Mariage pour tous : le PS a du mal au démarrage

Publié par jfl-seronet le 17.09.2012
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mariage lgbtAdoption
On est tenté de dire encore (avouons que la communication ministérielle a connu des jours meilleur)… une fois de plus il y a des problèmes de calage en matière de pédagogie des réformes et futures lois. Dernier exemple en date : le projet d’ouverture du mariage et de l’adoption à tous les couples. Rappel des faits.
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"La Croix" et la manière
Cela commence par une interview de la ministre de la Justice, Christiane Taubira, au journal "La Croix" (11 septembre). La ministre y explique que le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe leur permettra d'adopter "dans les mêmes conditions que les hétérosexuels", mais qu’il ne prévoit pas d'élargir l'accès à la procréation médicalement assistée. Elle explique : "Le projet de loi va étendre aux personnes de même sexe les dispositions actuelles du mariage, de la filiation et de la parenté (…) Nous ouvrirons donc l'adoption aux couples homosexuels et ce, dans un cadre identique à celui actuellement en vigueur. Ils pourront, comme les autres, adopter de façon individuelle ou conjointe (de façon simple ou plénière)", précise la ministre dont les services rédigent le texte du projet.

"A l'heure actuelle, la procédure d'adoption est sérieuse, elle sera appliquée de la même façon pour les couples de même sexe", poursuit Christiane Taubira, assurant que "l'intérêt de l'enfant est une préoccupation majeure du gouvernement". Interrogée sur une ouverture de l'aide médicale à la procréation (PMA) aux couples de femmes, la ministre répond que ce projet de loi "ne prévoit pas d'élargir l'accès à la procréation médicalement assistée". "L'accès à la PMA ne rentre pas dans son périmètre", ajoute-t-elle. Et peu importe si cette revendication est portée depuis longtemps. Il semble aussi curieux que l’ouverture d’un statut pour tous les couples ne s’accompagne pas de droits identiques, puisque la PMA est justement réservée aux seuls couples mariés. Même Christine Boutin trouve qu’il y a là matière à problème…
 
Problème de calage
Le problème de calage du gouvernement se manifeste assez vite. L’entourage de la ministre de la Famille, Dominique Bertinotti, fait savoir (11 septembre) que le texte que présente la ministre de la Justice dans son interview ne serait qu'un "pré-projet". "Nous sommes au début des auditions. On ne peut préjuger de leur contenu. Au terme de ces échanges, un projet sera soumis à l'arbitrage du président de la République et du Premier ministre", tacle l’entourage de la ministre de la Famille cité par l’AFP. Selon l'entourage de Dominique Bertinotti, "les premières auditions démontrent que des questions sont ouvertes, notamment quant au statut du tiers (beau-parent) ou encore à l'adoption pour les couples non mariés". Bref, c’est plié ou pas ? Oui, explique-t-on du côté du ministère de la Justice qui n’a pas reçu les associations LGBT (la moindre des choses sur un tel texte). Non, indique-t-on chez la ministre de la Famille qui poursuit des auditions. Ajoutons à cela que le cardinal André Vingt-Trois, président de la Conférence des évêques de France explique (11 septembre) dans une interview que "les contacts que nous avons notamment avec Mme Taubira peuvent être de nature à infléchir le contenu de ce projet de loi". Bref, c’est le foutoir !
 
L’opposition… joue sur du velours
Du côté des opposants, on peut la jouer assez facilement puisque le gouvernement flotte, une nouvelle fois, dans la présentation d’un futur texte. L’ancienne députée et ministre UMP Christine Boutin y va de nouveau de sa proposition d’un référendum. Pour elle : chaque Français doit pouvoir s'exprimer sur ce "sujet lourd dans ses conséquences pour la société". "La déclaration de Madame Taubira est un très mauvais indicateur de la volonté du gouvernement d'un débat serein sur cette affaire", poursuit-elle. Du côté du PS, c’est Jean-Christophe Cambadélis qui réplique. Il estime qu'il n'est pas nécessaire de "déranger les Français" avec un référendum sur le mariage pour tous. "Non, je ne pense pas qu'il faille déranger les Français sur ce sujet. La représentation nationale est assez capable de faire face et de trouver une solution". Plus efficace, Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole du gouvernement et ministre des Droits des femmes, estime que ce référendum a déjà "eu lieu" avec l'élection de François Hollande à l'Elysée, dont le projet présidentiel comprenait cette disposition. "D'une certaine façon, le référendum a déjà eu lieu il y a quatre mois, au moment de la campagne présidentielle. Est-ce que nous avons caché notre volonté de vouloir autoriser le mariage pour tous et le droit à l'adoption ? Non, au contraire, nous l'avons mis en avant". Claude Bartolone, président (PS) de l'Assemblée Nationale écarte, lui aussi, lors d’une interview sur Canal + (11 septembre), l'éventualité d'un référendum, car le Parlement "est là pour voter la loi".
 
