Mt * et Ft * : OUTrans lance ses guides !

Publié par jfl-seronet le 03.01.2014
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Interviewtranscampagne d'information

En septembre dernier, l’association OUTrans a publié deux guides inédits "Mt *" et "Ft *" ; deux guides surprenants par leur facture, très aboutis, deux guides pour "partager [une] expertise de terrain sur la question trans. Militant à OUTrans (anciennement en charge de la commission Santé), Ali Aguado explique pour Seronet la démarche retenue pour ces publications destinées à la "communauté médicale, sociale et associative". Interview.

Vous avez publié en septembre 2013 deux guides Mt * et Ft *. Qu’est-ce qui vous a décidé à lancer ce projet et à qui s’adressent-ils ?

OUTrans : Dans un premier temps, nous avons lancé une campagne d'incitation au dépistage du VIH pour les personnes trans et leurs partenaires soutenue par l'INPES [Institut national de prévention et d’éducation à la santé, ndlr]. Puis, au regard de la demande d'informations plus spécifiques, nous avons pensé que la meilleure réponse à apporter aux structures de lutte contre le VIH ou de soutien aux personnes vivant avec le VIH était de partager notre expertise de terrain sur la question trans. En effet - c'était le but de cette campagne -, pour nous ce qui était primordial dans un premier temps était de s'adresser à notre communauté puisqu'aucune campagne nationale spécifique sur la santé trans n'avait été menée jusqu'alors - pas seulement sur la santé, mais sur les discriminations en général. Or, nous savons avec l'expérience de terrain que nous avons, par nos propres parcours de vie et par certaines enquêtes menées depuis celle de l’INSERM pour la plus récente, que l'accès aux soins est aussi défini par l'accueil des médecins et des militant-e-s associatifs. Dans un second temps après cette campagne nationale d'incitation au dépistage du VIH, il nous a semblé nécessaire de faire de la "pédagogie" avec notre propre point de vue en direction de la communauté médicale, sociale et associative. De cette façon, nous pensons pouvoir agir pour que notre communauté puisse avoir accès aux soins de façon globale et imposer cette question, et notamment les enquêtes épidémiologiques sur le taux de prévalence chez les trans, mais aussi les interactions médicamenteuses entre antirétroviraux et les traitements hormonaux substitutifs, dans l'agenda des politiques publiques. Les brochures "TransformationS" avaient déjà été créées par une stagiaire dans l'association. Nous voulions les intégrer à un projet et y ajouter des textes. Ce travail s'est donc fait en plusieurs étapes, lentement mais sûrement. Le projet s'est construit à partir de ce premier stage et de nos discussions, en s'apercevant qu'il n'existait aucun contenu "officiel", "expert" et activiste, sur les questions des modifications corporelles.

Dans la présentation que vous faites de ces documents, vous indiquez avoir voulu proposer une information échappant à "toute emprise moralisatrice ou moralisante"… Comment cela s’est-il traduit dans l’élaboration, la réalisation de votre projet ? Sur quoi portaient vos points de vigilance ?

Le projet de ces brochures a été proposé par une militante graphiste et illustratrice médicale et scientifique de formation qui cherchait à faire un stage en rapport avec ses études, mais aussi en accord avec ses engagements politiques et militants. Son projet collait parfaitement avec les idées défendues par OUTrans. Elle a travaillé sur ce projet en lien donc avec un membre d'OUTrans qui était son tuteur. Une fois les illustrations réalisées, nous avons travaillé sur des textes explicatifs de ses coupes de descriptions de modifications corporelles auxquelles nous avons accès dans nos transitions. Par exemple, il s'agit d'un choix réfléchi de parler de "modifications corporelles" et non pas de "réassignations" chirurgicales ou sexuelles. En cela, déjà, nous tentons une échappée des discours dominants sur nos transitions. Nous respectons, sans jugement de valeur, les choix des trans d'avoir accès à telle chirurgie plutôt qu'à telle autre. Par exemple sur la question des opérations génitales, on prend en compte le contexte politique qui nous oblige, encore à ce jour, à être stérilisé-e-s pour accéder au changement d'état civil. Mais nous avons bien conscience qu'au delà d'une simple obligation d'Etat à être stérile pour nos changements d'état civil, certain-e-s d'entres nous y voient aussi dans les opérations génitales du confort, de la sécurité voire d'une adéquation ou une "mise en adéquation" pour un rapport à leur corps et à leur bien être qui leur est satisfaisant. D'autres encore pouvaient y voir, avant la loi pour le mariage pour tou-te-s une adéquation juridique à la filiation post changement d'état civil. Pour nous la question de la stérilisation obligatoire est la même que celle de la psychiatrisation : à partir du moment où l'on exige de nous des opérations pour correspondre aux intérêts moraux de maintien de l'hétérosexisme, que nous n'avons qu'un seul discours pour nous construire - celui de la psychiatrie et d'une justice partiale - nous nous battrons contre ce discours et pour la libre disposition de nos corps et de nos identités. Mais nous ne nous battrons pas contre notre propre communauté et le rapport intime qu'entretiennent les trans avec leurs corps et leurs propres parcours de vie. A partir du moment où le soutien psychologique pendant une transition, de même que le choix ou non des opérations ne seront que le choix de la personne concernée, alors nous estimerons avoir avancé dans notre lutte d'émancipation. Pour l'instant ce choix, nous ne l'avons pas. Ces brochures sont pour nous tou-te-s, trans, quels que soient nos parcours de transition. Elles sont aussi un "média" document de référence pour les professionnels de santé et les associations communautaires, pour comprendre les enjeux qui traversent nos vies.

