Prévention : faire pousser une herbe plus verte !

Publié par Mathieu Brancourt et Sébastien Maury le 25.07.2018
4 601 lectures
Notez l'article : 
0
 
ConférencesAids 2018

Mardi 24 juillet ouvrait le véritable premier jour de la conférence. Premières présentations, actions activistes et résultats d’études se succèdent en cascade. Difficile de tout capter, mais le monde de la recherche et celui des activistes se croisent et s’enchevêtrent. Et quand la science confirme des évidences et explore les inconnues restantes, la société civile se manifeste sans tarder pour réclamer leur mise en application. Du fondamental au réel, jamais l’écart n’a paru aussi grand.

Des annonces sur la recherche vaccinale

C’est le directeur médical de Janssen, qui est venu, en conférence de presse, présenter les résultats de recherches. Frank Tomaka évoque la volonté de son laboratoire de travailler à une "mosaïque de types de vaccin pour atteindre les différentes souches ou variantes", plutôt qu’une recherche générale et globale. Il est venu présenter l’étude Approach, menée sur 393 personnes séronégatives dans six pays d’Amérique, d’Afrique et d’Asie. Via une combinaison de plusieurs molécules, l’étude voulait étudier la force et la persistance de la réponse immunitaire de plusieurs dosages potentiels pour un vaccin sur un an. Combinant molécules génétiquement modifiées ou boostées par un agent immunitaire efficace contre le VIH, ces candidats vaccins ont été bien tolérés par les participants. Six mois après la dernière injection, 92 % des participants, qui ont eu au moins une dose des candidats vaccins, ont eu une réponse immunitaire significative. Pour Frank Tomaka, il y a eu une réponse immunitaire suffisante pour vouloir lancer à large échelle ce type de recherche au niveau mondial. Un suivi de cinq ans sera lancé en novembre 2018 afin de continuer à explorer cette piste vaccinale, alors que près de deux millions de personnes s’infectent chaque année encore. Rien de concret encore, ou de façon assez lointaine, mais les chercheurs n’abandonnent pas cette voie !

Pas de contamination sous Prep

Le professeur Jean-Michel Molina (AP-HP, Hôpital Saint-Louis, Paris) est venu présenter les premiers résultats dans la vraie vie de l’essai Prevenir promu par l’ANRS en partenariat avec AIDES. Paris et sa banlieue sont la zone la plus touchée par le VIH parmi les populations les plus vulnérables. Si l’essai doit inclure, au total, 3 000 personnes, un an après son démarrage près de 1 500 participants ont déjà intégré le programme en Île-de-France. Parmi elles, 53 % utilisent la Prep à la demande (autour des rapports sexuels) et 44 % en continu (chaque jour). Et une très grande majorité rapporte utiliser correctement la Prep, ce qui est rassurant et encourageant pour le long terme. 20 % rapportent encore utiliser le préservatif et, depuis le début de l’essai, aucune contamination n’a eu lieu, et quasiment pas de personnes perdues de vue. On n’observe pas de différence dans les comportements sexuels entre les schémas à la demande et en continu. Pas d’arrêt de prise de Prep rapporté dans l’essai. Le choix possible entre deux schémas de prises permet d’atteindre des personnes qui n’auraient pas forcément eu un intérêt à prendre la Prep. Selon le Pr Molina, "ces résultats permettent de confirmer la très bonne efficacité de la Prep puisque l’on s’adresse à des personnes fortement exposées au risque d’infection par le VIH". Mais selon ce dernier, ces très bons résultats doivent permettre d’atteindre d’autres populations que les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, comme les femmes et les personnes trans.

Prep et hormonothérapie : quel(s) effet(s) ?

Un essai de Prep sur vingt femmes trans [opérées, donc n’ayant plus les testicules qu’elles avaient à la naissance, ndlr] en Thaïlande, a été mené pour étudier les potentielles interactions du traitement préventif avec les hormones de féminisation. Il y avait des données antérieures montrant que la concentration de Prep était moins forte chez les femmes trans, mais souvent parce qu’elles priorisaient la prise de leur hormonothérapie par rapport à la Prep. Ici  les chercheurs ont voulu observer la concentration de ténofovir dans le sang et évaluer si cette double prise influait sur ce taux. Les femmes trans incluses commençaient leur hormonothérapie, puis étaient mises sous Prep. Leur hormonothérapie était stoppée durant trois semaines, puis reprise. Akarin Hiransuthikul, chercheur principal, précise d’abord qu’il faut savoir que les hormonothérapies changent selon les pays, et que donc ces résultats tiennent sur la seule hormonothérapie utilisée ici. Les résultats montrent que les hormones impactent peu (baisse de 13 %) le niveau du ténofovir mais la Prep n’influe pas, elle, sur le niveau des hormones (œstrogènes) ou ne les fait pas atteindre des niveaux sub-optimaux. Cela montre qu’il faut être vigilant aux spécificités des femmes trans quant à la prise et au suivi de la prise de Prep. Il faut, selon l’équipe de chercheurs, faire de nouvelles études afin de vérifier si cette variation du taux de ténofovir a une importance quant à son efficacité.