L’UMP et le "contre-feu"
Comme souvent sur ce type de sujets sociétaux, l’UMP avance avec deux visages. D’abord celui du parti : très contre, évidemment. Dans un communiqué (11 septembre), l’UMP explique voir dans ce projet un "contre-feu" de Hollande pour "détourner" du débat économique. "Ne nous trompons pas, François Hollande essaye d'enfumer les Français sur sa politique économique et sociale et allume un contre-feu avec une mesure sociétale", explique Camille Bedin, secrétaire nationale de l'UMP. "Les socialistes veulent nous détourner du débat économique et social car ils n'ont à proposer que des mesures périmées (emplois-jeunes) ou des impôts supplémentaires (20 milliards)", tonne-t-elle. "Bien que François Hollande multiplie les "comités Théodule" et autres négociations dans tous les domaines, ne servant qu'à débattre de sujets sur lesquels les réformes sont pourtant évidentes, on remarque que, cette fois-ci, le gouvernement veut passer en force et en rapidité sur des sujets aussi majeurs pour la famille et la société que le mariage et l'adoption par des couples homosexuels", regrette Camille Bedin. Même son de cloche pour la sénatrice UMP de Paris, Chantal Jouanno, favorable au mariage et à l'adoption pour les couples homosexuels qui voit aussi dans ce projet  "un écran de fumée, destiné à détourner l'attention des 30 milliards" de tour de vis annoncés par le chef de l'Etat.
 
L’UMP, version rose pale
L’autre visage de l’UMP, ce sont justement ces élus qui s’interrogent, disent oui au projet ou pas complètement non. "L’UMP ne doit pas s'arc-bouter sur une position archaïque", explique Chantal Jouanno et "l'ouverture du mariage et de l'adoption aux couples homosexuels constitue une reconnaissance de l'égalité des droits entre chaque citoyen". Soutien plus alambiqué chez Nathalie Kosciusko-Morizet, députée UMP, candidate à la présidence de l'UMP… Interrogée (11 septembre) sur ce projet, elle s'est dite "favorable à tout ce qui permet de donner sa légitimité à l'amour homosexuel", tout en étant "réservée" sur l'adoption. "Je comprends que la signature du PaCS au greffe du tribunal ne soit pas quelque chose qui soit apprécié". Mais "je suis réservée sur l'adoption, notamment pour tout ce qui concerne la filiation", a-t-elle poursuivi. Ce qui la gêne donc dans le projet actuel, "c'est qu'on nous fait un tout" où "il y a en même temps le mariage, la parentalité et la filiation".

De son côté, Le maire UMP de Bordeaux Alain Juppé estime (11 septembre) sur son blog que la reconnaissance des couples homosexuels ne devait pas nécessairement s'appeler "mariage" et s'est dit opposé à l'adoption par les couples de même sexe, "quels que soient les arguments" invoqués. "Je pense depuis longtemps que la loi doit prendre en compte l'évolution des mœurs et des mentalités et que, par conséquent, le moment de cette reconnaissance est venu", déclare l'ex-ministre des Affaires étrangères. Mais… "Pourquoi donner à cette union le nom de mariage ? L'égalité n'exclut pas la différence", écrit-il. "Je n'arrive toujours pas à accepter l'idée qu'un enfant puisse avoir deux parents du même sexe et je ne suis donc pas favorable à l'adoption par les couples homosexuels, quels que soient les arguments de fait qu'on invoque", ajoute-t-il.

