États généraux de la bioéthique : la contribution de AIDES

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Droit et socialbioéthique

Tous les sept ans, la loi bioéthique est révisée en France. En 2018, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a été missionné pour piloter des Etats généraux de la bioéthique, pour élaborer un rapport de synthèse destiné à éclairer le législateur. Ce dernier doit rédiger, cet été, un projet de loi qui sera débattu et voté fin 2018 ou début 2019. Lors des Etats généraux, les citoyens et citoyennes, les organisations de la société civile ont été sollicités pour apporter leurs contributions. AIDES a été auditionnée le 12 avril dernier par le CCNE et a publié sur le site des Etats généraux sa contribution.

Ethique de la pratique médicale : consentement libre et éclairé

Les premières lois de bioéthique de 1994 ont érigé le consentement libre et éclairé de la personne comme condition de tout acte médical. Ce principe doit pourtant être sans cesse réaffirmé, alors que des débats ressurgissent parfois sur l’opportunité du dépistage obligatoire du VIH. Le respect du consentement reste encore trop souvent théorique en matière de dépistage ou d’examens. Des cas d’actes médicaux non consentis, et parfois même dissimulés, sont régulièrement signalés dans le cadre de la médecine de travail, particulièrement lors de l’examen médical d’aptitude à l’embauche, notamment sur le dépistage du VIH ou la détection de la consommation de produits psychoactifs. 
La situation est plus alarmante concernant les personnes étrangères. Le basculement de l’évaluation médicale pour l’obtention d’un titre de séjour pour raisons de santé des agences régionales de santé  (ARS) vers l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) en 2016 achoppe avec la déontologie médicale y compris au regard des pratiques d’identito-vigilance à l’égard des personnes demandeuses d’asile vivant avec le VIH. La réalisation de tests de dépistage lors de la visite médicale obligatoire ne garantit pas les conditions d’un consentement libre et éclairé en raison de la pression subie dans ces circonstances. Plus globalement, l’absence de moyens conséquents alloués à la médiation sanitaire et à l’interprétariat ne permet pas d’envisager ce consentement pour les personnes ne maîtrisant par le français, comme l’a souligné l’avis n°127 du CCNE (octobre 2017).

Au-delà de l’information ou du consentement éclairé, AIDES plaide, avec l’association Renaloo (personnes  atteintes de maladies rénales, insuffisance rénale, sous dialyse…) , en faveur de la décision partagée. La décision partagée renvoie à la nécessité d’une relation d’égalité entre le-la patient-e et les professionnels-les de santé. La notion d’information éclairée n’est pas satisfaisante car elle se traduit souvent en réalité par la multiplication de procédures administratives, comme l’illustrent les formulaires de consentement par exemple, et ne permet donc pas de garantir les conditions d’un véritable dialogue entre le-la patient-e et les professionnels-les de santé. La décision partagée mériterait d’être effective notamment pour accompagner le développement de l’éducation thérapeutique du-de la patient-e ou pour faciliter la prise de décision de ce dernier dans des contextes délicats d’échec thérapeutique ou de non-observance. C’est ce sur quoi a porté le projet ANRS-Gota, mené en partenariat avec l’hôpital Bichat. Il consiste dans la promotion auprès des soignants-es et des patients-es de la décision partagée sur le traitement ARV via la diffusion d’un guide spécifique parmi le personnel soignant et la file active du Service des Maladies Infectieuses et Tropicales de Bichat.

AIDES propose de : 
● réaffirmer le principe de consentement libre et éclairé et garantir son respect effectif (formation des professionnels-les de santé, possibilité de recours et saisines, indépendance de l’évaluation médicale, réaffirmation de l’incompatibilité entre médecine de contrôle et médecine de prévention, etc.) ; 
● renforcer et rendre effectif le droit à l’interprétariat et à la médiation sanitaire inscrit dans la loi (art. L1110-13 du Code de la santé publique).

Pertinence des soins

La question de la pertinence des soins est aujourd’hui au centre des enjeux de maîtrise des comptes de l’Assurance maladie. Pourtant, ce sujet ne saurait se réduire à des contraintes budgétaires : toute intervention en santé comporte des risques, physiques ou psychosociaux, qui doivent être mis en balance avec les bénéfices attendus, indépendamment du coût. Pourtant, d’une part, la tarification à l’acte a pu amener à des abus manifestes de sur-prescription d’actes plus "rentables", mais pas toujours pertinents. D’autre part, certains actes ou traitements restent de fait inaccessibles, par exemple par manque de disponibilité de certains appareils ou parce que l’examen est trop coûteux.

