Fin de l’épidémie pour tous ?

Publié par Mathieu Brancourt et Bruno Spire le 17.02.2017
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ConférencesCroi 2017

Derrière les innovations thérapeutiques ou les recherches fondamentales, les sessions plénières ou les simples posters d’études, l’objectif final des recherches présentées à la Croi 2017 reste bien plus convergent et concret : mettre fin aux épidémies, même en l’absence de vaccin. Pour le VIH, tout le monde se range derrière les fameux 90-90-90 de l’Onusida. Pour y parvenir, les outils sont déjà disponibles, mais ils doivent être combinés et accessibles pour réussir le pari d’une fin de l’épidémie du VIH d’ici 2030. Les stratégies se font de plus en plus nombreuses, et montrent déjà des résultats aux Etats-Unis. Mais les interventions et l’action globale doivent encore être renforcées face à des défis émergents. Dernière journée de conférence, en forme de trait d’union vers un avenir sans sida.

Agir pour les plus exposés

Répondre à l’épidémie parmi la jeunesse du monde. C’était l’objet de la session plénière du mercredi matin (15 février). Depuis plusieurs années, des progrès sur la transmission mère-enfant ont été accomplis : Cuba et la Thaïlande l’ont, par exemple, éliminée. Cependant, des courbes d’anticipation montrent une potentielle augmentation des personnes séropositives parmi les jeunes de 15 à 24 ans, en particulier en Afrique et en Asie. En cause, l’explosion démographique dans ces régions, où la proportion de personne de moins de 25 ans augmente sans que l’incidence du VIH recule. Les jeunes femmes se contaminent souvent avec des d’hommes plus âgés et ensuite contaminent d’autres hommes de leur âge. Les jeunes infectés par le VIH connaissent moins souvent leur infection comparés au reste de la population séropositive. L’urbanisation, la migration, le faible niveau d’éducation, la situation socio-économique, les violences sexuelles ou physiques subies avant 18 ans sont associées aux pratiques à risque et à une contamination. Cependant, la transition démographique représente une force de travail qui pourrait être un levier pour améliorer la situation. L’arrivée des nouvelles technologies préventives pourrait aussi changer positivement les choses. Les interventions doivent cibler les jeunes, mais aussi s’inscrire dans leurs besoins et tenir compte de la diversité des différentes sous-populations, notamment celles qui appartiennent à des groupes vulnérables (LGBT, travailleuses et travailleurs du sexe, etc.). On peut cibler les très jeunes hommes de 10 à 14 ans pour une proposition de circoncision, mais il faut trouver la meilleure façon de les atteindre et de les faire venir dans les centres de santé.

Les études de PrEP par voie orale ou vaginale montrent une difficulté de maintien de l’observance. Il faut aussi trouver des moyens d’augmenter le désir de PrEP. Pour cela, il est nécessaire d’augmenter le marketing social, monter des programmes "friendly", s’adaptant aux discours des jeunes. Il semble crucial de communiquer également auprès des parents et des familles. Il est aussi important de faire reculer les discriminations et modifier les normes sociales dans ces pays, notamment par la promotion des droits humains. Le leadership des jeunes dans la lutte contre le VIH est la pierre angulaire des progrès à venir, tout comme la volonté politique de leur laisser une place à la table des discussions sur les stratégies à mettre en place. Un programme de la fondation Gates cible dix pays de haute prévalence pour obtenir une baisse de 40 % des cas de VIH chez les jeunes. Le défi est immense.

Accès à la charge virale en Afrique

La couverture en tests de charge virale diffère fortement selon les pays africains. Très bonne en Afrique du Sud et Namibie (90 % des personnes y ont accès), elle est beaucoup moins bonne en Côte d’Ivoire (10 %). Les pays qui ont mis en place la charge virale doivent faire face à une affluence de tests à réaliser. Au Kenya, la demande serait au moins de 2,5 millions de tests par an. Les machines ont de plus en plus la possibilité d’analyser des échantillons sur buvards, et ces derniers peuvent être gardés trois mois à température ambiante. La même machine peut diagnostiquer d’autres infections. La formation des équipes est importante. Il faut plusieurs niveaux de décentralisation pour pouvoir augmenter le nombre de tests réalisés sur l’ensemble des territoires. Par exemple, en Ouganda, il y a un laboratoire central, plusieurs plateformes décentralisées et aussi des "point of care" (des points de santé pour des diagnostics immédiats), où l’on récupère les buvards qu’on envoie aux plateformes. Au Malawi, une étude pilote a montré la possibilité de ravitailler les sites isolés en réactifs à l’aide de drones. Il est important de développer une plate-forme de rendu de résultats consultable à distance, afin de réduire le délai de rendu de résultats.

Les rappels SMS pour améliorer l’observance aux traitements

L’observance est indispensable pour le succès virologique, soit le troisième 90 des objectifs Onusida. Il existe beaucoup de technologies qui permettent de ne pas oublier son traitement. Les SMS sont utiles et très utilisés partout dans le monde. Au Kenya : 90 % des gens ont un portable. Un essai randomisé a montré en 2010 l’intérêt des SMS interactifs sur l’observance et le succès virologique. Un autre essai a confirmé l’intérêt des rappels hebdomadaires par SMS, mais il semble que c’est surtout le suivi et l’accompagnement par l’équipe médicale qui sont à l’origine d’une meilleure observance. Ces interventions par SMS sont coût-efficaces et produisent des économies en limitant les échecs virologiques. Le problème demeure de passer ces systèmes à une plus grande échelle. Il faudrait mettre en place une plate-forme pour pouvoir répondre aux patients.

