Projet Iccarre d’allègement du traitement du VIH : 5 spécialistes donnent leur avis

Publié par Renaud Persiaux le 22.02.2012
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Que pensent 5 spécialistes réputés de l’essai Iccarre proposé par l’équipe de Jacques Leibowitch à l’hopital de Garches ? Voici les réponses de Gilles Pialoux (Hôpital Tenon, Paris), Christine Katlama (Hôpital de la Pitié Salpétrière, Paris), Alexandra Calmy (Hôpital de Genève), Yazdan Yazdanpanah (Hôpital Bichat, Paris) et Eric Billaud (Hôpital de Nantes).

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Iccarre est un projet d'essai clinique dont l'objectif est d'évaluer, lorsque le VIH est déjà contrôlé depuis plusieurs mois, l’efficacité d’une prise d’ARV trois, quatre ou cinq jours par semaine au lieu de sept. Le concept est séduisant. Seronet (qui en a déjà parlé longuement, lire notre dossier de cet été et le dernier article) a demandé à cinq spécialistes ce qu'ils en pensaient.

Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses de l'Hôpital Tenon (Paris)


"Je l’ai dit à Jacques Leibowitch : puisqu’une faible part du financement d’Iccarre est assurée, il faut commencer dès maintenant par une phase pilote, pour montrer la faisabilité de l’essai. Si répondre à cette question n’est à mes yeux pas prioritaire, ce n’en est pas moins important. Le pire serait de rester dans l’incertitude. Il faut, comme on le dit à AIDES, non pas adapter la vie des patients aux traitements, mais adapter le traitement à la vie des patients. Plusieurs de "mes" patients m’ont déjà dit qu’ils voulaient essayer le "4 jours sur 7". Je suis, comme plusieurs collègues parisiens, Christine Katlama à la Pitié Salpétrière et Pierre-Marie Girard à Saint Antoine, prêt à être co-investigateur d’Iccarre, avec Jacques Leibowitch et son équipe, Pierre de Truchis et Christian Perronne. Plus que tout autre essai, Iccarre devra être suffisamment bien encadré pour assurer la sécurité des patients, mais aussi évaluer que cette stratégie ne pose pas de problème de sécurité particulier. Il y a des discussions concernant le niveau de CD4 autorisé à l’entrée dans l’essai. Pour ma part, je pense qu’il ne faut pas priver les personnes dont les CD4 ne remontent pas malgré une charge virale indétectable depuis des années d’y participer sous conditions. Reste que l’essai devra concerner des patients dont les bilans sont stabilisés, et qu’il devra évaluer les aspects de traitements comme prévention (s’assurer que la charge virale reste indétectable dans les compartiments génitaux) et de réservoirs, d’inflammation. Autant de questions qui devront être rediscutées au cours des dernières évaluations du protocole".

Christine Katlama, chef de l’unité sida de l’Hôpital de la Pitié Salpétrière (Paris)


"L’idée que chez des personnes qui ont un virus bien contrôlé – charge virale indétectable – depuis plusieurs mois, on donne sans doute un peu trop de traitements, j’y suis complètement acquise. Il y a déjà quelques années, j’ai lancé des essais de monothérapies d’antiprotéases [un traitement avec une seule molécule, ndlr]. Dans Iccarre, les produits testés ont des demi-vies (temps qu’il faut pour que l’organisme dégrade la moitié de la concentration maximale du traitement) super longues. Scientifiquement, il est donc intéressant de tester cette stratégie d’intermittence. Tenter de donner moins d’antirétroviraux, oui c’est important pour la qualité de vie et pour la santé. Les essais de monothérapies d’antiprotéases chez les patients au virus déjà contrôlé ont montré que 80% des patients restent indétectables pendant au moins un an malgré la suppression des nucléosides [classe de médicaments anti-VIH dont, par exemple, Truvada ou Kivexa, ndlr]. Pour donner une image, c’est un peu comme si on avait une seule taille de costume, du 56 qui serait utilisée par tous, même ceux qui font du 44. Nous avons de notre côté un projet de protocole d’allégement qui se baserait, lui, sur le niveau des réservoirs du VIH des personnes (cellules où le virus est intégré et dans un état dormant), qui déterminent la rapidité de la reprise de la réplication du virus lorsque les traitements sont arrêtés (rebond). Iccarre, ce serait une autre façon de réduire la quantité des traitements. A la demande du directeur de l’ANRS, Jean-François Delfraissy, nous avons, au groupe Stratégies antirétrovirales de l’agence, rencontré l’équipe des investigateurs d’Iccarre (Pierre de Truchis, Christian Perronne…). Il y a des gens très bien, l’ambiance a été très constructive. Mais Jacques Leibowitch a clairement dit qu’il ne voulait pas que l’ANRS soit promoteur de l’essai. Nous sommes plusieurs à avoir dit que nos services [hospitaliers] participeraient à l’essai. On voit circuler des budgets très élevés pour l’essai, mais il ne faut pas avoir la folie des grandeurs, sinon il sera impossible de le financer. Dès qu’on nous présentera un protocole bien ficelé avec une méthodologie très carrée, avec un financement, on sera prêt à proposer Iccarre aux patients de la Pitié Salpétrière. Mais nous n’avons pas eu de nouvelles versions du protocole depuis les premières discussions".

