PrEP : les recommandations 2015 des experts français

Publié par jfl-seronet le 15.10.2015
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SexualitéPrEP

Le groupe d’experts du rapport Morlat a rendu publiques et officielles, ce matin vendredi 9 octobre, ses recommandations réactualisées sur la prophylaxie pré-exposition (PrEP). Elles étaient très attendues, tout comme l’avis de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) sur la recommandation temporaire d’utilisation de Truvada en préventif, qui doit sortir dans quelques semaines. Pour quels groupes et personnes la PrEP est-elle recommandée ? Dans quel cadre ? Avec quel suivi ? Voici ce que préconisent les experts français.

Cela fait maintenant plusieurs années que les autorités de santé françaises — la direction  générale de la Santé en 2012, la ministre de la Santé en 2015 — demandent aux experts de la prise en charge du VIH des recommandations sur la prophylaxie pré-exposition ou PrEP. En 2012, les experts, alors coordonnés par le professeur Patrick Yeni, estimaient que les données scientifiques relatives à la PrEP étaient insuffisantes pour étayer sérieusement des recommandations. Pourtant le groupe d’experts estimait que ce nouvel outil de prévention avait un intérêt chez les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes en situation de risque élevé d’acquisition du VIH. Le Conseil national du sida (CNS) publiait de son côté (janvier 2012) des conclusions assez similaires.

En octobre 2013, les experts, désormais coordonnés par le professeur Philippe Morlat, estimaient que la généralisation des programmes de PrEP — définie, compte tenu des données alors disponibles, comme l’utilisation quotidienne de Truvada (ténofovir/ emtricitabine) — devrait être précédée par "une phase pilote expérimentale". Et cela pour plusieurs raisons : des interrogations sur la faisabilité, le besoin d’un encadrement médical et d’une surveillance biologique, le risque de développement de résistances aux antirétroviraux, etc. Cette phase n’a pas eu lieu, notamment parce que l’essai ANRS-Ipergay a été lancé.

En 2015, les experts du groupe Morlat sont de nouveau sollicités par la ministre de la Santé, tout comme l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Vendredi 9 octobre,  Philippe Morlat a présenté les dernières recommandations des experts français, placées sous l’égide du Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS) et de l’ANRS, lors du congrès de la SFLS (Société française de lutte contre le sida) à Nantes.

Pourquoi publier des recommandations sur la PrEP en 2015 ?

Parce qu’elles sont attendues depuis un bon moment, mais surtout parce que l’environnement a changé. En effet, depuis 2012, Truvada est approuvé dans l’indication PrEP par l’Agence américaine du médicament (Food and Drug Administration/FDA) et est prescrit aux Etats-Unis. Puis sortent les résultats de deux essais cliniques : Proud (essai anglais) et ANRS-Ipergay (essai français). Ils confirment et précisent l’efficacité protectrice de la PrEP, prévention biomédicale, chez des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes à haut risque d'être infectés par le VIH et les personnes trans. De plus, dans une période où le nombre de nouvelles contaminations par le VIH ne baisse pas en Europe et en France, en particulier parmi les HSH, il apparaît indispensable de disposer de recommandations actualisées. Enfin, l’ANSM planche depuis deux ans sur une demande de recommandation temporaire d’utilisation (RTU) de Truvada en PrEP faite par AIDES et The Warning. Son avis devrait être rendu avant le 1er décembre.

Comme c’est toujours le cas — quel que soit le sujet traité — les recommandations des experts s’appuient sur des résultats scientifiques validés. Ces recommandations concernent la PrEP par prise orale de Truvada chez des personnes de plus de 18 ans — il n’y pas de données spécifiques aux adolescents, faute d’études. Les experts ont raisonné en fonction des groupes (HSH, personnes trans, hommes et femmes hétéros, personnes consommatrices de drogues par injection), et de leur risque élevé d’acquisition du VIH ou non. Ils ont aussi tenu compte du cas par cas.

