PMA : ça s’annonce compliqué !

Publié par jfl-seronet le 28.09.2017
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Droit et socialPMAprocréation médicalement assistée

Promesse de campagne d’Emmanuel Macron, l’ouverture de la PMA a toutes les femmes ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices. De nombreux éléments font même craindre un remake de l’épisode pénible de 2013 avec la haine homophobe qui avait accueilli l’ouverture du mariage aux couples de même sexe.

Marlène Schiappa reprécise encore le calendrier

On avait cru (à tort) qu’une loi serait adoptée en 2018. En fait, ce sera bien plus laborieux que cela. La secrétaire d'Etat à l'Egalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa a apporté des précisions de calendrier… et ça promet d’être long. "En 2018, a priori fin 2018, il y aura des états généraux de la bioéthique dans le cadre de la révision de la loi bioéthique proposée par ma collègue, la ministre de la Santé [...], et dans ce cadre, nous débattrons de la PMA, le gouvernement proposera d'ouvrir la PMA", a-t-elle indiqué, tout en ajoutant qu'elle ne "préjuge pas de l'issue du débat parlementaire". "Le calendrier précis sera exposé à ce moment-là, lors des états généraux de la bioéthique", a-t-elle ajouté, donc un texte ne devrait pas être adopté avant 2019. C’est loin et cela laisse du temps aux opposants pour rejouer la carte des manifestations homophobes comme en 2013. Il faut reconnaître que le volontarisme de la Secrétaire d’Etat se heurte aux atermoiements, tergiversations, scepticisme voire soutien en demi-teinte de certains de ses collègues gouvernementaux.

Agnès Buzyn en mode prudence

"Nous verrons quel est le rapport final qui sera fait à l'issue de ces états généraux ", a expliqué Agnès Buzyn, la ministre de la Santé. "La promesse de campagne doit être entendue, mais nous attendons le rapport final", a-t-elle insisté, jugeant que l'ouverture de la PMA pour toutes était "probable". Pas de quoi ouvrir tout de suite le champagne !

Gérard Collomb se presse d’attendre

Le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, n’affiche aucun enthousiasme à l’égard de l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, une promesse de campagne d’Emmanuel Macron. Invité le 17 septembre au "Grand jury RTL/LCI, Le Figaro", Gérard Collomb a été interrogé à ce sujet. Et pour l'ancien maire de Lyon, cette promesse "pose un certain nombre de problèmes" dans la mesure où les textes dits de société se traduisent "en lois sensibles qui peuvent heurter les consciences". C’est dit comme ça. "Pour moi, le problème fondamental aujourd'hui c'est celui de vaincre le chômage. Je proposerais qu'on puisse résoudre le problème du chômage avant de s'attaquer aux problèmes civilisationnels", indique-t-il. Et pour être sûr, d’être bien compris, il assure que la PMA ne figure pas dans "le calendrier" fixé par le président de la République. "La priorité est économique et sociale", a-t-il insisté. Pas "civilisationnelle", donc. Venant d’un des poids lourds du gouvernement, le positionnement a surpris. "Ouverture de la PMA : Gérard Collomb a-t-il avalé un tract de la Manif pour tous ?", se demande même "Marianne", sous la plume de Pierre Chevillard (17 septembre 2017).

De sérieux flottements au gouvernement ?

On le sait les ministres issus de la droite de l’actuel gouvernement n’ont pas été de chauds partisans de l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Désormais, ils vont devoir accepter l’ouverture de la PMA à toutes les femmes… même si la mesure n’est pas pour demain… mais pour 2019. Cette situation a intéressé "Le Figaro" (18 septembre) qui a consacré un article aux positionnements de Bruno Le Maire (ministre de l’Economie) et de Gérald Darmanin (ministre de l’Action et des comptes publics). En 2013, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin s'étaient opposés à la mesure. Prenons le cas du ministre de l’Economie. Il était opposé au mariage des couples de même sexe. Comme le rappelle "Le Figaro", il avait expliqué — lorsqu'il était candidat à la primaire de la droite et du centre — : "Je ne suis pas favorable à la PMA pour les couples homosexuels" Et d’ajouter en octobre 2016 dans une interview au "Parisien" : "La seule limite que je fixe, c'est celle du droit à l'enfant". Plus radical encore était Gérald Darmanin, un très farouche opposant au mariage pour tous. Il avait, rappelle "Le Figaro", déposé, lors des débats sur le mariage à l’Assemblée Nationale, un amendement visant à interdire la PMA aux couples de même sexe. Interrogé sur ce même sujet sur BFM TV (18 septembre), le ministre temporise un peu désormais. "C'était en 2013. [...] Moi, ma ligne rouge, c'est la gestation pour autrui" et se lance dans une sortie façon Gérard Collomb : "Ce n'est pas une question de cette année. Notre travail premier, c'est de rétablir le budget de l'Etat, de redonner du pouvoir d'achat".

