La sénatrice écologiste Aline Archimbaud : "Je ne me tairai pas !"

Publié par Mathieu Brancourt le 10.10.2014
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Interviewinégalité socialeaccès aux soins

Aline Archimbaud ne lâche rien. Plus d’un an après la remise de son rapport sur l’accès aux soins des plus précaires, la sénatrice Europe Ecologie-Les verts dénonce toujours le discours ambiant sur cet enjeu et le renoncement politique pour lutter contre les inégalités à l’accès à la santé. C’est une parlementaire combative qui a reçu Seronet pour raconter sa bataille, à laquelle elle invite les citoyens à se joindre.

Un an après la sortie de votre rapport, quel regard portez-vous sur les choix du gouvernement en matière d’accès à la santé pour les plus démunis. Qu’est-ce qui a avancé ou, au contraire, n’a pas évolué ?

Aline Archimbaud : J’ai remis ce rapport en septembre 2013 au Premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Ce rapport comporte 40 propositions pour un "choc de solidarité" en matière d’accès aux droits dans notre société. Ce sont des propositions de bon sens et qui sont à notre portée, mais je constate, au bout d’une année, que l’on a peu avancé. En dehors de l’annonce par Marisol Touraine de la mise en place du tiers payant intégral d’ici à 2017 et peut-être un geste sur le seuil des indemnités journalières, je constate que cela n’avance pas. D’où mon initiative d’un forum pour l’accès aux droits les 10 et 11 octobre prochains, pour dire, enfin : "Prenons nos droits !" Cela ne peut plus durer. Cela devient insupportable d’un point de vue humain comme démocratique.

Vous dites au début de votre rapport que les inégalités de santé, entre autres, "minent notre société". Comment arrivez-vous à ce constat et comment cela s’est-il illustré durant les auditions pour ce rapport ?

Aujourd’hui, nous avons des millions de personnes dans l’amertume, la colère et la résignation face à ces inégalités. Cela suscite la division dans le pays et fait monter les extrémismes, comme on a pu le voir durant les dernières élections. Mais c’est surtout inacceptable d’un point de vue financier. Par exemple, des millions de Français n’ont pas accès aux droits auxquels ils sont théoriquement éligibles, et cela se voit sur les taux de non-recours très élevés (entre 10 et 24 %) aux dispositifs comme la CMU-C [couverture maladie universelle complémentaire, ndlr] ou l’ACS [aide à l’acquisition d’une complémentaire Santé, ndlr]. Sur les questions de santé, c’est problématique. Comme les personnes ne se soignent plus ou très mal, elles arrivent finalement dans les structures de soins trop tardivement, très malades, et nécessitent une prise en charge lourde et onéreuse. Des problèmes qui, s’ils avaient été pris en charge bien plus en amont, coûteraient beaucoup moins. Ce non-recours nous coûte des milliards. Le secrétariat général de modernisation de l’action publique (SGMAP), rattaché à Matignon, a mené une étude inédite sur le non-recours. Ce dernier a démontré, grâce à ce qu’il appelle le "gisement moins de maladies", qu’en comparant des familles bénéficiaires de la CMU-C et celles qui n’en bénéficient pas, au bout du compte, les familles disposant des droits ouverts par cette complémentaire coûtent moins cher aux finances publiques. Avec un suivi et de la prévention, les personnes tombent moins souvent malades et de manière moins graves. L’argument du coût pour la société tombe. En sortant de cette logique budgétaire, de court terme et uniquement financière, mes propositions permettaient d’agir concrètement sur ce problème.

Au bout d’un an d’inaction du gouvernement, c’est de ma responsabilité de le dire et soutenir tous ceux qui, militants associatifs, médecins, travailleurs sociaux et autres professionnels de domaines afférents, se mobilisent. Ce sont d’ailleurs eux que nous avons entendus durant les auditions.

Face à ce que vous appelez un "parcours du combattant", vous plaidez pour un "choc de simplification" des procédures administratives (fusion de dispositifs et allègement des démarches). En quoi est-ce un enjeu déterminant dans la lutte contre les inégalités ?

Les personnes précaires elles-mêmes sont venues nous expliquer concrètement les démarches pour remplir les dossiers administratifs exigés. Et c’est Kafka ! J’ai vu des gens qui, malgré l’aide d’une médiatrice, se sont vus retourner à plusieurs reprises leur dossier de CMU-C, avec des demandes de pièces différentes. Il n’y a pas d’interlocuteur fixe, uniquement des plateformes téléphoniques. Les dossiers sont très complexes. Pour la CMU-C, il s’agit de douze pages, une centaine de cases à cocher et près de 50 à 80 pièces différentes à fournir ! Et il faut le refaire tous les ans ! Une énorme complexité administrative, à laquelle s’ajoute, en face, des professionnels qui n’ont jamais été formés et organisés pour les mutations de notre société. En période de plein emploi, on pouvait être défendu ou se regrouper, comme dans des syndicats. Aujourd’hui, nous avons des chômeurs et des précaires, parfois malades, qui sont seuls. Ils sont invisibles pour la CAF, la CPAM ou d’autres administrations encore. On ne les voit plus et personne ne vient les chercher. Alors ils se résignent et ne savent plus comment faire ni où aller. Sans compter ceux qui se sont déjà faits refouler plusieurs fois. D’où le volet de mon rapport : "Aller chercher les bénéficiaires un par un". Allez vers les gens, c’est primordial pour que les services sociaux atteignent ceux qui en ont besoin. La ville de Nantes a choisi cette voie, envoyant des assistantes sociales dans les rues, chercher les personnes là où elles vivent. Pour avoir accès à la santé, il faut avoir accès à ses droits.

