Mariage pour tous : l’Eglise voit rosse !

Publié par jfl-seronet le 02.09.2012
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Outre la question fondamentale de l’égalité des droits, l’ouverture du mariage aux couples de même sexe… autant dire à tous, a l’immense mérite de poser la question de la place de la religion (des religions) dans la politique, de la sphère de l’une et de l'autre, du légitime avis à l’intolérable ingérence… Cette question a fait débat ces jours derniers à propos du mariage pour tous… et ce n’est probablement pas fini. Passage en revue de quelques arguments…
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Rappel des faits
Le cardinal André Vingt-Trois invite, il y a quelques semaines, les catholiques, lors de la fête de l'Assomption (15 août), à une prière nationale conviant les responsables politiques à œuvrer pour le "bien commun". Une telle initiative n’a pas été prise depuis l’après Guerre… c’est dire si c’est peu fréquent. Cette prière comprend une défense du mariage et de la famille tels que l’Eglise catholique les idéalisent. Il s’agit notamment de rappeler qu’il est bien que des enfants puissent être élevés par un homme et une femme (si possible mariés… c’est mieux !) Aussitôt, c’est le "succès" garanti. Ça faisait même longtemps qu’on n’avait pas autant parlé de la religion catholique en France. Il y a les pour, les contre… et des arguments pour expliquer les positions de l’Eglise catholique plus ou moins inspirés et plus ou moins outranciers. Du côté de la relative maîtrise, on trouve l’évêque Bernard Podvin, porte-parole de la Conférence des évêques de France. Il rappelle que l’hostilité de l’Eglise au mariage pour tous n’est pas un "scoop". Effectivement. D’ailleurs, dans une interview ("La Croix", 7 mai 2012), on lui demandait s’il était inquiet des promesses de François Hollande, relatives à des questions de société. Voici ce qu’il répondait : "Sur le plan éthique, nos convictions sont connues, notre opposition au mariage entre deux personnes du même sexe comme notre réticence sur toute introduction de l’euthanasie pour la fin de vie. Il ne s’agit pas d’une position idéologique de l’Eglise, mais de nos convictions qu’il y a des choix qui relèvent de l’intime, et pas de la législation. Faire ces réformes serait inutile. Cela cliverait le pays, qui n’en a vraiment pas besoin. Plus généralement, l’Eglise doit conserver la liberté de dire ce qu’elle rejette, même si cela doit l’amener à s’opposer à la nouvelle majorité : ce n’est pas parce qu’une opinion est majoritaire qu’elle est bonne pour l’homme". Du côté nettement plus pètage de plomb, on trouve Philippe Barbarin, l’archevêque de Lyon. "Notre désir est que la loi n'entre pas dans des domaines qui dépassent sa compétence [sic !]. Un Parlement est là pour trouver du travail à tout le monde, (...) pour s'occuper de la sécurité, de la santé ou de la paix. Mais un Parlement, ce n'est pas Dieu le Père", explique-t-il, sans rire, à l’AFP le 14 août 2012. Il estime même que le vote de la loi promise par la gauche constituerait "une rupture de civilisation".

De quoi l'Église se mêle-t-elle ?
Bien entendu avec une telle élévation des arguments (c’est à peine si on ne nous promet pas le retour des dinosaures et l’entrée de Satan au gouvernement), les critiques ont été vives… De nombreuses associations montent au créneau et on voit quelques fois des tribunes enflammées remettre en cause le discours de l’Eglise et sa légitimité à intervenir dans ce débat. La plus représentative est, sans conteste, celle de Caroline Mécary, célèbre avocate, co présidente de la fondation Copernic et conseillère régionale Europe Ecologie Les Verts d’Ile-de-France, publiée (15 août) sur le "Huffington Post". Sa ligne est claire et se résume à une question : "Mariage gay : de quoi l'Eglise se mêle-t-elle ?" Préalable au développement de la thèse de Caroline Mécary : "Le combat de l'Eglise catholique contre l'ouverture du mariage à tous les couples est un combat d'arrière garde". Un combat perdu d’avance donc… D’autant, selon l’auteure, que l’Eglise serait un peu hors sujet. Caroline Mécary indique, en effet, "que l'engagement du Président de la république François Hollande porte sur l'ouverture du mariage civil et non du mariage religieux, ce mariage institué en 1791 et qui n'a eu de cesse d'évoluer jusqu'à nos jours pour instaurer une égalité totale entre les époux, dès lors l'Eglise catholique ne devrait pas s'inquiéter outre mesure de cette ouverture qui ne concerne que la sphère temporelle et non la sphère spirituelle, qu'on lui abandonne bien volontiers".


