Séjour pour raisons médicales : une occasion ratée de débattre avec l'OFII

Publié par jfl-seronet le 19.10.2017
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Politiquemigrantaccès aux soins

La troisième Journée d'échanges des acteurs de la lutte contre le sida (JEALS) s'est déroulée en amont du 18e congrès de la Société française de lutte contre le sida (SFLS, 19 et 20 octobre à Nice). Pour cette édition, le comité d'organisation avait retenu un thème qui claquait comme un slogan : "S'en saisir pour s'en servir !" Derrière cette formule, une évidence : il faut connaître et comprendre l'environnement législatif et complémentaire, les enjeux politiques et structurels sur un sujet pour les utiliser le plus efficacement possible. Ce credo était appliqué, ici, à deux sujets, les réformes récentes de 2017 concernant d'une part les Corevih et d'autre part la mise en place de la stratégie nationale de santé, l'accompagnement et les soins des personnes migrantes. C'est ce sujet que Seronet a retenu.

On a beau connaître les chiffres, avoir déjà lu les analyses, les articles dans les revues scientifiques, l’ouvrage publié en février dernier à la Découverte ("Parcours. Parcours de vie et de santé des Africains immigrés en France", par Annabel Desgrées du Loû et France Lert), ou assister aux présentations faites dans d'autres congrès et colloques, on reste toujours frappé par les résultats de l'enquête Parcours, présentés par Annabel Desgrées du Loû (IRD). Ils concluent que la précarité est un facteur majeur d'exposition au risque d'infection par le VIH chez les personnes migrantes originaires d'Afrique subsaharienne, et que de nombreuses contaminations, chez les hommes comme chez les femmes, se produisent en France lors du parcours migratoire, souvent chaotique et jonché d'obstacles. De nombreuses données sont publiées sur le site dédié.

Ce rappel du contexte, des difficultés d'accès des personnes migrantes originaires d'Afrique subsaharienne à la prévention comme aux soins était à la fois utile et édifiant, notamment pour comprendre les enjeux de l'accompagnement et de l'accès aux soins des personnes migrantes en France aujourd'hui. Dans sa présentation, le docteur Pascal Revault (Comede) a bien fait le rappel que le respect des droits humains, la baisse des discriminations permettait d'augmenter l'efficacité des politiques de prévention et d'accès aux soins. Dans une présentation détaillée, politique et militante, le responsable du COMEDE a parlé de l'accès aux soins, de la recherche en santé et du droit au séjour pour raisons médicales. C'est sur ce dernier point que se sont focalisées les questions et les craintes. Le droit au séjour pour raisons médicales a connu de nombreux changements ces dernières années ; le dernier date de janvier 2017. C'est le transfert de l'instruction des dossiers de demande de titre de séjour pour raisons médicales des médecins des agences régionales de santé (ARS) à l'OFII (Office française de l'Immigration et de l'Intégration), soit le passage, très contesté par les association de santé, d’une procédure sous tutelle du ministère de la Santé à celle du ministère de l'Intérieur. Du côté des associations, on a toujours défendu que la procédure devrait s’en tenir à la santé publique et qu’elle n'était pas un outil de contrôle des étrangers. Dans son intervention, Pascal Revault a mentionné l'existence de contrôles de sérologie faits pour les premières demandes de titres de séjour pour raisons médicales comme pour les renouvellements, l'augmentation des contrôles ou de la surveillance, qui conduisent à une augmentation des délais de réponse, qui, eux-mêmes, amènent à des ruptures de droits parfois longues, avec leurs conséquences sur les ressources, le travail, la formation et même le logement. Aujourd'hui, la politique de l'OFII dans ce domaine a, d'ores et déjà, conduit à deux refus de titres de séjour pour raisons médicales concernant des personnes vivant avec le VIH : une personne originaire de Guinée et une personne originaire d'Angola. Et pourtant, si on en croit les textes du ministère de la Santé, concernant le VIH, on ne doit pas considérer que les traitements anti-VIH sont accessibles dans les pays en voie de développement : ces deux personnes n'auraient pas dû se voir opposer un refus de titre de séjour pour raisons médicales. Pour Pascal Revault, ces deux exemples signent une "rupture de confiance" concernant l'OFII, parce qu'ils montrent, avec d’autres éléments, que l'esprit de la loi n'est pas respecté et que les "enjeux de contrôle ont pris le pas sur la santé". Caroline Izambert (AIDES) revient également sur ces deux cas et mentionne qu'il n'a pas été possible d'y trouver une solution, malgré les nombreuses tentatives entreprises. L'OFII n'a rien fait sur ces deux situations et explique ne pas se sentir contraint par des textes du ministère de la Santé, puisque l'OFII est sous tutelle de l'Intérieur. Du côté de AIDES aussi, on a beaucoup dénoncé le passage de cette mission à l'OFII, décidée par le précédent gouvernement. "Lorsque nous évoquions les problèmes possibles et le changement de nature de la procédure, liée au ministère de tutelle, on passait pour des Cassandre mais, hélas, nous avions raison", souligne-t-elle. Du côté des ONG, on affiche une nette inquiétude et on craint une dérive qui s'institutionnalise.

