LGBT : Bas les masques en Martinique !

Publié par jfl-seronet le 10.06.2012
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manifestationLGBT
Le 17 mai denier, la Martinique a connu sa première manifestation LGBT. Une première qui s’est déroulée en plein centre ville de Fort-de-France et qu’on doit à la mobilisation de personnes et d’associations, dont AIDES, An Nou Allé et Temps Dem. Militant à AIDES, Stanislas Monmessin revient sur cet événement, ses objectifs… une occasion de parler de la vie des personnes LGBT, du lien avec la lutte contre le VIH dans cette île et plus largement dans les Caraïbes.
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Qui a appelé à la première marche LGBT en Martinique le 17 mai dernier et quels étaient les objectifs de cette manifestation ?
Stanislas : En fait, cette manifestation s'est organisée de manière très spontanée tout en étant un travail de longue haleine sur plusieurs mois. Je m'explique : l'idée initiale était d'organiser sur une semaine une rencontre sous forme de congrès des activistes caribéens de la lutte contre le VIH/sida et/ou de l'homophobie issus d'une douzaine de pays de la région à l'occasion de l'IDAHO [Journée mondiale de lutte contre l’homophobie et la transphobie, ndlr], sous le nom de : "Première Semaine Caribéenne de la Diversité". Courant mars, nous avons décidé de reporter ce projet (vraisemblablement en novembre 2012) faute de temps et de moyens financiers. Or, ce projet avait déjà fait l'objet d'une mobilisation des partenaires autour de AIDES (essentiellement An Nou Allé, une association LGBT, Temps Dem, une association lesbienne, Tchok en Doc, une association culturelle de promotion du film documentaire, et JMConcept, l'organisateur de la principale soirée privée LGBT de Martinique (qui réunit tous les mois 2 à 300 personnes) et d'un travail commun. Il aurait été dommage de ne rien faire en mai. Nous étions donc décidés à marquer le coup en organisant quelque chose pour le 17 mai. Plusieurs idées ont été évoquées : un débat avec les candidats aux élections législatives, un kissing… En parallèle, nous avons eu connaissance de la création d'un groupe sur Facebook intitulé "Journée de lutte contre l'Homophobie Martinique" à l'initiative d'une personne ne militant dans aucune des associations qui avaient appelé à un rassemblement pour l'IDAHO. Ce groupe était assez actif ; il s'étoffait de jour en jour et était essentiellement lesbien. C'est très intéressant car le paysage associatif LGBT est assez réduit et/ou mal connu en Martinique et les réseaux sociaux semblent palier cette absence de structures. Nous avons donc pris contact avec cette personne, organisé une réunion afin de dessiner l'ébauche de la manifestation une douzaine de jours avant qu'elle n'ait lieu… On partait sur une marche au centre-ville de Fort-de-France, ponctuée d'un "Die-In". Enfin, nous avons proposé d'écrire un communiqué de presse commun avec nos partenaires de toujours, An Nou Allé et Temps Dem, en y associant l'Union des Femmes de la Martinique, une association féministe avec laquelle nous partageons bon nombre de revendications que ce soit sur les questions LGBT ou sur d'autres sujets. L'objectif était bien évidemment de sensibiliser le grand public à la lutte contre l'homophobie. Le "Die-In" a, en ce sens, bien fonctionné puisqu'il s'agissait à la fois de faire entendre que l'homophobie pouvait tuer, tant en signifiant que nous étions bien vivant-e-s, visibles et déterminé-e-s à la combattre. En définitive, cette première marche a été le fruit d'une collaboration diverse dont AIDES a été le catalyseur entre différentes structures associatives et des personnes lesbiennes et gays ne faisant pas partie d'une association, issu-e-s  de la "société civile" en quelque sorte, et c'est très important de le souligner. Il est également important de mentionner que cette manifestation était parrainée par le comité IDAHO en la personne de son fondateur, Louis-George Tin, martiniquais d'origine, également co-fondateur d'An Nou Allé et très sensible à la lutte contre l'homophobie aux Antilles.