Autre grief de l’avocate, la lecture d’André Vingt-Trois concernant le mariage qui serait selon lui : "Une institution sociale pour assurer le mieux possible la bonne éducation des enfants". Pas du tout, affirme-t-elle, puisqu’une majorité des enfants nait hors mariage et que nombre d’enfants sont élevés dans des familles monoparentales. Mais ce qui pose le plus problème à Caroline Mécary, c’est l’ingérence de l’Eglise sur le terrain de la politique avec des arguments très "fin du monde". "Nombre de pays européens ont ouvert le mariage civil à tous les couples et ces pays ne sont nullement en proie à un chaos apocalyptique, qui serait notre destin, à en croire les bons pères, qui voudraient encore nous dicter notre manière de penser", tacle l’avocate. Elle croit d’ailleurs utile de rappeler : "Nous ne sommes plus au XIXème siècle et l'Eglise devrait davantage s'occuper de la crise de confiance qu'elle traverse, plutôt que d'entériner des choix d'un autre âge. Elle devrait consacrer ses prières aux victimes des actes dont elle s'est rendue responsable à travers les siècles, qu'il s'agisse des victimes de sa complicité passive lors de la traite des esclaves, des victimes de son silence coupable à l'égard du nazisme et du fascisme, des victimes de son soutien actif à nombre de dictatures (celle de Franco, de Mussolini, de Pinochet, de Salazar pour ne citer qu'elles), des victimes des crimes pédophiles commis par certains prélats ou encore des victimes de sa position dogmatique à l'égard du préservatif et de l'avortement". Aïe ! Autant d’arguments qui ont suscité, en retour, une onde de choc.
 
L’Eglise en défense
C’est sur le site Atlantico qu’on trouve les répliques à la tribune de Caroline Mécary. On doit la première (16 août) à un avocat, maître Eric Morain. Il a été un des avocats de Christian Vanneste lorsqu’il était député UMP et poursuivi pour injure envers les homosexuels… Dans la partie adverse, une des avocates des parties civiles était Caroline Mécary. Au cœur du débat (alors juridique) entre eux, l’homosexualité déjà. C’est donc lui qui sonne la charge contre sa consœur dans un texte intitulé "Les censeurs de prière découvrent l'eau tiède". Eric Morain s’étonne des réactions courroucées contre l’Eglise. "Mais pourquoi l'Eglise renierait-elle une position qui est la sienne depuis toujours ?", demande l’avocat. Il note d’ailleurs qu’on ne reproche pas à cette même Eglise de faire de la politique lorsqu’elle ouvre ses portes aux sans-papiers ou prend position en faveur des Roms. Il avance aussi un argument inattendu : "Si on ne croit pas à la Vierge Marie [c’est ça le 15 août, ndlr], qu’est-ce que cela peut bien faire à ces incroyants que les chrétiens la prient comme bon leur semble. Ça rappelle les athées qui s’immiscent dans le débat sur la messe en latin : en quoi cela les concerne véritablement ?" L’argument est amusant, mais c’est oublier que tout est affaire de symbole.