Evidemment, Charles Candillier, médecin inspecteur de santé publique, passé d'une agence régionale de santé à l'OFII, n'est pas de cet avis. Il va même jusqu'à affirmer, sans sourciller : "Nous ne sommes pas dans le contrôle des flux migratoires". Il explique qu'environ 2 500 dossiers de demandes de titre de séjour pour raisons médicales concernant des personnes vivant avec le VIH sont en instance, que 1 000 dossiers ont été traités et que deux cas de refus, ce n'est pas beaucoup ! Question de point de vue. Sinon, il tacle pas mal son ancienne administration de rattachement et parle même d'un "pilotage défaillant" de la part de la Direction générale de la santé, sur ce sujet. Relancé par Isabelle Lamaury (Corevih Guadeloupe, Saint-Barthélemy et Saint-Martin) sur "l'impréparation du déploiement de la nouvelle circulaire étrangers malades", Charles Candillier concède une "impréparation terrible", puisque les textes réglementaires sont sortis entre décembre 2016 et courant janvier 2017, pour une entrée en vigueur… au 1er janvier 2017. Il parle du grand retard dans le traitement des dossiers qui peut atteindre plusieurs mois, notamment dans les régions qui reçoivent le plus de demandes, c'est le cas de l'Ile-de-France. Et le médecin de réaffirmer que "concernant le VIH et le VHC, il n'y a pas de problème". Mais si, lui rétorquent plusieurs participant-e-s dans la salle.

Du côté des associations, l'heure est donc à la méfiance concernant l'OFII. Les associations entendent être attentives à la façon dont cet organisme va prendre la main sur ce sujet. Des données précises devraient permettre d'établir une photographie exacte de ce qui se passe et indiqueront si on est bien dans le cadre d'une politique de santé publique ou d'une politique qui, sous le vernis de la santé, procède à de la sélection migratoire et un contrôle des personnes étrangères. De ce point de vue, on attendait avec impatience, l'intervention du docteur Than le Luong, passée de la direction de l'Inpes, il y a quelques années, à l'OFII, où elle est la directrice du Pôle Santé. Dans son intervention, la médecin a rappelé que depuis le 1er janvier 2017, l'OFII donne des avis médicaux pour titres de séjour pour raisons médicales concernant des personnes en situation irrégulière. Ces avis sont instruits sur un dossier examiné par un premier médecin de l'OFII et sont rendus par un collège de trois autres médecins selon différents critères, dont la capacité du système de santé du pays concerné à soigner la personne. Dans son intervention, la directrice du Pôle Santé a voulu rester très factuelle, égrainant missions et chiffres et défendant l'idée que cette nouvelle mission de l'OFII permettait de garantir l'équité de traitement de dossiers sur le territoire, ce qui n'était pas le cas précédemment avec les ARS. Côté chiffres, elle a indiqué que 37 000 demandes de titres de séjour pour raisons médicales ont été déposées en préfectures. Elles concernent des ressortissant-e-s de pays comme l'Algérie, la RDC, les Comores, le Cameroun, la Côte d'Ivoire, la Guinée, etc. Les dossiers concernant le VIH se situent entre 2 500 et 3 000 (au 15 septembre 2017). Ces données ne sont pas forcément représentatives car il manque notamment les données franciliennes. On devrait avoir des données plus précises à la fin de l'année 2017, car l'OFII doit remettre au Parlement un rapport complet de son activité. La salle aurait bien aimé pouvoir poser des questions au docteur Than le Luong, notamment sur les cas, très emblématiques, de refus concernant des personnes vivant avec le VIH originaires de pays où il est pourtant évident qu'elles ne pourront pas y être soignées selon leurs besoins, au risque de leur vie... mais il n'aura pas été possible de poser la moindre question à la directrice du Pôle santé de l'OFII. Ce sera, du reste, la seule intervenante de cette journée d'échanges avec laquelle il ne sera pas possible d'échanger. Curieux ! Motif ? Du retard pris dans les débats... Retard qui ne pèsera pas, étonnamment, sur les sessions suivantes.

Les présentations sur les Corevih ont donné lieu, elles, à un feu relativement nourri de questions.