Populations clés : comment les atteindre ?

On connaît la liste des populations vulnérables, mais elles varient selon les contextes épidémiologiques. Par exemple, les adolescents en Afrique du Sud, mais les travailleuses du sexe ailleurs en Afrique et en Asie. De façon générale, on retrouve les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, les personnes usagères de drogues et les  travailleuses du sexe qui sont vulnérables dans de très nombreux contextes. Les objectifs 90-90-90 sont complexes pour les populations clés, en particulier le premier (dépistage) et le troisième (indétectabilité), du fait de la stigmatisation. Globalement, la couverture en antirétroviraux est moindre dans le monde pour les travailleuses du sexe et les personnes trans. C’est vrai aussi pour les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes dans de nombreux pays. Le succès virologique est moins fréquent chez les jeunes séropositifs. Il est donc nécessaire de mieux atteindre ces populations, pour mieux les soigner. Pour cela, il faut impliquer les personnes issues de ces populations, travailler avec elles et décentraliser les offres de soin et de prévention. Il faut simplifier les services médicaux et faire de la prise en charge de manière globale. Des données ont montré qu’un programme impliquant les pairs était plus efficace pour permettre aux travailleuses du sexe et aux personnes trans séropositives d’être sous traitement antirétroviral.

On peut aussi proposer du soin par la voie communautaire. Des protocoles visant à proposer le traitement immédiatement après le diagnostic (recommandations actuelles) commencent à être mises en place. Il est nécessaire d’intégrer l’ensemble des services par exemple, soigner le VIH, la tuberculose ou donner accès aux traitements de substitution au même endroit pour les usagers de drogues d’Asie centrale qui sont séropositifs. Une étude dans cette région a montré que l’orientation vers le soin est meilleure quand les services sont mutualisés. Chez les travailleuses du sexe, on réduit l’échec virologique dans une offre communautaire où le soin se fait en même temps que la mobilisation communautaire. L’évaluation de toutes ces actions menées reste indispensable pour permettre du soutien, notamment financier, aux innovations qui fonctionnent bien.

Des résultats prometteurs au Nord

Blueprint : le programme innovant de New York City

En session plénière, c'est le docteur Demetre Daskalakis du Département Santé de l'Etat de New York qui a présenté l'ambitieuse stratégie de la ville de New York, pour une réponse à l’épidémie avec l'ensemble des outils de prévention disponibles. Validée par le gouverneur Cuomo en décembre 2014, elle a été financée à hauteur de 20 millions de dollars. Plus concrètement, c'est la proposition systématique et répétée de dépistage, l'accès et le maintien dans le soin et une proposition renforcée de PrEP, par l'intermédiaire d'une force de frappe d'organisations et de centres de santé. Elle a été conçue avec comme objectif la fin des contaminations dans big apple en 2020. Dans la ville et l'Etat, il y avait urgence à agir. Le risque de se contaminer au cours de la vie est trois fois plus élevé ici qu'ailleurs aux Etats-Unis. En 2015, il y a eu 2 493 nouveaux diagnostics. Et même si depuis 2010, le nombre d'infections chez les usagers de drogues a beaucoup baissé, les cas chez les personnes trans et les gays restent stables. D'où le besoin d’une prévention diversifiée accessible et d'une proposition de PrEP en cas de dépistage positif à une autre IST. Malgré la mise en place des cliniques de santé sexuelle, des points d'urgence pour le TPE et une orientation rapide et mise en traitement immédiate en cas de séropositivité au VIH, le docteur Daskalakis note que la lutte contre la pauvreté et la précarité seront déterminantes pour arriver à l’objectif en 2020 et pour tous les groupes. "Sans oublier que, pendant quatre ans, il n’y aura que nous pour y arriver", conclut le clinicien, en référence à l’absence d’impulsion politique fédérale sur la santé, voire pire, avec Donald Trump.

Baisse de 18 % des infections au VIH annuelle aux Etats-Unis

C'est une représentante du Centre de contrôle des maladies (CDC) qui est venue annoncer cette bonne nouvelle. Depuis 2008, le nombre d'infections annuelles a baissé de 18 %, de 45 700 à 37 600. Cela inclut une baisse significative chez les hétérosexuels (36 %) et de 56 % chez les personnes qui s'injectent des drogues en intraveineuse. On observe un plateau chez les hommes gays et bisexuels, qui sont le seul groupe dont les infections annuelles n'ont pas baissé. Ces derniers représentent 2 % de la population générale, mais près de 60 % des nouvelles contaminations. Les chercheurs ont rapporté que parmi les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, environ 20 % des Noirs, 21 % des Latinos et 13 % des Blancs restaient non diagnostiqués. Les jeunes gays étaient plus nombreux à ne pas connaître leur statut sérologique, atteignant 50 % dans le groupe d'âge 13-24 ans. Mais cette proportion de personnes non diagnostiquées continue de baisser avec le temps. Les chercheurs ont estimé que 15 % de toutes les personnes vivant avec le VIH aux Etats-Unis avaient une infection non diagnostiquée.