Lipohypertrophie : approuvée aux Etats-Unis, la tésamoréline ne le sera pas en Europe

Publié par Renaud Persiaux le 29.06.2012
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Revers pour la société de biotechnologie canadienne Theratechnologies, qui a développé la tésamoréline injectable pour le traitement de l'excès de graisse abdominale chez les personnes vivant avec le VIH (lipohypertrophie). Son partenaire commercial en Europe a retiré la demande d'AMM pour ce produit. En cause : des doutes sur l’innocuité du produit et sur son rapport bénéfice/risque.

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L’information a été donnée par communiqué de presse le 22 juin. La société Ferrer, qui possède les droits de commercialisation de la tésamoréline en Europe et en Asie, a avisé Theratechnologies qu’elle retirait la demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM) déposée auprès de l’Agence européenne des médicaments (EMA).


Cette décision fait suite à une présentation orale faite auprès du comité des produits médicaux à usage humain (CHMP) de l’agence. En effet, des niveaux d’IGF-1 (un facteur de croissance analogue à l'insuline de type 1) élevés sont une préoccupation quant à la tolérance de la tésamoréline à long terme. Et l’insuffisance de données sur les marqueurs de risques cardiovasculaires (un effet espéré du produit) ne permettait pas à l’EMA de conclure à un rapport bénéfice-risque positif.


Questions au Canada…
Au Canada aussi, Theratechnologies a annoncé avoir reçu un avis de non-conformité de la direction des produits thérapeutiques de santé, qui questionne tant l’innocuité à long terme de la tésamoréline que la population pertinente de patients et l’indication proposée. Teratechnologies et son partenaire commercial pour ce territoire, Actelion Pharmaceutiques, disposent de 90 jours pour répondre à ces questions. La décision finale est attendue au premier semestre 2013.


…et au Brésil
Autre revers au Brésil où Sanofi possède les droits de commercialisation (comme pour toute l’Amérique latine). L’Agence nationale de surveillance sanitaire du Brésil a identifié des déficiences techniques reliées au site de fabrication montréalais. Le fabricant affirme être en mesure de mettre en œuvre les recommandations brésiliennes, mais la décision réglementaire du Brésil pourrait être retardée. Theratechnologies, qui est cotée au NASDAQ, l’indice boursier des sociétés de haute technologie, a revu à la baisse ses objectifs financiers, et ne prévoit plus un exercice positif en 2013.


Approuvée aux Etats-Unis
Aux Etats-Unis, la tésamoréline est approuvée depuis novembre 2010, et commercialisée sous le nom Egrifta par EMD Serono, du groupe Merck. C’est le premier et le seul traitement indiqué pour la réduction de l’excès de graisse abdominale chez les personnes vivant avec le VIH. Etaient alors soulignées "certaines limitations d’utilisation", notamment le fait que les bénéfices et l’innocuité cardiovasculaires à long terme étaient non étudiés et inconnus. Aussi la décision de continuer la tésamoréline chez les personnes pour qui l’efficacité n’est pas clairement démontrée (par des changements au niveau de la graisse viscérale mesurés par le tour de taille ou par tomodensitométrie) doit être évaluée avec soin. Si les personnes vivant avec le VIH attendent avec impatience des solutions pour les lipohypertrophies, Egrifta (tésamoréline) a été approuvée aux Etats-Unis après un long feuilleton.


Des inconvénients
Loin d’être une molécule miracle, ce médicament, qui fonctionne en induisant la sécrétion de l’hormone de croissance endogène (GH), un facteur connu de croissance, présente plusieurs inconvénients :
- la réduction est limitée à la graisse viscérale et non à la graisse cutanée, et elle n'est que de 16 à 20 % selon les études ;
- il n’y a pas d’effet sur l’amaigrissement ni le poids ;
- le produit s’utilise quotidiennement par injection sous-cutanée, avec risque de rougeurs et prurits au site d’injection ;
- l’effet est réversible à l’arrêt du traitement : il faut donc utiliser la tésamoréline de façon permanente ;
- l’action sur la sécrétion de GH accroit les risques de cancers. Le médicament est ainsi contre-indiqué en cas de tumeurs actives, d’antécédents de tumeurs non malignes, d’antécédents de tumeurs traitées et stables, cela en raison de possibilités de récurrences. Cela implique une évaluation minutieuse du rapport bénéfice/risque. D’autant plus qu’on sait que, précisément le risque de développer certains cancers est accru chez les personnes séropositives ;
- parmi les effets indésirables, figurent le risque de diabète et d’augmentation du taux de glucose dans le sang, de douleurs articulaires, d’oedème, d’hypersensibilité. Au total, dans les essais, près de 10 % des personnes ont arrêté la tésamoréline du fait des effets indésirables.


Jouer sur son alimentation et le sport
En l’absence de traitements présentant un rapport bénéfice/risque indéniable, on peut mettre en oeuvre, si on est atteint de lipohypertrophies, les mesures suivantes, en accord avec son médecin : changement des ARV qui ont provoqué les lipohypertrophies (généralement les anciennes antiprotéases de première génération) et adoption de règles hygiéno-diététiques, avec alimentation plus équilibrée et pratique sportive adaptée. Cela ne règle pas tous les problèmes, mais un certain nombres de témoignages et d’expériences sur cette base (changement de traitement, alimentation, activité adaptée) montre que c’est possible. Bien sûr, cela ne pourra pas régler toutes les situations. Des programmes adaptés peuvent être discutés avec des soignants (médecin VIH, médecin traitant, nutritionniste ou diététicien-ne).