En 2013, l’actuel Premier ministre était contre !

Alors qu'il était encore député-maire du Havre, Edouard Philippe avait cosigné une tribune sur le "Huffington Post" en 2013 avec sa collègue Nathalie Kosciusko-Morizet pour expliquer leur abstention sur la loi sur le mariage pour tous et procéder à une attaque en règle contre l'ouverture de la PMA pour toutes les femmes. "Nous nous opposerons résolument à la PMA pour les couples homosexuels féminins, et à la GPA qui, au nom de l'égalité, ne manquera pas d'être réclamée par la suite", écrivaient-ils alors.

Au total, on comprend bien que la PMA va difficilement rester en haut de la pile… mais de celle des sujets de société. Rien n’est donc assuré… d’autant moins que les opposants voient l’avenir en rose et bleu.

C’est reparti comme en 2013…

L’annonce gouvernementale sur la PMA était trop belle pour que la manif pour tous rate l’occasion de faire sa rentrée et lance ses premières menaces de "de battre le pavé". Ce sujet a évidemment été au cœur des discussions de l’organisation ultra-conservatrice et homophobe, lors de son université d’été qui s’est déroulée, mi septembre en Ile-de-France. Pour la Manif pour tous, la PMA serait le bras armé de la "légalisation de la gestation pour autrui" (GPA). "Dans un contexte de déconstruction anthropologique touchant nombre de pays occidentaux, dont la France, confrontée aujourd'hui à la menace de la PMA sans père, [...] l'heure est à l'anticipation", a d’ailleurs prévenu l’association. "Comment peut-on imaginer fabriquer un enfant délibérément privé de son père ? Cette question résume la stupeur de La manif pour tous devant la volonté affichée cette semaine par Marlène Schiappa d’ouvrir la PMA aux femmes célibataires et aux couples de femmes. Etre privé de son père, c’est à dire être orphelin de père, est une souffrance immense. Il est donc inacceptable de provoquer volontairement cette souffrance, source d’injustice intolérable pour les enfants", a expliqué Ludovine de la Rochère. Et la présidente de la manif pour tous de poursuivre : "La semaine qui s’achève a clairement montré au président de la République que sur cette question de la filiation, il n’y a pas de consensus : ni au gouvernement, ni dans la communauté scientifique, ni chez les Français. Il faut en tirer les conclusions qui s’imposent. Après les vifs débats qui avaient marqué le début de son quinquennat, François Hollande avait eu la sagesse de ne pas réveiller les passions et diviser les Français en passant en force sur la PMA sans père et la GPA. C’est un exemple à suivre pour Emmanuel Macron qui souhaite plus que tout rassembler les Français".

Sens commun = voie unique

Bon pas de mystère, Sens commun rejoue le match de l’opposition au mariage pour tous. La charge est donnée par la porte-parole du mouvement Madeleine de Jessey. On a une idée précise des arguments comme du registre, par exemple dans une tribune récemment publiée sur "FigaroVox" : "Ouverture de la PMA : un projet régressif" (12 septembre 2017). Une seule citation suffit à comprendre le fond du propos : "Ce projet de la nouvelle majorité manifeste plus que jamais la nécessité de garde-fous conservateurs face à la fuite en avant d'un progressisme qui autorise des projets régressifs pour l'humain".

Les intellos hostiles et Cie sont de sortie

A la suite des annonces de Marlène Schiappa et d’Agnès Buzyn, on ne compte plus les tribunes et interviews d’opposant-e-s à la PMA. Une bonne partie est publiée sur "FigaroVox. On peut ainsi lire François-Xavier Bellamy qui disserte sur "PMA pour toutes, dernière frontière avant le transhumanisme" (16 septembre). Pour faire court : l'ouverture de la PMA pour toutes les femmes serait un dévoiement de la médecine et constituerait le point de bascule vers le transhumanisme. Des textes hostiles à la PMA pour toutes (à des degrés divers), on en trouve également sur le site Atlantico comme l’interview de la juriste Aude Mirkovic (13 septembre 2017) et sur Causeur ("PMA pour tous : les questions qui fâchent", par René Poujol, 15 septembre 2017). Il faut aussi compter sur les interventions de Natacha Polony ("FigaroVox" et Sud Radio) et d’Eric Zemmour (RTL). "Au nom de l'égalité entre les enfants, on aura le remboursement par la Sécurité sociale. Les pauvres, par leurs cotisations, paieront les caprices des riches", avance Eric Zemmour dans un billet (14 septembre). Et on en passe.