Comme toujours chez les auteurs qui font des textes à charge, une certaine mauvaise foi n’est jamais bien loin. Ainsi Eric Morain avance ainsi qu’on caricature le point de vue des évêques puisque "ni le mot mariage ni le mot homosexuel ne sont mentionnés dans cette prière ce qui montre combien les réactions sur ce texte font apparaître une exacerbation dramatique des passions et la stigmatisation de mauvaise foi de toute position dissidente annonciatrice d'un refus de tout débat futur". Certes, les mots n’y figurent pas… mais on n’entend que cela dans la façon dont André Vingt-trois a écrit son texte. Les sous entendus y sont légion et, en creux, on ne peut qu’y trouver une critique de l’ouverture du mariage pour tous et de l’adoption. Pour Eric Morain, il y a un raccourci qui est trop souvent fait : "L’Eglise est contre le mariage homosexuel, donc contre les homosexuels. Fermez le ban. Et on feint - une fois de plus - de découvrir l'eau tiède en ce qui concerne la position de l'Eglise catholique sur le mariage et sur la famille. Qu'attendaient donc certains médias, les associations militantes homosexuelles et autres auto-considérés bien-pensants ? Que l'Eglise de France, fille aînée de l'Eglise, dise ce qu'elle n'a jamais dit jusqu'à présent depuis 20 siècles, tout ça parce qu'un simple projet de loi sur le mariage homosexuel est proposé et risque d'être adopté en 2012 par une majorité politique qui ne sera plus la même d'ici quelques mois ou quelques années ?" Pour Eric Morain, le fait qu’une loi soit en préparation ne doit pas empêcher "un magistère multiséculaire" [L’Eglise, ndlr] de "réaffirmer, ne serait-ce que spirituellement et liturgiquement, son attachement à un fondement de notre société - et osons dire de nos civilisations".
 
Deuxième salve !
La seconde charge, on la doit aussi à un avocat (décidément) et blogueur sur le site Atlantico : Koz. "L’Eglise se mêle de ce qui la regarde", affirme ce dernier. "L’Eglise serait-elle la seule institution en France à laquelle on puisse dénier le droit de s’exprimer ?", interroge l’avocat. Il dénonce l’argument que "l’Eglise devrait se conformer à l’opinion du moment", et explique : "Voilà qui lui assurerait la popularité. Seulement, l’Eglise est comme ça, amoureuse de l’intemporel et probablement la dernière à ne pas laisser aller ses positions au gré des enquêtes d’opinion". L’avocat défend la thèse que l’Eglise puisse intervenir sur tous les sujets. "Prolifération nucléaire, travail dominical, Roms, mariage et adoption homosexuels… L’Eglise ne devrait pas s’en soucier. C’est passer à côté du christianisme, et de la foi en général. Que serait donc la foi si elle ne se traduisait pas au quotidien ? Que serait un croyant qui se contenterait d’assister à la messe le dimanche sans que sa foi n’ait la moindre incidence sur son quotidien ?", avance Koz. On peut se laisser séduire par cette position qui défend la liberté d’expression, c’est une vraie garantie de la vie démocratique. On pourrait en rester là… si Koz n’ajoutait pas quelques remarques sur le cœur du sujet lui-même : l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe. Et là, c’ets moins plaisant. "Il ne paraît pourtant pas objectivement insoutenable de penser qu’il est de l’intérêt des plus faibles d’entre nous, les enfants, d’être préservés des expérimentations sociales des adultes, et de bénéficier d’un père et d’une mère. De cela, on peut débattre – n’en déplaise à ceux qui voudraient faire passer ce choix fondamental sans discussion. Il se trouve d’ailleurs que l’Eglise semble être la dernière à ne pas céder sous la terrible menace de la "ringardisation" (…) Mais, de grâce, que l’on ne nous sorte plus l’argument sournois de la crise de l’Eglise, ni même la laïcité, pour tenter de museler les catholiques".
 