Les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes et à haut risque d’acquisition du VIH

C’est au sein de cette population que la prévalence et l’incidence des cas d’infection par le VIH sont les plus élevées et que les niveaux de preuve de l’efficacité de la PrEP sont les plus probantes. Plusieurs essais (IPrEX, Proud, ANRS-Ipergay) avec des schémas différents (prise de Truvada en continue ou intermittente, prise immédiate ou différée…) ont démontré l’efficacité de la PrEP. Pour ce groupe, les experts recommandent que la PrEP :
• soit considérée comme une modalité de prévention s’inscrivant dans une démarche de santé sexuelle globale ;
• s’inscrive comme une modalité de prévention complémentaire des autres modalités déjà préconisées dans le cadre de la prévention dite "combinée" (stratégies comportementales, préservatif, dépistage, traitement antirétroviral des personnes vivant avec le VIH et prophylaxie post exposition (TPE) ;
• puisse être prescrite aux hommes non infectés par le VIH ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes qui déclarent des relations anales non protégées par préservatif avec au moins deux partenaires sur une période de six mois, et/ou ayant présenté plusieurs épisodes d’infection sexuellement transmissible (syphilis, infections à Chlamydia, gonococcie ou primo-infection par les virus des hépatites B ou C) dans l’année et/ou ayant eu plusieurs recours au TPE dans l’année ou ayant l’habitude de consommer des substances psycho-actives lors des rapports sexuels ;
• soit réalisée avec un accompagnement (counseling) visant à favoriser l’adhésion à cette modalité de prévention et l’adoption à terme de pratiques sexuelles à moindre risque vis-à-vis de toutes les IST ;
• s’accompagne d’une réévaluation du statut vaccinal des personnes et de la proposition, si nécessaire, de vaccinations vis-à-vis des virus des hépatites A et B et du méningocoque.

Les personnes trans ayant des relations sexuelles à haut risque d’acquisition du VIH

Le groupe d’experts recommande que les personnes trans ayant des relations sexuelles non protégées par préservatif bénéficient de la prescription de PrEP selon les mêmes indications que chez les HSH.

Les autres personnes en situation de fort risque d’acquisition de l’infection VIH

Pour les experts, une PrEP peut être envisagée au cas par cas pour les personnes dans les situations suivantes :
● personne usagère de drogues par voie intraveineuse avec partage de seringue ;
● personne en situation de prostitution, exposée à des rapports sexuels non protégés par préservatif ;
● personne en situation de vulnérabilité, exposée à des rapports sexuels non protégés à haut risque de transmission du VIH. Le groupe d’experts en donne la définition suivante : des rapports avec des personnes appartenant à un groupe à prévalence du VIH élevée [personne ayant des partenaires sexuels multiples, ou originaire de région à prévalence du VIH qui est supérieure à 1 % (La Guyane fait partie des régions concernées), ou usager de drogue injectable] ou avec des facteurs physiques augmentant le risque de transmission chez la personne exposée (ulcération génitale ou anale, IST associée, saignement).

Chez les personnes citées, le groupe d’experts recommande que la prescription de PrEP soit accompagnée des mêmes recommandations de prévention combinée vis-à-vis du VIH, de l’hépatite B et des autres IST que chez les HSH à haut risque d’acquisition du VIH.

Pour quels groupes et personnes les experts ne recommandent-ils pas la PrEP ?

Le groupe d’experts recommande de ne pas prescrire de PrEP aux personnes dans les situations suivantes :
• relations entre hommes ayant des relations sexuelles non protégées avec d’autres hommes, mais ne correspondant pas à une situation à haut risque de transmission du VIH ;
Les situations à haut risque de transmission sont définies comme des relations anales non protégées avec au moins deux partenaires sur une période de six mois, et/ou plusieurs épisodes d’IST (syphilis, infections à Chlamydia, gonococcie ou primo-infection par les virus des hépatites B ou C) dans l’année ou plusieurs recours à une prophylaxie antirétrovirale post-exposition (TPE ou "traitement d'urgence") dans l’année et/ou l’habitude de consommer des substances psycho-actives lors des rapports sexuels.
• relations hétérosexuelles non protégées par préservatif, mais ne correspondant pas à une situation à haut risque de transmission du VIH. Les situations à haut risque de transmission sont définies comme la prostitution avec rapports sexuels non protégés ou la vulnérabilité (situation de précarité) amenant à des rapports sexuels non protégés avec une personne ayant des partenaires sexuels multiples ou originaire de région à prévalence du VIH supérieure à 1 %, etc. ;
• relations hétérosexuelles avec une personne vivant avec le VIH sous traitement antirétroviral efficace (charge virale inférieure à 50 copies/ml). Dans ces situations la base de la protection vis-à-vis du VIH repose sur l’utilisation du préservatif et du traitement antirétroviral du partenaire vivant avec le VIH (Tasp) ;
• souhait de procréation naturelle chez des couples sérodifférents. C’est le Tasp (traitement comme prévention) qui vient d’abord avec obtention et maintien de l’indétectabilité de la charge virale plasmatique du partenaire vivant avec le VIH, puis le recours à la procréation médicalement assistée (PMA).