AIDES propose de : 
● revoir, en associant les usagers-ères, les modes de rémunération des actes médicaux pour privilégier la pertinence et la qualité de l’acte ;  
● garantir l’accès à toutes et tous à la plus grande diversité d’actes médicaux, en travaillant sur les barrières financières, sociales et spatiales.

Innovations thérapeutiques : essais cliniques

La bioéthique interroge les modalités des protocoles de recherche à la fois en termes de recrutement des participants-es, de respect de la confidentialité et du consentement aux actes invasifs répétitifs et de leurs conséquences.  Par ailleurs, dans le champ du VIH, les essais relatifs à la prophylaxie pré-exposition ou Prep (essais ANRS-Ipergay et Discover) ont posé avec acuité la question de l’utilisation du placebo.

Enfin, la finalité même de certains essais qui répondent à des objectifs économiques plutôt qu’aux besoins réels des personnes peut aussi être discutée. Certains essais cliniques ne sont pas étrangers à des arbitrages médico-économiques oscillant entre intérêts financiers et intérêts du patient. La récente menace de la compagnie Vertex Pharmaceuticals d’interrompre un essai pour un traitement contre la mucoviscidose en France afin de peser sur les négociations du prix du médicament Orkambi souligne que les essais cliniques peuvent être instrumentalisés à des fins purement financières.

AIDES propose de : 
● veiller à la pertinence des actes invasifs et prélèvements lors d’essais cliniques (biopsie, etc.) et à l’accompagnement médico-psychologique des personnes ;
● garantir la représentation d’une diversité de personnes dans les essais, et notamment des femmes et des personnes trans ; 
● promouvoir la recherche communautaire en assurant la représentation et la participation des usagers-ères et des personnes concernées à toutes les étapes des essais cliniques (priorisation des essais, élaboration des protocoles, suivi et évaluation).

Accès aux innovations thérapeutiques

Les autorisations temporaires d’utilisation (ATU) permettent d’accélérer l’accès à des produits de santé dont l’efficacité est fortement présumée, avant même leur autorisation de mise sur le marché (AMM). Elles offrent un espoir aux personnes en échec thérapeutique par exemple, qu’il convient de préserver.  Une fois l’essai clinique concluant, s’enclenche une procédure d’évaluation préalable à l’AMM. Cette évaluation, aujourd’hui très thérapeutique et médico-économique, gagnerait à intégrer davantage les enjeux de qualité de vie et de santé globale des personnes concernées.

Enfin, la mise sur le marché du sofosbuvir, agent antiviral direct (AAD) très efficace et coûteux, a entraîné provisoirement un tri inédit des personnes vivant avec une hépatite C en fonction de leur stade de fibrose. Cet épisode, désormais révolu en France, se heurte aux principes bioéthiques, en cela qu’il ne fait reposer la pertinence des soins que sur des considérations économiques, au détriment de la santé.

AIDES propose de :
● renforcer la place des patients-es dans l’évaluation des innovations thérapeutiques ;
● inscrire dans la loi le principe l’accès universel aux traitements, interdisant tout tri des patients-es, et renforcer les outils permettant à l’Etat de négocier au mieux les prix des médicaments.

Données en santé

AIDES reconnaît que la mise à disposition de données agglomérées et anonymisées constituent un potentiel souvent inexploité et enthousiasmant dans le domaine de la recherche, notamment épidémiologique, et de la pharmacovigilance. Sur le plan individuel, la mutualisation des informations entre les professionnels-les de santé pourrait renforcer la fluidité et la cohérence du parcours de santé, mais aussi permettre à la personne de mieux se saisir des informations médicales qui la concerne.   Cependant, la multiplication des objets connectés et des applications en santé impose une réflexion d’ampleur sur la sécurité des procédures de transmission, de collecte et d’utilisation de ces données par des tiers, ainsi que sur le contrôle social que cela pourrait engendrer. Deux écueils peuvent en effet mener à une rupture de l’anonymat et donc du secret médical : le mésusage des données et l’existence de conflits d’intérêts parmi les personnes ayant accès aux bases.