"Clause" combat !
Comme cela a pu se passer ailleurs, on voit désormais venir un courant (élus, mouvements conservateurs…) qui réclame une clause de conscience. C’est-à-dire le fait, malgré le vote d’une loi, pour un maire par exemple de refuser de procéder personnellement au mariage. C’est ce que demandent le mouvement intégriste Civitas et le maire d’Orange Jacques Bompard (Ligue du Sud). Le député d’extrême droite (qui n’est pas au FN) réclame cette "clause de conscience" pour permettre aux maires hostiles au mariage homosexuel de ne pas en célébrer.  "On rentre là dans le même domaine que le médecin qui ne veut pas pratiquer un avortement", explique, sans rire, Jacques Bompard. "Il me semble qu'il doit y avoir là la clause de conscience et si elle n'y était pas, ça signerait que nous sommes dans un monde totalitaire, ce qui déjà est bien avancé".  

Vingt-Trois, v’là l’Eglise !
Nous voilà rassurés… à part quelques farfelus et jusqu’au-boutistes, la loi ouvrant le mariage et l’adoption pour tous sera appliquée. Le cardinal André Vingt-Trois, président de la Conférence des évêques de France (CEF), a ainsi affirmé (11 septembre) à Paris à propos de ce  projet de loi que "si la République change la loi, nous observerons la loi". En fait, la question lui était posée de savoir si certains évêques (dans l’hypothèse où la loi est votée) mettraient leurs menaces à exécution de célébrer des mariages religieux sans union civile préalable (ce qui n’est pas légal), pour manifester leur désaccord au projet de loi. André Vingt-Trois assure que l'Eglise respectera la loi. "Nous avons une contrainte légale de vérifier que les candidats au mariage sacramentel ont été mariés civilement, nous l'observons. Si la République change la loi, nous observerons la loi", explique-t-il Rien que de plus normal… De son côté, la garde des Sceaux Christiane Taubira anticipe une éventuelle bronca de certains élus et affirme : "Nous sommes dans un Etat de droit, le code civil va être modifié, il s'impose à tous".


Le cardinal André Vingt-Trois n’aimait déjà pas le PaCS… il honnit le mariage pour tous. Il affirme donc avoir des contacts avec la ministre de la Justice qui "peuvent être de nature à infléchir le contenu de ce projet de loi". Selon lui, "le projet n'est pas défini (…) Un ministre est libre de faire les déclarations qu'il veut", souligne-t-il. Pour lui, il est important de veiller à ne pas transformer "un débat juridique sur l'organisation de la vie sociale en débat par rapport à l'homosexualité". "Il ne faut pas se laisser entraîner dans un débat idéologique homophile/homophobe", avance-t-il. Mais comment faire autrement puisque c’est justement au motif de l’homosexualité que l’Eglise refuse toute évolution du droit.
 
Service minimum
L'Inter-LGBT, principal organisateur de la Marche des fiertés, s'est étonnée auprès de l'AFP que Christiane Taubira ait dévoilé dans la presse les contours du projet de loi, alors que "ni l'Inter-LGBT ni les associations homoparentales n'ont été reçues à la chancellerie". Oui, c’est étonnant et pas très rassurant et pas uniquement en termes de méthode. Le porte-parole d'Inter-LGBT, Nicolas Gougain a également déploré que la PMA ne fasse pas partie du texte, alors qu’ouvrir son accès aux couples de femmes "était un engagement de François Hollande". Lors de la campagne présidentielle, la députée PS George Pau-Langevin (elle est désormais ministre) avait expliqué lors d’un débat organisé par l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), que le candidat socialiste à l'Elysée "proposera un élargissement des conditions permettant d'accéder à la PMA". "Que les gens soient mariés, pas mariés, hétéros ou homos, pour nous ce n'est pas ça qui compte, mais on souhaite qu'il y ait un projet parental organisé, quelque chose de stable", avait-elle alors expliqué. Christiane Taubira laisse entendre l’exact contraire. "On souhaite que la chancellerie corrige rapidement le tir et on demande à être reçus dans les plus brefs délais, parce que, pour le moment, on a le sentiment que Christiane Taubira se contenterait de faire le service minimum", explique Nicolas Gougain de l’Inter-LGBT.