Comment s'est déroulée la manifestation et comment a-t-elle été accueillie ?
La priorité absolue était d'assurer la sécurité des participant-e-s. Même si les risques d'agression étaient réduits d'après nous, on ne sait jamais ce qui peut arriver lors d'un rassemblement sans précédent tel que celui-ci. D'où l'idée de se rassembler avant la marche au local de AIDES situé en plein centre-ville, et d'y revenir groupés à l'issue de la marche. Le cortège a bien essuyé quelques insultes au passage, mais aucune agression physique fort heureusement. Il faut dire que la manifestation a pris une tournure optimale : Environ 70 participant-e-s ont répondu présents, ce qui était au-delà de ce que nous espérions. Mais le plus surprenant était sans aucun doute la tournure militante qu'a pris cette manifestation. Initialement, elle devait être silencieuse et un peu solennelle. Or, dès les premiers mètres parcourus dans la rue de la République, les premiers slogans ont surgi spontanément, repris en cœur par le cortège : "Nou ka mandé respé, respé pou lé makoumé" ("Nous demandons le respect, respect pour les Pédés !"). En fait, je pense que les participant-e-s ont été surpris-e-s de leur propre audace et ont découvert au fur et à mesure qu'ils et elles n'étaient pas en terrain hostile, qu'ils et elles existaient, que le pavé leur appartenait. Ainsi les masques sont, petit à petit, tombés à mesure que la confiance gagnait les participant-e-s. De même que le cortège, qui devait initialement prendre fin place de la Savane, a été prolongé jusqu'au Palais de Justice où nous avons simulé un enchainement aux grilles. Enfin, le "Die-In" a été réalisé de manière très scénarisée : les personnes disposées en cercle tombaient les unes après les autres comme des dominos, ce qui rajoutait en symbolique. Toute la manifestation a été couverte par les médias locaux : Martinique 1ère (TV et radio), France-Antilles (presse), RCI (radio).

Sur les photos prises durant l'événement... il y a de très nombreux masques. Comment doit-on l'interpréter ? Comme une invitation faite aux personnes LGBT à tomber le masque ? Comme le choix d'être caché pour être certain d'être en sécurité ?
Le masque est un élément contextuel martiniquais très important. Le plus souvent, les LGBT martiniquais sont soumis à la discrétion et il est très difficile de vivre (sans parler d'affirmer voire de revendiquer) son orientation sexuelle de manière ouverte dans la société martiniquaise. Le masque servait à symboliser cette invisibilité. Le contexte insulaire renforce encore davantage cet état de fait : sur une île de 60 km de long, on a le sentiment que tout le monde se connait et la rumeur (milans en créole) court vite. L'idée du masque s'est donc naturellement imposée pour préserver l'anonymat des personnes qui le souhaitaient. En revanche, il est intéressant de constater que les masques sont tombés, un à un, au fur et à mesure de l'avancée de la marche.

La Martinique est-elle, selon vous, homophobe ? Et si oui, estimez-vous que ce soit un frein dans les actions de lutte contre le sida menées par AIDES et ses partenaires ?