Aussi, AIDES maintient sa vigilance quant aux risques induits par l’utilisation des applications en santé et des implants connectés. Certes, des innovations thérapeutiques, comme par exemple les capteurs sous-cutanés de glycémie reliés au smartphone en continu, constituent un progrès pour la qualité de vie des personnes. Mais elles participent également à la collecte de données par les applications numériques, susceptibles d’être instrumentalisées pour établir un « profilage » des usagers-ères, utilisées ensuite pour lier le taux de remboursement à l’observance ou adapter le panier de soins et le montant des cotisations.  Enfin, l’information et le consentement éclairé des patients-es quant à l’utilisation de leurs données de santé sont trop souvent oubliés, notamment sur la nature exacte des données et la durée de conservation.

AIDES propose de : 
● garantir une sécurité maximale des données et informer les usagers-ères des données collectées ;
● encadrer davantage les implants connectés et les possibilités de collecte et d’utilisation des données.

Dons d’organes

Le prélèvement de greffons chez les personnes vivant avec le VIH est aujourd’hui légalement interdit en France. Des prélèvements d’organes à titre dérogatoire sont possibles pour les personnes vivant avec un virus de l’hépatite B ou C. L’autorisation de dons d’organes solidaires entre personnes vivant avec le VIH permettrait pourtant de greffer plus tôt les personnes séropositives pour le foie et les reins, et d’éviter une partie des 30 % de décès sur liste d’attente. Elle permettrait aussi de libérer des places sur la liste d’attente générale de greffes.

AIDES propose de :
● autoriser les dons d’organes « solidaires » entre personnes vivant avec le VIH.

Libertés fondamentales : autodétermination des personnes trans et intersexes

Les personnes transgenres font partie des populations les plus discriminées dans leur accès aux droits et dans leur vie affective et sociale. L’Inspection générale des Affaires sociales (IGAS), dans son rapport de 2011, a pointé l’inadéquation de l’offre de santé pour les personnes transgenres en raison de la non reconnaissance de la diversité des parcours de transition (avec ou sans prise d’une hormonothérapie, avec ou sans chirurgie), de l’obligation d’une évaluation psychiatrique pour une prise en charge par l’Assurance maladie et du manque de données et de recherches médicales.

Quant aux personnes intersexes, elles subissent en France dès la naissance des mutilations génitales, au mépris des recommandations internationales (ONU, Conseil de l’Europe), et alors même que ces actes ne constituent pas la plupart du temps des urgences vitales.

AIDES propose de : 
● inscrire dans la loi le principe d’autodétermination et de libre choix des parcours médicaux sur la base du consentement éclairé ;
● supprimer toute obligation d’évaluation psychiatrique ; 
● mettre un terme aux opérations de réassignation de genre non vitales au mépris du consentement des personnes intersexes.

Assistance médicale à la procréation (AMP)

En France, les lois de bioéthiques ont réservé l’assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples hétérosexuels "en âge de procréer", vivants, infertiles ou dont l’un-e des membres est porteur-euse d’une maladie grave susceptible d’être transmise. En conséquence, les femmes célibataires et les couples de femmes en sont exclus. 
La loi a donc instauré une inégalité de traitement en raison du genre, de l’orientation sexuelle et de la situation conjugale. Il s’agit juridiquement d’une discrimination. A cet égard, le CCNE le reconnaît fort justement dans son avis n°126 de juin 2017 en affirmant que "le fait de réserver l’Assistance Médicale à la Procréation (AMP) aux seuls cas d’infertilité de nature pathologique peut être considéré comme une rupture d’égalité entre les demandeurs d’accès aux techniques de procréation". De surcroit, la loi française contrevient au principe fondamental de droit à la santé, dont la santé sexuelle et reproductive. Elle met en danger les femmes célibataires et les lesbiennes en les obligeant à un parcours clandestin coûteux à maints titres. Elle complique le suivi médical et met les femmes face à des risques sanitaires non négligeables. Elle bafoue également les libertés fondamentales de chaque femme à disposer librement de son corps, de son droit à la vie privée et de son autonomie. Enfin, les discriminations sexistes et lesbophobes de cette législation se doublent d’une discrimination sociale en raison d’une sélection par l’argent. Une AMP à l’étranger coûte en moyenne 30 000 €, lorsque ses frais sont pris en charge à 100% pour les couples hétérosexuels en France.

