC. La dispensation par l'ensemble des pharmacies doit être autorisée".

Plus de médecins prescripteurs, un suivi du traitement réalisé par du personnel soignant non médical, des antiviraux à action directe disponibles dans toutes les pharmacies… tout cela est très bien, mais ne pourra fonctionner sans le dépistage universel, indique l’Afef. Les experts estiment que "l’implication de l’ensemble des professionnels de santé dans le parcours de soins du patient infecté par le VHC permettra de sensibiliser ces professionnels sur l’infection et donc sur la nécessité du dépistage".

C’est quoi le dépistage universel ?

C’est le "dépistage de chaque adulte au moins une fois dans sa vie", le "dépistage du VHB, du VHC et du VIH qui doit être combiné" et le remboursement à 100 % par la Sécurité sociale de tous les tests de dépistage. Cela passe aussi par une utilisation plus large des Trod (tests de dépistages à résultats rapides d’orientation diagnostique), notamment par les généralistes. L’Afef compte d’ailleurs lancé dans les prochains mois une campagne grand public incitant au dépistage. Des études, notamment américaines, montrent que le dépistage universel est coût/efficace. En fait, explique l’Afef, on sait que 50 000 personnes en France sont concernées par le VHC et n’imaginent pas être contaminées parce qu’elles n’ont pas de facteurs de risques particuliers (par exemple, elles ne sont pas injectrices de drogues…). S’il y a une proposition de dépistage faite par des généralistes, il est probable que des personnes nouvelles soient diagnostiquées, traitées et guéries ! Par ailleurs, un dépistage régulier doit être proposé aux personnes ayant des facteurs de risque. Par exemple, les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes qui pratiquent le chemsexe. En fait, il s’agit de proposer des stratégies de dépistage différentes selon les personnes, à l’instar de ce qui est fait en matière de stratégies thérapeutiques.

Comment élargir le nombre de prescripteurs ?

Les expert-e-s de l’Afef ont réfléchi, travaillé avec des médecins généralistes, des gastro-entérologues, etc. Ils ont identifié deux situations : la prise en charge dans un parcours simplifié pouvant être assurée par tous les médecins, notamment généralistes, et la prise en charge dans un parcours spécialisé, assurée par des spécialistes. Tout dépend de la situation clinique de la personne concernée.

"Le parcours simplifié concerne les personnes qui ne sont pas co-infectées par le VHB ou le VIH, qui n’ont pas une insuffisance rénale sévère, qui n’ont pas de comorbidité hépatique mal contrôlée [diabète non équilibré, par exemple, ndlr], qui n’ont pas de maladie hépatique sévère [pas de cirrhose, ndlr] et qui n’ont pas eu de traitement antiviral C antérieur", explique le professeur Victor de Lédinghen (CHU de Bordeaux et ancien secrétaire général de l’Afef). Concrètement, le parcours simplifié se déroule de la façon suivante. On réalise une sérologie VHC, demandée par un médecin. Si elle est positive, on fait une mesure de charge virale du VHC, si elle est indétectable, cela veut dire qu’il y a eu "guérison virologique", l’hépatite C a guérie toute seule et n’est pas devenue chronique. Dans ce cas, pas de traitement. Si la charge virale VHC est détectable, on voit si la personne entre dans les critères mentionnés plus haut : elle a déjà eu un traitement par agent antiviral direct, elle est co-infectée VHB ou VIH, elle a une insuffisance rénale sévère, etc. Si oui, le parcours simplifié n’est pas pour elle : elle a besoin d’une prise en charge spécialisée. Si non, le médecin, qui peut être un généraliste, prescrit des mesures de l’élasticité du foie par Fibroscan, Fibrotest et Fibromètre ; des examens faciles à prescrire et non invasifs. Ils permettent de juger de l’état du foie, de la gravité de la maladie. Deux cas : les valeurs sont élevées et sont au dessus des références retenues par les experts dans ce cas, c’est la prise en charge spécialisée qui est recommandée. Les valeurs sont en dessous des références des expert-e-s, dans ce cas, le parcours simplifié est recommandé. Le traitement de référence sera soit Epclusa (un comprimé par jour pendant douze semaines), soit Maviret (trois comprimés par jour en une prise, avec de la nourriture, pendant huit semaines), deux agents antiviraux directs qui sont valables contre tous les génotypes du VHC (pangénotypiques). "Avant de débuter le traitement, il faut rechercher d’éventuelles interactions médicamenteuses, enquêter sur l’automédication et l’usage de la médecine naturelle, l’utilisation des compléments alimentaires, du millepertuis, s’assurer de l’absence de consommation de pamplemousses ou d’oranges sanguines pendant le traitement, et insister sur la nécessité d’une observance optimale au traitement", indique l’Afef. Après le traitement dans le parcours simplifié, on réalise une mesure de charge virale du VHC douze semaines après l’arrêt du traitement. Si elle est indétectable, il y a guérison virologique. Si elle est détectable, on parle de rechute. Il faut alors un avis spécialisé.