Alexandra Calmy, chef de l’unité VIH de l’Hôpital de Genève


"Iccarre n’est pas un essai farfelu. Les ARV peuvent-ils être aussi efficaces, en maintenance, pris 4 jours par semaine au lieu de 7 ? C’est une question légitime et importante, qui mérite d’être évaluée. Cela peut répondre à une demande forte de certaines personnes de lâcher la pression sur les prises. Il est aussi possible que pour d’autres, l’arrêt et la reprise des comprimés soient vécues comme angoissantes. Notre service n’a pas été approché pour participer à cette étude, mais nous étudierons avec intérêt cette possibilité si elle se présentait. Notre unité s’intéresse beaucoup à la réduction des dosages quotidiens d’ARV, après une mesure des concentrations des médicaments dans le sang, car le passage des médicaments dans le sang varie selon les personnes. Je pense notamment à l’éfavirenz (Sustiva, Stocrin en Suisse), pour lequel, chez certaines personnes, une dose plus faible est mieux tolérée en restant tout aussi efficace. Cela peut conduire à "casser" Atripla (qui associe Truvada + Sustiva 600 mg en un comprimé) en prenant une ou deux gélules de Sustiva/Stocrin 200 mg et un comprimé de Truvada. Dans ce cas, le nombre de comprimés augmente, mais en l’absence d’effets indésirables, cette solution peut être préférée par certains patients chez lesquels le taux de médicament dosé dans le sang est assez élevé pour permettre une diminution de la dose de Stocrin/Sustiva".

Yazdan Yazdanpanah, service des maladies infectieuses de l’Hôpital Bichat (Paris)


"Cette stratégie n’est pas validée, surtout il ne faut pas tenter le "4 jours sur 7" seul dans son coin. Ce n’est pas dans l’air du temps, après l’échec des fenêtres thérapeutiques longues, même si ce n’est pas du tout la même stratégie. Tout le monde est très excité par cette idée, c’est vraiment très intéressant de voir si ça peut marcher, mais il faut vraiment le faire dans le cadre de la recherche. J’y vois plusieurs intérêts : celui d’une moindre exposition à des molécules qui conservent des effets indésirables, même si ceux-ci ont largement diminué. Le deuxième est l’impact sociétal, si le "4 jours sur 7" marche cela coûtera beaucoup moins cher, et cela permettrait de compenser en partie la croissance des coûts liés à l’extension du dépistage. Le risque serait que ce soit moins efficace en termes de contrôle du virus, mais on a peut être jeté un peu trop vite ce genre de stratégie. A partir du moment où on diminue la durée d’exposition de l’organisme au médicament pour la même efficacité, ça a un impact sur la qualité de vie, on ne peut pas dire autre chose. Est-ce une priorité, je n’en sais rien ? Faut-il mettre des ressources limitées sur le vaccin, la Prep, les hépatites, les essais dans les pays en développement ? Empêcher des contaminations, sauver des vies en Afrique c’est aussi très important. C’est une question de choix et de quantité d’argent disponible. Le service de Bichat va-t-il s’impliquer ? Il faudrait demander à Patrick Yeni [l’actuel chef du service] qui en assure toujours la direction. Si je devais voter, je dirais oui".