La Tasp marche (toujours)

Zéro transmission signifie zéro risque. La transmission anale du VIH chez les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH) ayant une charge virale supprimée était moins documentée que chez les hétéros. Dans la suite de l’étude Partner de 2014,  les résultats finaux de cette étude multicentrique à travers quinze pays ont été livrés ce lundi matin concernant les HSH. Elle concernait 976 couples gays séro-différents, étudiés pendant près de dix ans. Les couples avaient des rapports sexuels sans préservatif, et ne rapportaient pas utiliser une prophylaxie post-exposition (traitement d’urgence), ni la Prep pour le partenaire séronégatif. 20 % des couples, dépistés au moins tous les ans, ont été positifs pour une autre IST que le VIH. Mais sur les 77 000 rapports sans préservatif dans ces couples, il n’y a eu aucune nouvelle infection. Les quinze contaminations qui se sont produites étaient liées à un autre partenaire que le compagnon. Cela a été prouvé grâce à des analyses génétiques des souches concernées. Le risque est si proche de zéro qu’il faudrait "coucher 420 ans sans préservatif avec un partenaire indétectable pour voir une contamination", rapporte Alison Rodger, rapporteure de l’étude Partner en conférence de presse. Pas de contamination directement liée aux couples, c’est la plus grande preuve de l’efficacité du traitement comme prévention et une nouvelle pierre en faveur de la campagne U=U.

Dolutégravir : future référence ?

L’ancien président de l’IAS et chercheur brésilien Pedro Cahn a présenté les dernières données de l’essai Gemini 1 puis Gemini 2, essai qui évalue l’efficacité d’une bithérapie composée de dolutégravir (Tivicay) et lamivudine (Epivir) (DTG+3TC). Pour la première fois, les chercheurs ont montré une non infériorité entre une bithérapie au dolutégravir et une trithérapie classique avec du dolutégravir (Gemini 2). Les deux étaient bien tolérés. Pedro Cahn se sent donc à l’aise de conseiller cette combinaison (DTG+3TC) comme la bithérapie de référence pour les personnes naïves de traitement, en plus des premières lignes actuelles.

Dolutégravir chez les femmes enceintes : faut-il s’inquiéter ?

Une chercheure, en amont d’un symposium sur la sûreté du dolutégravir (Tivicay) pour la femme enceinte, est venue parler de ses dernières découvertes sur le sujet sur une cohorte au Botswana. L’étude a voulu observer les effets sur le fœtus du traitement au dolutégravir, commencé avant ou pendant la grossesse, dans une analyse débuté en 2014. Selon elle, il est aussi sûr de commencer un traitement pendant la grossesse sous dolutégravrir que sous efavirenz (Sustiva). Mais si on commence le traitement avant, il y a une légère hausse du taux d’atteinte du fœtus chez les femmes sous dolutégravir par rapport aux autres traitements antirétroviraux comme l’efavirenz. Ces données sont certes préliminaires, mais importantes dans la discussion sur la recommandation du dolutégravir comme traitement de référence. Plusieurs agences de santé mondiale ont déjà commencé leur surveillance. Cela doit dans tous les cas soutenir l’idée d’étudier les effets des médicaments sur la grossesse et la santé du fœtus. Les recommandations de l’OMS sont tombées hier, recommandant le dolutégravir comme le traitement de première ligne de référence, pour tous les adultes, enfants et adolescents, homme comme femme, à la condition qu’elles aient accès à une contraception efficace. Et cela, c’est une gageure dans de nombreux pays.

Shock and kill : encore un échec

Nouvelle déception. Un essai randomisé sur l’idée de shock and kill, technique cherchant à réveiller les cellules réservoirs, les parties dormantes du VIH dans le corps, pour les éliminer, a encore échoué. Les résultats présentés en conférence sont décevants : une molécule spécifique, utilisée contre le cancer, a été testée contre le VIH pour le faire sortir des cellules infectées qui lui servent de réservoirs. Cela a été essayé auprès de patients nouvellement infectés (moins de six mois), dont les réservoirs ne sont pas encore complètement constitués. Pas de différence entre les deux bras entre le nombre de CD4 et le virus, et l’intervention était sûre pour les personnes. Les résultats sont décevants concernant un effet sur la destruction de ces cellules et sur la réplication du virus. Pour contextualiser, la recherche sur le cure reste nécessaire pour trouver un moyen d’atteindre le virus et le déloger des cellules humaines. Mais comme le montre l’essai River, cela va être un véritable défi à atteindre. Cependant des essais comme River demeurent importants, car celui-ci s’attaquait à des réservoirs petits, de patients récemment infectés. Cet essai ne serait donc pas inutile et sans leçon à retenir sur le chemin de la découverte d’un traitement "shock and kill" qui marche aujourd’hui sur le singe mais pas sur l’homme et qui doit rester une priorité de recherche. L’ échec de cette combinaison d’interventions ne signifie pas l’échec et la fin de l’intérêt de la stratégie, disent les chercheurs. Et plus généralement, cela ne doit pas signifier l’arrêt de ce champ de recherche.