AIDES propose de : 
● ouvrir l’AMP à l’ensemble des femmes, avec une prise en charge à 100% des frais ;
● faciliter le don de gamètes : autoriser l’autoconservation des ovocytes, lever l’obligation du consentement du ou de la partenaire, autoriser le double don ;
● repenser le droit à la filiation : rompre avec le principe de hiérarchie des filiations et reconnaître juridiquement sur le fondement de l’engagement l’ensemble des manières de faire famille quels que soient son genre, son orientation sexuelle, le nombre de parents-es et la relation juridique qui les unit ou non.

Un site pour les Etats généraux de la bioéthique 2018
C’est un élément fondamental du dispositif mis en place par le Comité consultatif cational d’éthique (CCNE) qui pilote les Etats généraux. Il permet non seulement d’être informé sur l’ensemble du processus, mais également de participer activement à une réflexion collective qui sera menée jusqu’à fin avril 2018. Ce site permet de s’informer sur toutes les thématiques et également d’exprimer sa propre opinion sur les sujets suivants : cellules souches et recherche sur l’embryon, examens de génétique à l’ère de la médecine génomique, dons et transplantations d’organes, neurosciences, données de santé, ntelligence artificielle et robotique, santé et environnement, procréation et société, prise en charge de la fin de vie. Chaque thématique est organisée de la façon suivante : une fiche d’information avec une biblio qui permet d’aller plus loin et  une partie consultation. Cette dernière propose à la fois les grands enjeux liés au sujet, les principes et les valeurs à prendre en compte dans sa réflexion et enfin des pistes concrètes de discussion.

Loi bioéthique : le calendrier de la révision
Les Etats généraux ne refermeront pas le débat puisqu’ils ne constituent qu’une première étape à l’élaboration d’un projet de loi au Parlement. La bioéthique va donc être au centre des débats pendant près d’un an. Voici le calendrier prévu :
- mi-janvier à fin avril 2018 : phase de consultation citoyenne : AIDES a été auditionnée par le CCNE le 12 avril.
- juin 2018 : le CCNE rend son rapport à l’Opecst (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques) ;
- 7 juillet : événement national de rendu de la synthèse de la consultation ;
- été 2018 : élaboration du projet de loi ;
- automne 2018 : dépôt du projet de loi à l’Assemblée nationale et lectures entre les deux chambres ;
- début 2019 : vote définitif de la loi et promulgation ;
- courant 2019 : textes d’application de la nouvelle loi.

D’autres associations contribuent
La contribution de AIDES n’épuise pas l’ensemble des sujets et ne fait parfois qu’apporter un soutien sur un thème. AIDES n’est pas la seule association de lutte contre le sida et les hépatites virales ou de santé à avoir été auditionnée ou à avoir publié une contribution. C’est notamment le cas de France assos santé, du TRT-5, de l’lnter-LGBT, de Sidaction ou encore d’Act Up-Paris.

Qu’est-ce que la bioéthique ?
La bioéthique ne traite pas de toutes les questions d’éthique. Elle concerne les questions éthiques et sociales posées par les innovations médicales, biologiques, techniques qui impliquent une manipulation du vivant : données de santé, greffes solidaires, recherches médicales, assistance médicale à la procréation, etc.
Les lois de bioéthique sont une spécificité française, où le débat sur ces enjeux déchaîne le plus les passions que nulle part ailleurs. Elles ont vocation à encadrer spécifiquement les pratiques de la médecine et de la recherche, que celle-ci soit médicale, génétique ou biologique, sur le corps humain. Les lois de bioéthique ont vocation à accompagner les progrès de la science, de la médecine, de la technique, des évolutions de la société. 
Les premières lois de 1994 ont posé plusieurs principes : inviolabilité du corps humain, indisponibilité du corps humain, non patrimonialité du corps humain (gratuité), anonymat du don, obligation du consentement. La loi de 2004 a porté sur la thérapie cellulaire et a interdit le clonage humain. Enfin la loi de 2011 a autorisé le don croisé d’organes en cas d’incompatibilité entre proches et la possibilité de mener des recherches sur des embryons sous conditions.