Parcours de femmes...

Publié par jfl-seronet le 17.03.2018
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Initiativefemmes et vih

"Les actualités récentes ont montré que les inégalités hommes-femmes, le harcèlement, le sexisme sont toujours une insupportable réalité, en particulier dans le monde du travail, mais pas seulement. Les femmes continuent de subir de multiples discriminations, au-delà des différences, qu’elles soient culturelles, idéologiques, politiques ou autres". C’est dans ce contexte et pour ces raisons qu’Actions Traitements, Au-delà du Genre, l’inter-LGBT, Médecins du Monde et AIDES se sont associés le 10 mars dernier à l’occasion de la Journée mondiale de lutte pour les droits des femmes, pour une série de tables rondes et ateliers, à Paris. Seronet y était.

C’est sous l’angle de la santé que les associations partenaires de cette journée (1) avaient décidé de décliner les tables rondes et ateliers accueillis dans l’écrin chaleureux de l’Accueil Goutte d’or. Cette structure, établie non loin de château rouge, un des quartiers populaires de Paris a accepté de recevoir gracieusement cette manifestation montée par des associations de lutte contre le VIH et les hépatites virales et des associations qui travaillent sur la santé des femmes ; de toutes les femmes. Le programme était d’ailleurs à cette image : varié, militant, engagé.

Ce sont les nouvelles figures de la migration féminine que Sehade Mahammedi et Steffie Kueviakoe (Actions Traitements) et Jeanine Rochefort (Médecins du Monde) ont traité dans leurs présentations. Comme d’autres structures de lutte contre le sida et les hépatites virales, Actions Traitements assure la prise en charge de femmes vivant avec le VIH. Ces dernières sont le plus souvent originaires d’Afrique sub-saharienne ; ce sont souvent des femmes hétéros, certaines, dans une moindre mesure, sont usagères de drogues… Reste, comme l’explique Sehade Mahammedi que ces femmes ont un point commun : une précarité, parfois extrême, qui entraîne des difficultés d’accès aux soins, au logement, au travail et donc à des ressources… Jouent donc, d’une part des facteurs sociaux, dont certains sont spécifiques aux femmes, et d’autres, à défaut de l’être, qui ont néanmoins un impact particulier chez elles. Il y a donc, recense la militante d’Actions Traitements : la situation de précarité, les problèmes d’accès aux soins et aux droits, les responsabilités familiales, le poids des stigmatisations et des violences, notamment au sein des communautés africaines où la séropositivité peut être un motif de rejet.

Dans sa présentation, Sehade Mahammedi insiste sur le cumul des vulnérabilités. Chez les femmes migrantes, ce sont, par exemple, les difficultés du parcours migratoire (nombreuses et fortes) qui se superposent parfois aux méconnaissances des enjeux de santé, des risques (notamment ceux liés au VIH) associées aux difficultés linguistiques, etc. Pour elle, il est, vis-à-vis du VIH, difficile d’être une femme, plus difficile encore d’être une femme étrangère et encore plus d’être une femme étrangère vivant avec le VIH… D’autant, note la représentante d’Actions Traitements, que de nombreuses contaminations se produisent en France du fait des multiples obstacles du parcours migratoire qui exposent davantage encore aux risques d’infection… C’est notamment ce qu’a montré l’enquête Parcours. Aux facteurs sociaux s’ajoutent les facteurs biologiques et médicaux : le poids particulier des effets indésirables des traitements qui ne sont généralement pas tester sur les femmes et qui ne leur sont pas toujours adaptés, le vieillissement avec le VIH, la ménopause, les interactions méconnues avec les traitements hormonaux, la santé sexuelle et reproductive. Voilà pour le tableau (sombre) donné, et cela ne s’arrange pas avec les chiffres cités : 63 % des cas de découverte du VIH chez les hétéros concernent des femmes nées à l’étranger ; 18 % des femmes séronégatives pour le VIH et 24 % des femmes séropositives au VIH font état de violences sexuelles dans l’enquête Parcours (2). Dans la même enquête, la prévalence pour le VHB est de 5,3 % chez les femmes. Les femmes rencontrées par Actions Traitements viennent pour trois motifs principaux : la grossesse, la santé sexuelle et la post-annonce (ce qui se passe après un diagnostic de séropositivité).