Eric Billaud, service des maladies infectieuses du CHU de Nantes et président de la Société française de lutte contre le sida (SFLS)


"Il y a des arguments pour le "4 jours sur 7" : c’est intéressant, très intéressant même. Evidemment. Diminuer le nombre de prises, c’est toujours bien. Ça va être intéressant pour un certain nombre de patients. Réduire l'exposition aux ARV. ET surtout faire des week-ends OFF et penser à autre chose qu’aux ARV. Sur le plan du coût, réduire le nombre de prises est intéressant en termes de santé publique. Ensuite, il y a des points d’incertitudes : l’observance, on ne sait pas si c’est bon ou délétère de prendre les comprimés "4 jours sur 7". La charge virale reste-t-elle vraiment bien contrôlée, ou y a-t-il un risque de blips (rebonds temporaires et modérés de la charge virale, autour de quelques centaines de copies) ou de résistance ? L’inflammation est-elle augmentée ou pas ? La charge virale reste-t-elle bien indétectable dans les sécrétions sexuelles, un facteur important pour le maintien de la quasi-suppression du risque de transmission ? Tout cela pour dire que l’essai Iccarre devra être très béton ! Suffisamment pour établir des recommandations claires et concises déterminants les conditions et limites de cette stratégie, notamment pour les médecins qui ne suivent pas très bien l’actualité du VIH. Des patients viennent me voir en venant chercher du "4 jours sur 7". Je suis bien embêté, car je ne sais pas quoi répondre, la stratégie n’ayant pas été évaluée dans un essai clinique. Si l’ANRS décide de mettre à disposition ses centres investigateurs, cela veut dire que l’essai est béton sur les plans scientifiques et de la sécurité des participants. Les priorités de recherches sont définies par le conseil scientifique de l’ANRS. En tant que professionnel de base : avoir une réponse est pour moi une priorité car pour l’heure je n’ai aucune réponse à apporter à mes patients. Ma crainte est qu’ils ne décident d’eux-mêmes de passer à "4 jours sur 7", sans en parler à leur médecin. C’est là que serait le danger".

Propos recueillis par Renaud Persiaux.

Commentaires

Portrait de Vincent

J'espère qu'un protocole va rapidement être mis en place avec un financement pérenne.
Portrait de hugox

Le simple fait de ces témoignages de médecins me dit que ça avance un peu. Ces médecins ne sont que des médecins, je veux dire qu'ils appliquent les recommandations: point. Pourvu que Leibowitch ne soit pas victime de pressions... Perso, je connais 2 médecins qui, il y a 10 ans déjà, donnaient à certains de leurs patients des ARV 5 jours/7 car les patients n'en pouvaient plus de bouffer du médoc. Ils se faisaient traiter de fous par leurs collègues. Et les patients avaient les mêmes résultats de CV indétectable. Je suis sûr que cela va marcher si on laisse faire ICCARRE... Les labos vont détester cela. Mais c'est aussi, en plus des bienfaits pour les patients, une façon de pousser les labos à donner plus de découvertes...
Portrait de into the wild

oui, ces medecins sont pour l'allegement,mais attendent confirmation,,nous sommes tjrs un peu dans le conditionnel on attend iccarre...;-/
Portrait de dboy30

Les medecins sont plutot optimiste ... mais aucun ne conseille un auto-allegement aux patients avant les resultats de l'etude. l'allegement sera possible pour certaines personnes, dans des conditions bien precises, avec une suivie speciale (cv, cd4, inflamation, reservoirs) et pour seulement certains molecules qui ont une demie-vie longue. ATTENTiON, CE N'EST PAS POUR TOUT LE MONDE !!! Par contre, le projet n'a pas l'air d'avancer !
Portrait de into the wild

comme tu le disais,pas d'automedication controle renforcé indispensable mais rdv ,,suivi lourd,hosto,,prise de sang,,etc,beaucoup de parametre different pour chacun, contraigant,pfff impatience...