Quelle est la prise en charge dans un parcours spécialisé. On a vu, plus haut, les critères pour lesquels une prise en charge spécialisée s’impose. Dans ce cadre, il faut également avoir l’avis d’une RCP (réunion de concertation pluridisciplinaire), mais pour les cas les plus complexes. "La stratégie est bien de choisir le meilleur traitement possible au cas par cas", explique la docteur Hélène Fontaine (Hôpital Cochin, AP-HP, Paris, et membre du collège d’expert-e-s de l’Afef). "Les RCP sont utiles en cas de co-infection  avec le VHB, en cas d’insuffisance rénale sévère [cela interdit l’usage de certaines molécules, ndlr], en cas de cirrhose décompensée, de transplantation d’organe [il faut décider si on traite avant ou après une transplantation, ndlr], de carcinome hépatocellulaire [cancer du foie, ndlr] ou d’échec d’un précédent traitement par agent antiviral direct", explique-t-elle. Les stratégies thérapeutiques vont s’appuyer sur des molécules pangénotypiques (efficaces contre tous les génotypes du VHC) ou non-pangénotypiques. Cela va dépendre si les personnes ont une cirrhose ou pas, si elles ont déjà été traitées ou pas… En fonction, la durée du traitement pourra varier (de huit à seize semaines) et les médicaments utilisés aussi : Maviret, Epclusa, Harvoni, Zepatier.  Des différences existent aussi en matière de suivi… après la RVS (réponse virologique soutenue) : ce qui veut dire que le traitement a marché et qu’il y a guérison virologique. Les personnes sans maladie hépatique sévère et sans comorbidité (pas de consommation d’alcool, pas de syndrome métabolique) ne nécessitent plus de surveillance particulière. Les personnes avec une maladie hépatique sévère ou avec comorbidité hépatique doivent bénéficier d’un suivi du foie à long terme. Enfin, chez les personnes ayant des pratiques ou comportements les exposant à un risque de réinfection, une détermination régulière de la charge virale du VHC est recommandée, explique Hélène Fontaine.

En augmentant le dépistage, en préconisant une mise à disposition des agents antiviraux directs en pharmacies de ville, en ouvrant la prescription à plus de médecins, tout en garantissant une prise en charge optimale — sans pertes de chance — selon la situation des personnes, l’Afef fait le pari qu’il est possible d’éliminer l’infection en 2025 en France. Reste au gouvernement à trancher. C’est à lui de décider d’engager "la mise en place d'un parcours de soin simplifié permettant une prise en charge de proximité des personnes infectées par le VHC", notamment en permettant leur prise en charge par l'ensemble des médecins. L'ouverture de la prescription aux médecins généralistes pourrait intervenir lors de la présentation fin mars du plan national de santé publique dans le cadre de la Conférence nationale de santé, mais l’Afef n’a pas d’assurance à ce stade. Y-a-t-il des arguments contre les recommandations de l’Afef et la stratégie que la société savante défend ? "Nous avons réfléchi… beaucoup. Nous n’en trouvons aucun", conclut le professeur Christophe Bureau.

(1) : La réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) a pour objet d’assurer à chaque personne une prise en charge conforme aux recommandations de bonnes pratiques. Elle réunit des spécialistes : hépatologue, gastro-entérologue, virologue, pharmacien, spécialiste de l’observance, etc.

Les AAD disponibles en pharmacies de ville
Jusqu’à présent, seul, le Maviret, agent antiviral direct, était disponible en pharmacies de ville. Le 13 mars, l'annonce a été faite d'un accord entre le Comité économique des produits de santé (CEPS) et le laboratoire Gilead permettant la disponibilité de Sovaldi (sofosbuvir), Harvoni (lédipasvir, sofosbuvir), Epclusa (sofosbuvir, velpatasvir) et le futur traitement pangénotypique Vosevi (sofosbuvir, velpatasvir et voxilaprévir) en pharmacies d'officines et plus seulement en pharmacies hospitalières, comme auparavant.