Pourquoi de telles recommandations, qui ont déjà émergé précédemment, ne se sont jamais traduites dans les faits ? Ces obstacles recensés sont-il à dessein ou cachent-ils autre chose ?

Sur tous ces enjeux, comme la question des refus de soins sur laquelle j’ai travaillée avec le Défenseur des droits, je propose des solutions raisonnables. Mais tout cela est bloqué aujourd’hui, même des initiatives innovantes, comme l’empowerment, qui cherche à renforcer les capacités des personnes. Car je crois que toutes ces personnes précaires veulent être autre chose que des bénéficiaires ou des "assistés". Ils peuvent être acteurs. Nous somme retombés dans une culture dans laquelle elles sont considérées a priori comme passives, "consommant" des droits. Alors oui, il faut ouvrir leurs droits, mais elles peuvent aussi être actrices dans des collectifs et agir pour elles-mêmes.

Sur le plan politique, je pense qu’il y a des arbitrages qui, systématiquement, oublient cette partie de la population. Contrairement aux classes moyennes qui sont écoutées, ces dix millions de personnes précaires sont minorées par la classe politique, de gauche comme de droite, qui élude leurs enjeux de vie. Ce sont des choix de calcul politique, pour savoir qui compte vraiment pour pouvoir être élu. On pense que ces personnes ne votent pas. Il a aussi des conservatismes et des habitudes culturelles à faire bouger. Il faut former les professionnels de santé, qui le réclament déjà, au dialogue et à la prise en charge médico-sociale des personnes les plus démunies. Il faut aussi refondre l’action sociale vers un "aller vers" et dans la transversalité avec d’autres domaines (logement, santé, emploi) pour prendre en compte la vie des personnes dans sa globalité.
Il y a enfin du mépris et de la stigmatisation, jusqu’au plus haut de l’État. Il y a eu des discours idéologiques sous la présidence de Nicolas Sarkozy, mais aussi récemment concernant la fraude sociale, que je ne supporte pas. La fraude sociale existe aujourd’hui, mais elle est essentiellement le fruit de la non-déclaration des employés par un patron, qui ne paye pas ses charges. Elle est là, la cause du déficit de la sécurité sociale pointée par la Cour des comptes, et non pas la fraude des chômeurs. Cette dernière, c’est 0,02 % du déficit selon plusieurs études. On est dans la stigmatisation des classes pauvres par les pouvoirs publics. Cela induit des injonctions de suspicion auprès des accédants aux dispositifs de solidarité, bien loin des valeurs de bienveillance et de solidarité des fondateurs de notre modèle social en 1945. Pire encore, je suis choquée d’avoir appris que le budget de la France intègre les taux de non-recours ! Et quand j’ai fait la proposition de croiser, pour plus d’efficacité et de simplicité, les fichiers RSA et celui de la CMU-C, donc les informations de la CNAM et de la CNAF [Caisse nationale des allocations familiales, ndlr], possible avec un contrôle de la CNIL, on m’a d’abord évoqué des problèmes d’ordre technique, pour finir pas me dire que le problème était financier. Je ne peux pas accepter qu’appliquer la loi soit un problème financier. Je ne me tairai pas.

Votre rapport repense de manière globale l’accès aux droits, notamment pour les migrants. Et cela à contre-courant d’un discours favorable aux économies et aux démantèlements de ces dispositifs, comme l’AME. En quoi ce discours est-il dangereux ?

Les professionnels des différents domaines concernés ont été troublés par ces discours, se retrouvant devant des cas de conscience. Cela a forgé une culture professionnelle de méfiance, de complexification massive des démarches. Moi-même, je ne pourrais pas remplir de tels dossiers ! Ce mille-feuilles administratif a été créé dans cette ambiance, par des circulaires et non pas par des lois votées au Parlement. En 14 ans, il y a eu un dévoiement incroyable des valeurs insufflées au départ dans ce système. Les cadres du Fonds CMU eux-mêmes se disent choqués par ces dérives. Et ces obstacles sont cumulatifs pour les personnes. Les non-recours dans un domaine ont des conséquences dans d’autres. En découle de la colère et cela mène au vote Front national ou au fondamentalisme religieux. C’est grave pour la démocratie.

Vous dites que ces changements sont urgents mais à notre portée. Comment convaincre alors de l’intérêt d’un changement de posture politique sur le sujet ?