Ce n’est pas sur la migration féminine qu’est intervenue Steffie Kueviakoe (Actions Traitements). Forte d’une expérience dans la lutte contre le sida en Afrique et tout particulièrement au Togo et au Burkina Faso, la militante d’Actions Traitements a présenté, à grands traits, la prise en charge dans ces deux pays. Au Burkina Faso, la prévalence du VIH chez les femmes est de 1 % ; elle monte à 16, 2 % chez les travailleuses du sexe. Au Togo, la prévalence chez les femmes est de 2,5 % et de 11, 7 % chez les travailleuses du sexe. De façon générale, les femmes constituent le public le plus touché par le VIH en Afrique de l’Ouest. Si la gratuité des antirétroviraux existe depuis 2010 au Burkina Faso et 2008 au Togo, si des améliorations notables ont eu lieu ces dernières années, il reste beaucoup à faire. Du fait de la persistance de discriminations sérophobes, les personnes vivant avec le VIH, surtout les femmes, se tournent plus vers les centres de santé communautaire, que vers les hôpitaux où la confidentialité est moins bien assurée. "Mais pour que les personnes y viennent, il ne faut pas qu’on fasse mention du VIH et que rien n’indique en public qu’on s’y occupe de sida", note Steffie Kueviakoe. De son expérience de terrain, la militante d’Actions Traitements rappelle que l’ETP ne marche pas très bien alors qu’elle serait très utile, c’est souvent faute de personnes formées. Une autre difficulté réside dans les ruptures de stock concernant les traitements. Enfin, un obstacle réside dans les connaissances des personnes elles-mêmes. Et Steffie Kueviakoe de citer le cas de la charge virale indétectable. Il arrive que des personnes croient qu’elles sont "guéries" et pas seulement que le virus est contrôlé, ce qui est déjà une excellente nouvelle. Enfin vu la prévalence particulièrement élevée chez les femmes travailleuses du sexe, souvent les structures sont amenées à créer des cellules spécialisées pour ce groupe. C’est ce qui a été fait dans un centre communautaire burkinabé dans lequel a travaillé Steffie Kueviakoe. Ce centre a également créé une salle de sport, mis en place une cour des métiers qui vise à créer des activités génératrices de revenus et de tontine, une forme d’épargne solidaire communautaire. A aussi été créée une Maison de l’observance qui prend en charge les personnes nouvellement diagnostiquées et celles qui ont été perdues durant une courte période…

Médecin gynécologue, bénévole à Médecins du Monde où elle assure des consultations et chapeaute la délégation régionale Ile-de-France, Jeanine Rochefort, rappelle que Médecins du Monde a un important programme France. En Ile-de-France, l’organisation non gouvernementale reçoit des "personnes qui sont à 99 % des personnes étrangères en situation irrégulière. Des personnes qui cumulent des vulnérabilités sociétales, parce que la société les rend vulnérables, explique Jeanine Rochefort. De plus, il y a souvent un niveau d’éducation différent, un niveau de revenus moindre". Pour la militante de Médecins du Monde, il y a eu une évolution ces dernières décennies en matière de migration concernant les femmes. "Avant la migration était très liée au rapprochement familial, une femme venait pour retrouver son mari, parfois ses enfants… c’était une migration, dans sa majorité, qui était liée à l’héritage de la Françafrique, à notre passé colonial. Aujourd’hui, la migration des femmes est plus une migration d’émancipation. On ne vient plus seulement rejoindre sa famille, mais par une volonté d’émancipation, personnelle ou économique. On arrive ici pour changer de vie, avoir des perspectives nouvelles, gagner sa vie, etc.". Reste pour Jeanine Rochefort que "les parcours d’exil sont monstrueux de dureté". Elle choisit d’ailleurs d’en retracer quelques uns parmi tous ceux qu’elle a connus lors de ses consultations. Ils illustrent la cruauté des parcours migratoires, les différences culturelles, le poids des discriminations qui sont subies…  Elle se rappelle ainsi le cas d’une femme, originaire du Sénégal. Dans son pays, elle est victime d’un mariage forcé avec un homme beaucoup plus âgé qu’elle. Son époux meurt. La tradition veut que le frère de son époux décédé l’épouse. C’est ce qu’on appelle le lévirat. Elle ne veut pas et choisit de quitter le pays, faute d’autre solution. Elle se lance alors dans un long parcours migratoire qui la mène en Turquie. Atteinte d’un fibrome depuis des années, elle est victime d’une hémorragie majeure alors qu’elle est en Turquie. Elle est conduite aux urgences d’un hôpital qui pratique une hystérectomie hémostatique. L’opération lui sauve la vie… Elle poursuit son parcours, qu’elle effectuera presque tout le temps à pied, jusqu’en France… Arrivée à Saint-Denis, extrêmement fragilisée physiquement et psychologiquement, elle rencontre Jeanine Rochefort en consultation. "Je lui ai expliqué que l’opération faite en Turquie était la seule solution possible dans son cas, et qu’elle lui avait sauvé la vie. Lorsqu’elle a compris que cela l’empêcherait de mettre au monde un enfant, elle s’est effondrée… "Je ne suis plus une femme", m’a-t-elle dit", se rappelle Jeanine Rochefort.

