Icasa 2017 : malmenée, la société civile riposte !

Publié par jfl-seronet le 25.12.2017
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MondeIcasa 2017

Bilan en demi-teinte et lot de critiques pour la19e conférence internationale sur le sida et les infections sexuellement transmissibles en Afrique (Icasa) qui s’est déroulée du 4 au 9 décembre dernier à Abidjan, en Côté d’Ivoire. Les associations et organismes communautaires ont sévèrement critiqué le "peu de place et le traitement réservés aux communautaires et aux personnes vivant avec le VIH" dans cet événement. Elles l’ont dénoncé dans une lettre ouverte à l’attention "des gouvernements africains et des bailleurs".

"Nous, activistes communautaires et personnes vivant avec le VIH présents à cette conférence Icasa (…) souhaitons partager notre grande déception par rapport à la place et au traitement réservés aux communautaires et aux personnes vivant avec le VIH au cours de cette conférence Icasa. La voix de la société civile ne devrait pas être négociée ou étouffée lors des conférences internationales", attaquent d’emblée les signataires.

"Au cours de la Conférence, les activistes du VIH, venus de différents coins du monde, ont été empêchés de manifester pacifiquement et de faire entendre leur voix. L'hôtel et la sécurité les ont bloqués avec force à l’entrée du lieu de la conférence pendant et après une manifestation pacifique", déplorent les associations et organismes communautaires. "La société civile devrait avoir la liberté d’exprimer les messages importants affectant les communautés sans se voir refuser l’accès à la conférence du fait de s’être exprimé ouvertement. Au cours de cette Icasa, la voix de la société civile a été réduite au silence et n’a pas eu d’espace pour s’exprimer ; et pour cela les communautaires et les personnes vivant le VIH exigent des excuses de la part des organisateurs de la conférence afin que cela ne se reproduise plus jamais".

Pour les signataires de cette lettre ouverte : "L'activisme est, et devrait faire partie intégrante de la Conférence Icasa, et les communautaires ainsi que la société civile ne devraient en aucun cas devoir quémander leur espace et le droit de faire entendre leur voix pacifiquement. Les organisations de la société civile rejettent les accusations selon lesquelles elles auraient été bloquées parce qu’elles auraient menacé des personnalités politiques et leurs représentants [comme l’ont prétendu le service de sécurité, ndlr]. Au cours de la conférence, de nombreuses organisations de la société civile, dont les personnes vivant avec le VIH en général et les personnes qui s'injectent des drogues en particulier, qui avaient des abstracts validés [donc qui étaient officiellement invités à les présenter, ndlr], n'ont pas pu les exposer faute de place, et la priorité a été donnée à d’autres chercheurs".

"Au cours de la conférence, quelques jeunes militant-e-s et personnes vivant avec le VIH n'ont reçu que la moitié de leurs allocations de bourses [ce qui est contraire à toutes les règles, ndlr]. Parmi les communautés, nous avons dû donner de l'argent à nos boursiers car ils n'avaient pas encore reçu leur argent pour la nourriture. Des personnes vivant avec le VIH n’ont pas pu accéder aux repas dans le salon positif [un espace pour les personnes vivant avec le VIH] sans déclarer au préalable leur statut sérologique, et cela porte atteinte aux droits des personnes vivant avec le VIH. Pour certains d’entre eux, il leur a été demandé de payer pour leurs repas [ce qui n’était pas prévu].

Nous sommes profondément déçus par la décision des organisateurs de la conférence de ne pas avoir de zone de réseautage pour les droits humains à cette Icasa, malgré l'engagement du Secrétariat et la pratique courante lors des conférences Icasa précédentes. Maintenant, plus que jamais, les droits humains sont la clé de la riposte au VIH. Nous craignons que la décision d'exclure une zone de réseautage des droits humains envoie un message clair : fournir aux communautés un espace pour discuter quotidiennement des défis liés aux droits humains, et explorer des solutions à ces défis, n'est pas une priorité pour les organisateurs de la conférence".

La lettre ouverte demande clairement au secrétariat qui assure la mise en œuvre de l’événement de "clarifier cette décision".

"Le VIH est encore aujourd’hui une crise ! La pandémie n'est pas terminée et, en tant que communautés, nous ne pouvons simplement nous asseoir et regarder les gens venir à une conférence, se comporter et agir comme si c'était un autre rassemblement ! Dépenser beaucoup d'argent sur des cocktails, des réunions et des réceptions, alors que les personnes touchées sont ignorées !", expliquent les signataires. Ces derniers rappellent qu’un "adulte sur quatre et un enfant sur dix en Afrique de l'Ouest et du Centre ont accès aux médicaments anti-VIH, alors que les gens meurent encore du sida à l'ère du test and treat !"