Oui et non. Disons que l'homophobie prend une tournure particulière, propre au contexte martiniquais, antillais et caribéen. Quel que soit l'endroit où l'homophobie se manifeste, elle est un frein aux actions de lutte contre le Sida. Mais la Martinique est très loin de la situation jamaïcaine où l'homosexualité est sans aucun doute la plus lourdement pénalisée et où la prévalence chez les gays dépassent les 30 % ! A vrai dire, aucune étude n'a estimé la prévalence chez les gays en Martinique, mais tout laisse à croire qu'elle est autour de 10 %. Peut-être davantage. En revanche, nous savons que les gays et les hommes ayant des relations avec d’autres hommes et qui ne se disent pas homos représentent 40 % de la file active martiniquaise et 45 % des nouvelles contaminations en 2010, ce qui fait que la Martinique est plus proche de la situation métropolitaine que ne le sont la Guadeloupe ou la Guyane où l'épidémie est très majoritairement hétérosexuelle. Concernant l'homophobie, là encore le contexte insulaire martiniquais, mais également guadeloupéen, saint-martinois [Ile de Saint-Martin, ndlr] voire caribéen, ne facilite pas les choses dans la mesure où nos petites sociétés réduisent les possibilités d'anonymat, mais également les dynamiques sociales en comparaison avec un pays comme le Brésil, par exemple, plus homophobe que la Martinique si l'on en juge le nombre d'agressions recensées, mais plus dynamique concernant la défense des droits des minorités du fait du nombre de structures associatives, de possibilités de vie dans de grands espaces urbains, de l'immensité du territoire, etc. C'est ce qui explique qu'une manifestation telle que la nôtre n'ait pas eut lieu avant.
De même qu'aux Antilles on peut facilement invoquer le concept de "familles élargies". Dans un contexte de précarité plus important du fait d'un contexte économique également plus réduit, une famille a l'avantage de constituer une vraie sécurité sociale par la solidarité mutuelle de ses membres. Or, l'inconvénient c'est qu'un vrai contrôle social est exercé sur les gens, qui s'apparente à une injonction aux normes sociales (et bien souvent religieuses et chrétiennes). C'est-à-dire à l'hétérosexualité dans le champ de la sexualité. Il est tout à fait possible d'aller outre la norme, à condition que ça ne se sache pas, mais rien n'est moins simple... Dans ce contexte, certain-e-s opèrent une vraie rupture et n'hésitent pas s'ils et elles le peuvent, à partir en France métropolitaine, en Europe, ou aux Etats-Unis. Or, il est certain que la Martinique a aussi des ressources qui lui sont propres. En ce sens, l'homophobie en Martinique ne peut absolument pas être comparée avec celle des zones rurales de métropole. A l'instar des autres sociétés caribéennes, c'est une société métissée extrêmement cosmopolite qui a déjà l'habitude de composer avec ses différences. Du fait de son rattachement à la France, la Martinique est peut-être plus européenne que les autres pays des Caraïbes, tout en ayant une histoire commune caribéenne, des racines africaines et européennes, des apports indiens et une influence grandissante de l'Amérique du Nord. Or, la société globale peine encore à intégrer l'autre composante qu'est l'orientation sexuelle dans cette ensemble hétéroclite, même si les choses semblent changer. Ainsi selon l'enquête KABP [Knowledge, attitudes, beliefs and practices, soit Connaissances, attitudes, croyances et pratiques, ndlr] menée en 2004, 56 % des hommes et 64 % des femmes acceptaient l'homosexualité, contre seulement 6 % des hommes et 11 % des femmes en 1992 ! De même, lorsqu'on lit les écrits d’Aimé Césaire [poète et homme politique martiniquais, ndlr] sur la négritude, on pourrait tout à fait calquer ses idées relatives à l'affirmation de soi, l'acharnement à être ce que l'on est, ou la fierté retrouvée, sur les questions LGBT. C'est pourquoi, à AIDES Martinique, nous sommes persuadé-e-s que les solutions à la lutte contre le sida et l'homophobie peuvent être trouvées à différents niveaux : au sein-même de la société martiniquaise, en mutualisant avec les partenaires caribéens avec qui nous partageons un contexte presque similaire, le tout avec le soutien de la métropole et de l'Europe.

Quelles suites les associations organisatrices de cette première marche entendent donner à cet événement ? De quoi est-ce le début ?
Nous souhaitons par dessus tout poursuivre la dynamique qui a été amorcée et la structurer. Je ne peux pas compter le nombre de fois où l'on m'a dit que la Martinique n'était pas prête pour une telle manifestation avant qu'elle n'ait eue lieu. Aujourd'hui, les participants ont su que c'était possible et ont été surpris par leur propre audace. Il semble qu'une telle manifestation publique était attendue à en croire les retours médias, nombreux, positifs et plutôt bienveillants. Au niveau de la Martinique, nous espérons que cette dynamique suscitera des vocations, l'envie de développer des initiatives et étoffera le paysage associatif. L'association An Nou Allé, par exemple, a toujours eu des difficultés à avoir une vie associative riche faute de membres. Aujourd'hui, c'est tout un pan du militantisme qui a été découvert par nombre de personnes militantes, mais non-engagées dans des structures. Or, il est nécessaire de développer des actions collectives et de mutualiser pour se faire entendre. A l'échelle caribéenne, cette première manifestation peut constituer une bonne base pour mener à terme le projet de la Semaine caribéenne de la Diversité en Martinique en novembre prochain afin de mettre en place des partenariats régionaux et internationaux inédits. Rétrospectivement, la fusion entre AIDES et l’association de lutte contre le sida Amvie a eu lieu il y a moins d'un an. En si peu de temps, nous avons su démontrer notre envie de militer, de susciter des partenariats, de mutualiser, d'interpeller la société sur des sujets traditionnellement tabous et de défendre des positions. Nous espérons donc que AIDES Martinique, la lutte contre le sida et la lutte contre l'homophobie soient visibles et au cœur de la société martiniquaise afin d'opérer une vraie transformation sociale.
Propos recueillis par Jean-François Laforgerie

Commentaires

Portrait de gys

FORMIDABLE....BRAVO.... C'est le premier pas qui coûte, la prochaine les masques seront absents....j'ai pleuré en lisant ton article J-F. Bizzzzzz Gys