Pendant un an, je suis allée une fois par mois rencontrer les cabinets des différents ministères concernés. Je venais voir où en étaient les discussions sur les propositions émises dans le rapport. J’avais dit à Jean-Marc Ayrault que je ne faisais pas un rapport pour la gloire et qu’il n’avait pas vocation à aller dans un tiroir. On ne m’a jamais dit non, mais on me disait que c’était compliqué techniquement, qu’il fallait attendre et, au final, rien n’a bougé.

Cela passe-t-il par une loi spécifique, des amendements de textes existants ou même par la future loi de santé ?

Il faut être sur tous les fronts. Là, nous allons travailler durant le Forum sur les propositions les plus concrètes, à porter ensemble de manière collective. Il faudra aussi d’abord réfléchir aux moyens d’actions et de revendications. Ici au Sénat, je ferai le relais auprès des parlementaires, mais cela ne suffira pas. Il faut que cela parte du bas vers le haut. Dans notre pays, la condition, sine qua non, reste le rassemblement au plus large de médecins, d’associations, d’élus, de cadres administratifs, pour créer un mouvement de fond. On se heurte à des conservatismes très forts.

Quels rôles doivent jouer les professionnels, les acteurs locaux ou associatifs pour combattre sur le terrain les inégalités ?

Il faut d’abord, comme pour le Forum pour l’accès aux droits, rassembler largement, des personnes concernées à celles qui agissent auprès d’eux, pour faire réseau. En tant que parlementaire, je ne me tairai pas, mais seule, j’ai compris que je n’arriverai pas à grand-chose. Il faut donc que la mobilisation émerge et créer du pouvoir d’agir dans la société civile. J’utilise mon mandat justement pour développer le pouvoir d’agir des citoyens, y compris de ceux qui sont les plus précaires. Il faut faire avec eux, pas pour eux.

Un rapport choc pour la solidarité
A la demande de l’ex-Premier ministre Jean-Marc Ayrault, la sénatrice EELV de Seine-Saint-Denis Aline Archimbaud a rendu un rapport sur l’accès aux soins en septembre 2013. A l’intérieur, l’élue écologiste pointe les principaux dysfonctionnements quant à l’accès aux dispositifs légaux pour les plus précaires, comme le RSA, la CMU ou encore l'AME. Elle émet 40 propositions de simplification, de prévention et des solutions innovantes pour faciliter des démarches administratives et ainsi ouvrir les droits auxquels les personnes précaires sont éligibles, mais peinent à avoir accès.

Le sénatrice Aline Archimbaud organise, les 10 et 11 octobre, un forum pour l’accès aux droits dans sa circonscription de Seine-Saint-Denis. A son invitation, acteurs de santé, du logement et de l’emploi se réuniront pour des ateliers d’échanges. Le but ? Faire émerger, au côté des personnes elles-mêmes concernées, un discours commun et faire pression sur les pouvoirs publics pour qu’ils se saisissent des propositions émises dans le rapport de la sénatrice, voire même, aux dires d’Aline Archimbaud, trouver de nouvelles alliances et porter d’autres revendications avec la société civile.

Commentaires

Portrait de detlevera

Les classes "moyennes écoutées" ?? Que raconte donc cette personne ?? Ai je bien lu ? Elle fait elle même ce qu'elle reproche aux autres, elle oppose... mouais mouais...

De toute manière c'est bien joli tout cela, elle est manifestement pleine de bons sentiments à l'égard des plus démunis, c'est très bien vraiment....

Mais ce qui est dans l'air du temps - il faudrait peut être que Mme Archimbaud réalise !! - c'est ce profond désir du MEDEF de tout réformer en "privatisant" la Sécurité Sociale !

La réalité de ce qui est en train de se préparer, c'est tendre vers la disparition, ou en tout cas la réduction maximale des régimes par répartition (pourtant les plus égalitaires ou, les moins inégalitaires, c'est selon).

Ce sont  pourtant les seuls qui ont vraiment résisté aux crises diverses jusqu'alors, contrairement aux systèmes privés.

Je n'invente rien : il n'y a qu'à comparer le système social français aux sytèmes d'assurances privés d'autres pays, et observer les conséquences qui ont découlé des diverses crises traversées dans chacun de ces pays.... 

Nous sommes en train de régresser vers l'abolition de tous les avantages acquis, au profit de l'enrichissement exponentiel des nantis, qui sont les mêmes qui tirent les ficelles.

Et nous nous laissons faire, effectivement peut être parce que les plus démunis ne vont plus réclamer, et les classes intermédiaires, bien conscientes de ne pas encore être "tombées" parmi les plus démunis, se contentent d'espérer que l'on ne rognera pas davantage leurs acquis.

Il faut se réveiller ! 

Portrait de IMIM

tt k je salue l'initiative et le courage de cette femme qui résiste à sa manière et s'attaque à ce qui semble innévitable. Ce qu'elle dénonce tous le savent.

Il va lui falloir beaucoup de ténacité vu l'air ambiant et face aux requins de tt sortes,  pour arriver à ses fins.