Mariage pour tous : L'Académie des sciences morales et politiques n’est pas de la noce

Publié par jfl-seronet le 26.01.2013
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Droit et socialmariage pour tous

L'Académie des sciences morales et politiques est l’une des cinq académies de l'Institut de France. Cette dernière dirigée par l’ancien ministre UMP Xavier Darcos s’est autosaisie du projet de loi sur le mariage pour tous… et curieusement (on blague !) elle s’y oppose. Elle prétend que le texte défendu par le gouvernement mettrait "en cause les droits" des couples hétérosexuels. Explications.

L'Académie des sciences morales et politiques regroupe des juristes, des économistes, des philosophes, des sociologues ou hommes politiques. De temps à autre et pour tout dire pas très souvent (2006, 2008, 2012) elle rend des avis sur des sujets sur lesquels elle est consultée ou dont elle s’autosaisit… sans doute pour chasser l’ennui. Son dernier travail a donc porté sur le projet de mariage pour tous. Manifestement le sujet l’a inspiré puisque l’Académie a élaboré un très long argumentaire.

Que  dit l’avis ?

L'Académie des sciences morales et politiques estime que le projet "conduit à une transformation profonde du droit du mariage et de la filiation sur laquelle l'Académie des sciences morales et politiques souhaite appeler l'attention des pouvoirs publics". "En l'état actuel du droit français, le mariage, pour reprendre les termes retenus par la cour de cassation, "ne peut être légalement contracté qu'entre deux personnes appartenant l'une au sexe masculin, l'autre au sexe féminin". Selon la jurisprudence tant internationale que constitutionnelle, cette solution ne porte pas atteinte au principe d'égalité et ne saurait par suite être regardée comme discriminatoire", croit savoir l’Académie. Sans doute, mais ce n’est pas gravé dans le marbre, cela peut changer, à l’instar de ce qui a été fait dans différents pays. Et l’Académie de poursuivre : "Soucieux toutefois de permettre aux personnes majeures homosexuelles (sic) d'organiser leur vie commune, le législateur leur a permis en 1999 de conclure un pacte civil de solidarité (pacs) ouvert d'ailleurs à tous. Des réformes législatives diverses ont progressivement rapproché les effets du pacs de ceux du mariage dans les relations du couple".

L’Académie en rajoute

Dans son argumentaire, l’Académie en rajoute, quitte à caricaturer. "En présentant le projet de loi, le gouvernement a souligné que "des différences subsistent entre le pacs et le mariage et que cet instrument juridique ne répond pas à la demande des couples de personnes du même sexe qui souhaitent se marier, ni à leur demande d'accès à l'adoption". En vue de satisfaire à ces demandes, le projet de loi leur ouvre "le droit au mariage" et élimine par suite dans le code civil toute référence au sexe des conjoints", ce qui n’est pas exact… mais bon !

"L'Académie des sciences morales et politiques observe que la réforme proposée transforme en profondeur le droit français du mariage et de la filiation. En vue de répondre à la demande de couples de même sexe désireux d'organiser leur vie commune, elle impose cette transformation radicale aux couples de sexe différent. Opérée au nom des droits individuels des premiers, elle met en cause les droits des seconds. Une formule plus respectueuse de tous aurait consisté à transformer le pacs conclu par des personnes du même sexe en une union civile comportant pour les partenaires de cette union les mêmes droits et obligations que ceux nés entre conjoints dans le mariage (…) En tout état de cause, l'Académie appelle l'attention des pouvoirs publics sur la nécessité de respecter dans la loi et ses textes d'application le droit des couples hétérosexuels à demeurer "mari" et "femme" et "père" et "mère" de leurs enfants, que ceux-ci soient nés dans le mariage ou hors mariage".

L’Académie y va fort, très fort…

La lecture de l’argumentaire est souvent pénible. On peut y lire des formules comme : "Admettre qu'un couple unissant des personnes de même sexe puisse se substituer au père et à la mère biologiques soulève des problèmes sérieux en ce qui concerne le destin de l'enfant adopté. Des vues diverses ont été exprimées à cet égard et aucune étude approfondie n'a encore été opérée sur le sujet. Or, s'il n'existe pas de droit à l'enfant, il est des droits de l'enfant sur lesquels le législateur doit veiller face à ces incertitudes sérieuses. S'il est un domaine dans lequel la prudence est de rigueur, c'est bien celui-là". Autre formule dont on appréciera la nuance : "Le texte proposé ouvre le mariage non seulement aux personnes homosexuelles de nationalité française, mais encore aux étrangers, ce qui risque de créer de regrettables conflits de loi". Et puis, comme cela ne suffit pas, l’Académie sonne la charge contre la PMA et fait même de la politique fiction. Exemple : "L'Académie relève qu'au nom du principe d'égalité, des couples d'hommes pourraient dans l'avenir souhaiter recourir à des mères porteuses en vue d'assurer leur filiation. L'Académie estime que ces revendications soulèvent des questions bioéthiques fondamentales qui ne concernent pas seulement les couples homosexuels et qu'il serait regrettable de légiférer en ce domaine à l'occasion du présent projet de loi". Grief d’autant plus curieux que la GPA n’a jamais fait partie du projet du gouvernement et que la PMA n’en fait plus partie. Ce que conteste l’Académie dans la lecture partisane qu’elle fait du projet du gouvernement, c’est que le projet tendrait à "à substituer les parents, aux pères et mères de l'enfant (…) La parentalité prend ainsi la place de la paternité et de la maternité. [le projet] tend à promouvoir un droit à l'enfant qui fait passer celui-ci de sujet à objet de droit. Il conduit à nier la différence biologique entre les sexes pour lui substituer un droit à l'orientation sexuelle de chacun. On comprend qu'il ait pu de ce fait susciter des soutiens enthousiastes et des oppositions affirmées, auxquelles il est temps encore de substituer un débat serein et approfondi".

Cet avis constitue en lui-même une telle démarche partisane qu’on croirait que le document a été rédigé par Frigide Barjot et sa bande. L'avis sur le "mariage pour tous" a été adopté à "l'unanimité, moins deux abstentions", selon le secrétariat général de l’institution Xavier Darcos. Comme le rapport l’AFP, ce dernier s'est toutefois refusé à communiquer le nombre de votants, ni leur nom. L'institution compte au total 50 membres (juristes, économistes, philosophes, sociologues, hommes politiques), parmi lesquels Jean-Claude Trichet, l’ancien président (UMP) Christian Poncelet, Emmanuel Le Roy Ladurie, célèbre historien et opposant aux droits des LGBT, voire ses tribunes lors des débats sur le PaCS. On y trouve aussi des personnalités comme la philosophe Chantal Delsol, hostile aux droits des homos, François d’Orcival de "Valeurs actuelles" qui mène campagne contre le projet, etc.