A droite, c’est pareil qu’en 2013… ou presque

La sortie gros sabots contre la PMA pour toutes les femmes, on la doit à Laurent Wauquiez. Le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a repris, pour s'opposer à la mesure, les mêmes arguments que ceux entendus dans les manifestations de la Manif pour tous dont il n’a raté aucune. Laurent Wauquiez s’oppose à la PMA parce qu’il pense qu'elle "amène à la marchandisation du corps de la femme". "Ce qui m'a toujours préoccupé c'est la question à terme de la marchandisation du corps de la femme et les questions de filiation. Il faut comprendre l'engrenage dans lequel on va assister pour des femmes qui sont en couple. (...) Derrière, les couples d'hommes qui sont ensemble feront évidemment une revendication d'égalité consistant à dire cette possibilité du droit à l'enfant pour des couples de femmes doit évidemment être ouverte pour les couples d'hommes. Ce qui signifie la gestation pour autrui (GPA) c'est à dire payer une femme pour qu'elle enfante un enfant et ensuite le prendre pour le donner à d'autres personnes", a-t-il affirmé. S’il est élu à la tête des Républicains (il est donné grand gagnant), il y a fort à parier que c’est sa position qui prévaudra. Surprise en revanche du côté de Jean-François Copé qui a fait sa révolution copernicienne. "La PMA est autorisée par la loi dans un contexte bien précis qui concerne les couples hétérosexuels qui pour des raisons médicales se trouvent de ne pas pouvoir avoir des enfants. La question est de savoir s'il faut l'étendre aux couples, aux femmes qui ne sont pas dans cette situation. Moi je pense que sur ce sujet il faut évoluer", explique—t-il aujourd’hui. Il a indiqué sur France Info, mi septembre, qu’il ne s’opposera à l’ouverture de la PMA à toutes les femmes.

A gauche aussi, les opposants s’affirment

Il est de retour dans l’opposition à la PMA, le député européen écologiste José Bové sort, de nouveau, l’artillerie lourde contre cette mesure. Son hostilité n’est pas nouvelle. Elle s’exprimait déjà en 2014. Le député s’exprimait alors dans l’émission "Face aux chrétiens" sur la chaîne de télé catholique KTO, indiquant qu’il était opposé à "manipulation du vivant". "A partir du moment où je conteste les manipulations génétiques sur le végétal et sur l'animal, il serait curieux que, sur l'humain, je ne sois pas dans la même cohérence", expliquait-il alors à "Libération". Lors de l’émission sur KTO, il avait exposé ses vues : "Je suis contre toute manipulation sur le vivant, que ce soit pour des couples homosexuels ou des couples hétérosexuels (…) Je pense qu'à un moment le droit à la vie et le droit à l'enfance sont deux choses différentes. Je ne crois pas que le droit à l'enfant soit un droit. Je vais me faire plein d'ennemis", concluait-il, lucide. Des adversaires sans doute tant il apparaissait surprenant qu’un élu écologiste de renom s’oppose à l’égalité des droits. Et ce d’autant que son parti s’engageait, lui, clairement en faveur de la PMA pour toutes les femmes. Il poussait d’ailleurs assez loin sa critique, évoquant "l’eugénisme" et même la "manipulation sur le vivant". Une autre charge contre la PMA est venue de la gauche avec le numéro 1313 de "Charlie Hebdo". L’hebdo titre (20 septembre) : "Demain, on fabriquera les enfants comme des objets" en proposant une interview fleuve et très hostile à la PMA du professeur Jacques Testard, concepteur, il y a 30 ans, d’Amandine, le premier bébé éprouvette. A noter la couverture de l’hebdo mettant en scène Emmanuel et Brigitte Macron et un édito de Gérard Biard qu’on jurerait écrit avec Ludovine de la Rochère. Bref, l’artillerie lourde, anti-égalitaire, est vraiment de retour.

Voilà où nous en sommes aujourd’hui, une secrétaire d’Etat volontariste mais un peu isolée, des collègues gouvernementaux timorés, embarrassés voire qui jouent la montre. Une procédure (les Etats généraux) longue et incertaine, des opposants qui s’agitent déjà comme si le texte allait être voté la semaine prochaine, peu voire pas d’expression publique de la part de celles et ceux qui défendent cette mesure d’égalité des droits… la partie ne va pas être facile. Et le débat n’échappera sans doute pas à la violence de celui du mariage pour tous. Pas de quoi rêver !