Prévention du VIH chez les femmes injectrices : d’abord des droits

Un focus a été présenté sur des femmes injectrices de produits psychoactifs au Kazakhstan, lundi 24 juillet. La pratique de l'injection de produits, alors qu'elle diminue globalement dans le monde, y est en hausse. La conférencière met en exergue, sans trop de surprise, une corrélation entre les overdoses suite à des injections et les infections par le VIH et le VHC. Malgré la connaissance de cette prévalence, la cascade des 90-90-90 est loin d'être atteinte pour cette population, puisque les chiffres évoqués sont respectivement : 80-44-24. Il faudra, pour baisser les contaminations et les overdoses, travailler contre les politiques discriminatoires et répressives à l'égard des femmes, des personnes consommatrices et des travailleurs et travailleuses du sexe pour permettre un vrai accompagnement des personnes dans leur santé globale.

La technologie contre le sida : quelle viralité ?

Les nouvelles technologies présentent des opportunités non négligeables dans la lutte contre le VIH. Le Big data (collection et analyse de données à grande échelle) permet de comprendre et d'analyser les comportements beaucoup plus rapidement et donc de réagir immédiatement en apportant des réponses adéquates. Les réseaux permettent de toucher plus de personnes ainsi que des personnes auxquelles on n'aurait pas eu accès. En revanche, l’enjeu de l’accès à des données personnelles sensibles n’est jamais loin avec les éternelles et légitimes questions de l'anonymat et de la gouvernance des données. Notamment dans le cadre de la lutte contre le VIH qui s'adresse à des populations souvent marginalisées, stigmatisées et/ou criminalisées, comment garantir la sécurité des personnes suivies si elles adhèrent aux outils ? Ces technologies, qui se veulent être au service de la lutte, ne doivent pas mettre en danger les publics. Et même avant cela, comment gagner la confiance des personnes sur des outils dont elles ne savent pas comment seront intégrées leurs données ? Par exemple, la Blockchain, qui permet à un groupe de gérer ses transactions, échanges... sans avoir à passer par un intermédiaire, a été longuement discuté. Il parait intéressant puisqu'il permet aux personnes d'une même communauté de s'autogérer. Mais quelle que soit l'information entrée à l'aide de ce principe, elle sera gravée dans le marbre, ce qui pose évidemment de gros problèmes d'éthique et d'acceptabilité.

Finalement, on retient de manière perturbante que les intervenants-es ont passé deux heures à discuter de "comment gagner la confiance des usagers sur cette technologie". Mais comme l'a souligné un intervenant, aucune technologie seule ne résoudra tous les problèmes. A aucun moment, ils n'ont imaginé simplement expliquer les tenants et aboutissants de chaque technologie et laisser les personnes décider. C'est pourtant cette étape qui semble cruciale et qui est trop souvent oubliée par les professionnels-les techno-centrés. Il faut intégrer les personnes dans la réflexion. Même pour des nouvelles technologies, il faut co-construire pour avoir des outils utilisables et utilisés.

Les lois répressives écrasent les travailleuses du sexe

Lundi 24 juillet, dans la matinée, la conférence a présenté un état des lieux du contexte légal pour les travailleuses-eurs du sexe (TDS) dans certains pays. Entre répression néfaste pour la santé globale et la sécurité des personnes et cadres légaux douteux et discriminants, il y a du travail à faire pour que les travailleuses-eurs du sexe puissent avoir de vrais droits, un cadre juridique protecteur et ne plus subir de discriminations. Un débat autour de la Prep a surgi au milieu des questions. Tout le monde était d'accord pour dire que la Prep est un outil formidable de lutte contre le VIH et qu'il s'agit d'un choix personnel. En revanche, il a été précisé plusieurs fois que la priorité restait la santé globale, via un cadre légal bienveillant. Les deux n'étant absolument pas incompatibles, il semble donc cohérent de lutter avec les TDS pour leurs droits, tout en continuant de proposer l'accessibilité à la Prep. L'accompagnement Prep devrait cependant être redéfini avec les TDS à la lumière de leurs problématiques spécifiques : santé globale, ressources financières, discriminations, migration...

On retiendra une pique adressée aux associations françaises de lutte contre le VIH qui seraient très enclines à proposer la Prep aux travailleuses-eurs du sexe et trop peu à être des alliées dans les luttes pour leurs droits. Une attaque étrange au regard du plaidoyer commun mené récemment à travers la publication d'un rapport interassociatif d'évaluation des impacts de la loi de pénalisation des clients.