Ni pauvre, ni soumis

Publié par olivier-seronet le 21.06.2008
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Un revenu d'existence décent, c'est ce qu'ont demandé, tout simplement, les quelque 30 000 malades, personnes en situation de handicap, parents, proches, amis… venus de toute la France manifester à Paris le 29 mars dernier. Un rassemblement historique, à l'appel du mouvement Ni pauvre, ni soumis, pour que la maladie ou le handicap ne soient plus synonymes de pauvreté. Retour sur cet événement.

Ses jambes tremblent si fort qu'il les a attachées avec une écharpe. Du coup, il circule plus facilement avec son fauteuil roulant parmi les manifestants. Comme ça, on voit mieux le panneau qu'il a accroché à l'arrière. On peut y lire : "En deuil de citoyenneté". Comme d'autres, Jérémy est venu à Paris pour dénoncer la situation de pauvreté qu'il subit. Jérémy, personne handicapée sans travail dont les modestes ressources ne lui permettent pas de vivre "dignement", aspire à mieux. Beaucoup mieux. C'est aussi le cas de Richard, venu avec sa femme qui se tient juste derrière son fauteuil. Il a manifesté en 1998 du temps de Jospin. "Ma situation n'a guère changé depuis ma première manifestation. Je suis handicapé à 90 %, mais comme on considère ma capacité de travail à plus de 5 %, je n'ai pas droit au complément de ressources", dénonce Richard. "Et puis moi, je ne suis pas comme le président, je n'ai pas d'amis milliardaires pour améliorer mon train de vie, lâche t-il. Ce que je veux, c'est un revenu égal au Smic."


Cette revendication, le mouvement Ni pauvre, ni soumis la défend bec et ongle. Pour lui, le seul moyen d'empêcher que les personnes en situation de handicap, celles atteintes de maladie invalidante (le sida, le cancer, les hépatites...) ou celles victimes d'accidents du travail vivent toute leur vie sous le seuil de pauvreté, c'est de créer "un revenu d'existence décent. C'est-à-dire un revenu personnel égal au montant du Smic brut [1280 euros] pour toutes les personnes qui ne peuvent pas ou ne peuvent plus travailler". Dans ces circonstances, l'annonce par Nicolas Sarkozy, quelques jours avant la marche, d'une revalorisation de 3,9 % de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) en septembre 2008, semble loin du compte. A la vérité, elle compensera à peine l'augmentation actuelle du coût de la vie. L'AAH, actuellement de 628,10 euros, augmenterait de vingt euros environ.


"C'est bien gentil de nous accorder quelque chose, mais cela ne répond pas à la question, ironise Jean-Marie Barbier, le président de l'Association des paralysés de France, co-organisateur de la marche. Même avec une annonce d'augmentation de 25 % de l'AAH sur cinq ans comme promis lors de la campagne présidentielle, les personnes qui la perçoivent vivront toujours sous le seuil de pauvreté. Ce que nous réclamons, c'est la dignité, pas la charité."


Les principales associations de lutte contre le sida, AIDES et Act Up-Paris, sont venues à la marche. AIDES, présente en force avec plus de 500 participants, marche derrière une banderole où on peut lire "Séropos, soyons réalistes, exigeons l'impossible !" La raison de cette participation ? La solidarité bien sûr, mais les chiffres aussi. "Plus de 40 % des personnes séropositives sont privées d'emploi et plus de 25 % sont condamnées à vivre sous le seuil de pauvreté avec l'allocation aux adultes handicapés, une pension d'invalidité, une allocation chômage, le RMI ou le minimum vieillesse", rappelle l'association. Du côté d'Act Up, les slogans cinglent comme à l'accoutumée : "Sida : la précarité tue" et autre "On est folles. On est hystériques. On veut l'AAH à 1 brique". Nombre de manifestants ne sont pas en reste. Au dos de son fauteuil, une femme, la quarantaine, a fait inscrire sur un panneau "Je veux vivre debout !" Un autre manifestant, le visage souriant, n'arrête pas de crier :"Moins d'exclusion, plus de pognon !" Un peu plus loin, dans le cortège, une manifestante complètement paralysée, un tuyau de plastique dans la bouche comme commande de son fauteuil, a préféré interpeller Nicolas Sarkozy avec une affiche. Un demi portrait du président est placé au dessus d'une question : "Vous ne vous sentez pas concerné ?"

Concernée, Anne-Marie l'est pleinement. Entre deux chassés-croisés en fauteuil avec des copains, elle s'arrête pour répondre à quelques questions. Elle est venue de Toulouse et manifeste à Paris pour la seconde fois. "La dernière, c'est à l'occasion de la loi sur le handicap en 2005. Nous étions cantonnés sur une minuscule place derrière une barrière dans le froid et sous la pluie. Ce qui m'écoeure, c'est qu'il n'y a aucun progrès. Beaucoup de gens ne comprennent pas ce qu'est notre situation. C'est d'autant plus préjudiciable que nous assistons, par ailleurs, à un démantèlement de la sécurité sociale dont les franchises ne sont que le début. Je ne sais pas sur quoi peut déboucher la marche d'aujourd'hui, mais il faudra d'autres actions fortes." Elle sourit, appelle ses potes et replace la pancarte dont elle a décoré son fauteuil. Une seule mention : "Je roule sur l'or !"


La formule fait sourire certains manifestants, comme cette affiche où l'on peut lire "Sarkozy la tune ou on séquestre Carla !" A la tribune, les présidents du mouvement Ni pauvre, ni soumis prennent la parole, l'un après l'autre. Une phrase perce la cohue qui envahit la place de l'Opéra : "Le handicap est une activité de riches pratiquée par des pauvres !"