Les voix (voies ?) du seigneur !
Il ne faut pas museler les catholiques défendent les uns. Attention à ce que la religion ne fasse pas de politique disent les autres. Les positions semblent figées. Pourtant le débat nous apprend des choses. D’abord que l’Eglise a une stratégie de reconquête de l’opinion, surtout celle des gens qui votent à droite, et que le mariage pour tous est un symbole qu’elle entend utiliser dans cette reconquête. C’est avec ce sujet que les évêques passent à la télé, multiplient les interviews, donnent le sentiment d’être, de nouveau, dans la course… Ensuite que l’Eglise peut participer au débat sur ce sujet comme sur d’autres. Elle n’est pas moins légitime que les syndicats, les partis politiques, etc. à s’exprimer. Pas moins, mais pas plus. Il ne suffit pas de brandir Dieu pour imaginer qu’on a raison contre la majorité issue des urnes. A notre connaissance, les catholiques ont le droit de vote en France. C’est bien là que réside le problème d’ailleurs : prétendre que les voies de Dieu seraient supérieures au vote des citoyens, que certains domaines (au nom de quoi ?) ne pourraient pas être abordés par la loi…  C’est ce que défend l’Eglise catholique. Elle seule serait le garant de l’intangible, de l’intemporel… ce qui reste à démontrer. Et au nom de cela, elle serait la seule à pouvoir définir les valeurs, imposer les règles… dans de prétendus domaines réservés. Enfin, ce débat nous apprend que l’Eglise est dans l’incapacité d’aborder ce débat sans se crisper. C’est une erreur, sans doute une faute qu’elle a déjà commise avec l’avortement. Combien de femmes ont rompu avec l’Eglise catholique à ce moment-là ? Prétendre que l’ouverture du mariage pour tous serait une "rupture de civilisation" comme l’affirme un dignitaire de l’Eglise catholique est le signe du profond malaise que l’Eglise entretient avec l’homosexualité.
 
Pédés : malaise dans l’Eglise
Sans doute le débat serait-il plus apaisé si l’Eglise ne semblait pas si obsédée par l’homosexualité. Mais pourquoi une telle obsession ? Historien du catholicisme à l’université de Lyon II, Anthony Favier expliquait récemment (17 août) dans "Libération" que l’Eglise "a perdu le contrôle de beaucoup de secteurs de la vie de la société : les universités, les hôpitaux puis les écoles (…) Les Français voient de plus en plus le catholicisme comme une religion parmi d’autres. Il y a une crise de légitimité, l’Eglise a du mal à représenter la majorité des Français. L’Eglise est aussi en crise dans le sens où elle est rentrée dans une logique minoritaire. Elle n’est plus celle qui initie les débats. Elle est obligée de suivre et n’est plus en avance sur les questions de société". Un autre facteur semble jouer un rôle déterminant selon Anthony Favier : "Il existe un fort tabou au sein du catholicisme qui est celui de l’homosexualité du clergé. Un nombre non négligeable de prêtres catholiques - en charge ou non - sont homosexuels. C’est un paradoxe sociologique : cette communauté, plutôt conservatrice au niveau des mœurs, est gouvernée par des prêtres dont une partie non négligeable des effectifs est composée d’homosexuels". D’ailleurs, l’Eglise a réagi à cette situation puisque depuis 2005, elle interdit l’ordination des homos ou des séminaristes soutenant les homos. "Ce tabou explique, en partie, la réaction actuelle de l’Eglise face au mariage homosexuel. La question n’a jamais été ouvertement traitée. Dans toutes les déclarations, l’homosexualité est toujours présentée comme un problème de société, un problème psychologique, un problème externe à l’Eglise. Or, ce discours néglige totalement l’homosexualité comme partie structurante du catholicisme (…)  Du coup, l’homosexualité n’est jamais traitée explicitement", explique Anthony Favier. Inutile de conclure, l’histoire ne s’arrêtera pas là.