La médecin de Médecins du Monde se rappelle aussi le cas d’une jeune femme universitaire, lesbienne, vivant au Kenya… Elle et une amie participent à une fête d’étudiants ; certains étudiants comprennent qu’elles sont lesbiennes et prennent à partie les deux jeunes femmes : son amie sera tabassée à mort ; elle-même sera violée. Elle décidera ensuite de quitter le pays. "C’était si difficile pour elle de revenir sur cela, qu’elle avait écrit en anglais son témoignage parce qu’elle ne pouvait pas le dire à haute voix", explique Jeanine Rochefort. Et la médecin d’évoquer d’autres cas. Evidemment, l’impression qui se dégage, au fil des récits, des exemples, c’est une accumulation de difficultés (déjà évoquées dans la présentation d’Actions Traitements), qu’il y a plus d’obstacles que de solutions, plus de problèmes que d’espoirs. Une impression sombre, très sombre.

Changement radical de registre, avec un atelier consacré à "Nous les femmes, nos plaisirs, nos désirs". Alexia et Colette, militantes à AIDES, et Delphine Giraud, sage-femme à la Pitié-Salpêtrière l’ont conçu et animé comme un temps de libre expression… pour "se découvrir ou redécouvrir". Tout est parti d’une question : qu’avons-nous entre les jambes ? A cette question, il était proposé de répondre oralement et de venir aussi dessiner sur un tableau. Les mots viennent ; les idées fusent. Les dessins se complètent voire s’opposent. Ça discute, argumente, précise, corrige, affirme, évoque. C’est souvent drôle, libérateur. C’est surtout le moyen de voir que la connaissance que l’on peut avoir, homme comme femme, de son anatomie change beaucoup d’une personne à l’autre, et que cette connaissance est fondamentale dès lors qu’on parle de plaisirs, de désirs. Durant une heure qui passe comme un éclair, une trentaine de participantes vont parler sexe, clitoris, hygiène intime, sexe seule, sexe à deux, désir personnel, plaisir à répondre aux désirs du ou de la partenaire, orgasme. On est frappés par la liberté de ton, le respect des échanges. Un tour de table rapide clôt la discussion. Un "Solidairement vulve !" boucle l’heure.

Les deux derniers temps de la journée, animés par Sasha-Alycia et Andréa de l’association Au-delà du Genre et de l’Inter-LGBT, ont été consacrés aux parcours des femmes trans, d’abord avec un temps d’échanges et de réflexion autour des termes eux-mêmes : trans, transgenre, transsexuel… puis un temps d’information et de sensibilisation sur les transidentités. Parallèlement aux ateliers, les associations organisatrices proposaient un stand d’informations sur la Prep (prophylaxie pré-exposition) animé par des militantes de AIDES et l’équipe de l’étude Prévenir et un arbre à souhait… Il avait les allures d’un dream-catcher aux longs fils de laine rouge qu’ornaient les vœux faits par des militantes et militants à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes. Il était question d’égalité salariale, de liberté pour les femmes d’aller où elles veulent à l’heure qu’elles veulent, de lutte contre les discriminations… on revenait alors aux éléments de la présentation faite au démarrage de la journée. Mais cette fois, sur les papiers attachés aux fils rouges, il s’agissait de vœux, de vœux pour que la vie des femmes changent en mieux pour leurs droits.

Remerciements à Nicolet Nkouka

(1) : Actions Traitements, Au-delà du Genre, l’inter-LGBT, Médecins du Monde et AIDES.
(2) : Parcours est une étude pour mieux comprendre comment la maladie et les problèmes de santé influencent le parcours de vie. L’accent est mis en particulier sur deux pathologies : le VIH-Sida et l’hépatite B. Les résultats sont accessibles en ligne.