Qui a réalisé ces guides, qui avez-vous sollicité comme experts, auteurs ?

C'est une militante et stagiaire, Hélène Mourrier, qui les a réalisés. Les textes qui accompagnent les illustrations ont été rédigés par les membres de la commission santé d'OUTrans puis validés par le CA de l'association. Les auteurs de ces textes sont donc les militant-e-s d'OUTrans. Nous sommes expert-e-s profanes ; nous avons donc mobilisé nos connaissances sur nos propres corps et trajectoires de vie, qui sont très différentes les unes des autres, ainsi que les ressources sur le terrain. Hélène ne pouvait pas dans son projet inclure des textes critiques, elle devait rester pragmatique pour sa soutenance de diplôme puisqu'il s'agissait de montrer qu'elle pouvait, par sa technique et son savoir de graphiste, mais aussi un engagement militant, réaliser des documents à destination des personnels trans (et toutes les personnes potentiellement en lien avec elles) via une "commande". De même, les illustrations réalisées ont été relues par un chirurgien recevant des personnes trans Mt * et Ft *. Il a corrigé précisément les illustrations en échange de pouvoir les garder pour expliquer le processus à ses "patient-e-s". Nous avons aussi présenté nos brochures en vue de les faire financer. Pour nous, diffuser des outils de qualité et qui sortent de l'identité visuelle médicale habituelle était primordiale. Cette production avait donc aussi un coût financier important et il nous fallait un financement. Ce projet est prêt depuis bientôt deux ans, mais nous n'avions pas l'argent pour le faire. Nous avons reçu le soutien de Sidaction pour financer un poste de coordination pour des formations proposées par OUTrans, du Conseil régional Ile-de-France, pour maintenir et compléter le financement de ce poste et des brochures et enfin des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence du couvent de Paris qui nous a attribué une bourse spécialement pour l'édition de ces brochures. Toutes ces recherches de financements qui prennent énormément de temps, ainsi que le stage et la conception de ses brochures se sont fait bénévolement.

Vous avez retenu une identité visuelle particulière, inhabituelle. Comment la définiriez-vous et pourquoi avoir choisi celle-ci ?

L'illustration médicale et scientifique est un domaine des arts appliqués qui induit un système de représentations, codifié. Il contribue à renforcer les représentations et le rapport au corps construit et à appuyer des vérités qui n'appartiennent qu'au domaine de la science "pure". Dans ce contexte, choisir un type de représentation, un style illustratif, n'est absolument pas anodin. Il s'agissait donc bien de trouver, créer, nos propres codes de représentation, et ainsi mettre à mal les "dispositifs visuels" mis en place par la science pour catégoriser les corps. Les illustrations ont donc été conceptualisées comme une composition et recomposition perpétuelle des corps, des sexes, du genre, sur la base d'une grille de triangles dans laquelle Hélène venait dessiner les parties anatomiques. Elle s'est donc attachée à recréer un néo-langage chirurgical qui se réfère aux codes de notre communauté. En effet, le choix d'utiliser uniquement le signe du triangle, sigle chargé de la symbolique du "féminin" et du "masculin" selon l'orientation, et surtout portant les stigmates de l'histoire, c'est tirer parti de la discrimination, retourner le système contre lui-même, et se soustraire à l'emprise du corps médical et de son discours. Ce procédé graphique présente de manière ludique et évidente les différentes étapes des opérations. L'information est vulgarisée, dédramatisée et nous lui donnons du sens selon nos grilles d'interprétations.

Comment et où peut-on se procurer ces guides ?

Ces guides sont diffusés lors de formations et de sensibilisations à l'accueil des personnes trans. Nos formations s'adressent aux personnels d'accueil, personnels médicaux et paramédicaux qui accueillent des trans, particulièrement les CDAG et les CIDDIST, aux associations de lutte contre le sida et les hépatites qui reçoivent aussi souvent des trans, mais qui se retrouvent démunis parce qu'ils ne connaissent pas toujours les enjeux de vie des trans. Enfin aux associations LGBT qui veulent vraiment inclure le T dans leur champ d'action. L'idée de ces formations, c'est de permettre aux trans de savoir et d'avoir accès à des espaces bienveillants connus et que les accueillant-e-s ou personnels médicaux soient au fait de la diversité de nos parcours de vie. Bref, en d'autres termes, nous ne voulons pas seulement être "traités", mais nous voulons être traités avec respect. De cette façon selon nous, notre communauté aura accès à des espaces de soins, de prises en charge et d'accompagnement médical respectueux et sortira alors d'une vulnérabilité entretenue par l'ignorance de nos parcours de vie.

Pour toutes informations : formation "@" outrans.org