"Nous, personnes vivant avec le VIH, demandons des comptes et un rapport sur les revenus générés par les conférences Icasa et l’utilisation de ces fonds. Nous exigeons également un rapport détaillant les résultats de la conférence, les leçons apprises et les meilleures pratiques pour informer et soutenir les initiatives de plaidoyer pérennes au niveau national et régional. Plus important encore, nous ne voulons pas que le seul espace dont nous disposons en tant que personnes vivant avec le VIH ne soit une blague et juste une autre réunion après laquelle tout le monde retourne à la maison, comme si de rien n'était ! Nous exigeons que les erreurs commises lors de cette conférence ne soient jamais répétées. Nous voulons être rassurés et nous voulons des excuses, et une garantie que cela n'arrivera plus jamais !"

Outre de sévères critiques adressées aux organisateurs de la 19e conférence Icasa, les signataires ont souhaité adresser d’autres messages aux gouvernements et aux bailleurs. Aux dirigeants, ils ont tenu à rappeler que "les droits humains devraient aller de pair avec la prestation de services si nous voulons atteindre les objectifs des 90-90-90 d'ici 2020. La stigmatisation, la discrimination, les obstacles juridiques et politiques et votre réticence à inclure la société civile et les communautés dans l'amélioration et l'expansion de la riposte au VIH réduisent notre capacité à atteindre les populations ayant le plus grand besoin de services". Et les signataires d’expliquer : "Nous avons des populations clés, des jeunes femmes et des filles qui ont besoin d'une plus grande attention dans la riposte au VIH, mais qui sont toujours incapables d'accéder aux services de santé parce qu'elles sont criminalisées et que leurs droits humains sont violés chaque jour. Nous exigeons l'engagement des leaders pour garantir que toutes les populations accèdent aux services sans crainte d'être arrêtées et/ou discriminées".

Puis s’adressant, cette fois, aux bailleurs, les signataires expliquent : "Nous avons besoin de l'engagement des bailleurs concernant leur contribution au Fonds mondial, et de celui du Congrès américain concernant l’augmentation des fonds du programme Pepfar (1), afin d’assurer un passage à échelle continu du traitement et de l'accès aux services. Des années après l’engagement des Etats africains d'augmenter le financement national de la santé à 15 % des budgets nationaux, cet engagement n'a pas encore été honoré par la plupart d’entre eux. Bien que nous demandions une augmentation des financements nationaux, cela ne devrait pas signifier que les Etats bailleurs devraient se distancer de cette aventure commencée avec les pays africains", écrivent-ils.

"Nous sommes particulièrement préoccupés par la transition actuelle des pays vers le statut de pays à revenu intermédiaire. Au moment de la transition des pays, nous devons veiller à ne pas laisser des personnes dans ces pays sans accès à des médicaments de haute qualité, en raison des prix élevés des produits de base tels que le dolutégravir (…) La plupart des pays ont encore besoin du soutien des bailleurs afin d’assurer la continuité des services de qualité. Nous avons besoin d'un engagement de la part de nos gouvernements et des donateurs pour augmenter les investissements dans les ressources humaines pour la santé et les systèmes communautaires ; et pour renforcer les systèmes d'approvisionnement et de chaîne d'approvisionnement. L'initiative de deux millions de travailleurs de santé communautaires par l'Union africaine ne sera pas possible si nous ne mettons pas des ressources afin de soutenir de manière pérenne nos agents de santé pour qu’ils fournissent des services. Nous appelons les gouvernements, les donateurs et tous les acteurs de la riposte au VIH à maintenir les personnes vivant avec le VIH au centre de la riposte. Malgré le "test & treat", de nombreuses vies continuent d'être perdues à cause de l'épidémie".

Et la lettre ouverte de conclure par cet appel : "Passez des paroles aux actes ! Assez de rhétorique ! Nous avons besoin d’argent pas que des discours ! Les communautés vous observent et vous tiendront pour responsables ! Rien pour nous sans nous ! Le VIH est encore une crise et elle n’est pas finie !"

(1) : Pepfar pour President's emergency plan for aids relief, est un plan d'aide d'urgence à la lutte contre le sida à l'étranger que le président des Etats-Unis George W. Bush a lancé en 2003.