Pour quelles raisons ?

Il existe d’autres mesures préventives efficaces (le Tasp, l’utilisation du préservatif, etc.). L’incidence de l’infection par le VIH au sein des populations concernées est faible. Il y a un risque d’acquisition d’autres IST lorsque la PrEP est le seul moyen de prévention utilisé. La crainte d’une augmentation des conduites à risques : en effet l’absence d’augmentation des prises de risque retrouvée dans les essais de PrEP n’a pas été démontrée dans les situations à moindre risque initial d’acquisition du VIH. Il y a des possibilités (même faibles) de iatrogénie (effets indésirables : Truvada peut avoir des effets nocifs sur les os et les reins) et d’émergence de virus résistants. A cela s’ajoutent des contraintes économiques et organisationnelles.

La PrEP : prescription, suivi, accompagnement

Le groupe d’experts recommande pour encadrer toute PrEP : une première consultation préalable à la prescription de PrEP comportant une visite médicale, un entretien de counseling, une recherche de signes cliniques de primo-infection VIH, un prélèvement sanguin avec, entre autres, dépistages du VIH, des IST, des hépatites A et B, puis une deuxième consultation (trois semaines plus tard) avec le bilan des examens sanguins et la réalisation de la première prescription de PrEP, un nouveau dépistage du VIH, puis la mise en place d’une surveillance clinique (on voit le médecin) et biologique (on fait des examens sanguins) tous les trois mois.

Le groupe d’experts recommande que la prescription et la surveillance clinique et biologique de la PrEP relèvent de structures (les CeGIDD lorsque leur mise en place sera effective en 2016 (2), les hôpitaux avec service VIH, et d’autres structures comme des centres de santé sexuelle et associations médicalisées labellisées. Tous lieux où exercent au moins un praticien formé à la prescription des antirétroviraux et des professionnels ou volontaires habilités dans le domaine de la prévention, de l’éducation thérapeutique,  du soutien psychologique et de l’accompagnement social.

Conclusions

La prescription de PrEP est recommandée en 2015 par le groupe d’experts dans des indications plus larges qu’en 2013 mais qui restent bien ciblées. La prescription de la PrEP doit :
• s’intégrer à une démarche préventive combinée vis-à-vis du VIH mais aussi vis-à-vis des virus des hépatites virales et des autres IST ;
• être accompagnée par un dispositif d’aide à l’observance et une surveillance clinique et biologique avant et pendant la période d’utilisation (comprenant en particulier une surveillance régulière de la tolérance de la PrEP et un dépistage du VIH et des autres IST).

Enfin, le groupe d’experts recommande que la mise en place du dispositif de prescription de la PrEP soit accompagnée d’une information précise et adaptée aux différents publics (professionnels de santé, structures sanitaires, associations de patients, grand public) : celle-ci devra en particulier délimiter clairement les indications et les non-indications de cette nouvelle modalité de prévention, conclut le groupe d’experts.

Considérations économiques
Dans plusieurs pays, des travaux ont mis en évidence le caractère coût-efficace de la PrEP dans le cadre de stratégies ciblées sur des populations à haut risque, ce qui n’a pas été démontré dans les autres situations. Le groupe d’experts recommande la réalisation d’études coût /efficacité de la stratégie dePrEP en France pour les divers groupes cités ; des études devant prendre en compte la perspective de mise à disposition de formes génériques du Truvada. D’après les données de deux enquêtes nationales, les experts estiment que plusieurs dizaines de milliers de personnes pourraient bénéficier en France de la prescription de PrEP.