Sexe et addictions : mettre le monde du VIH en musique

Publié par Mathieu Brancourt le 15.10.2016
5 201 lectures
Notez l'article : 
0
 
ConférencesSFLS 2016

Le 17e congrès de la Société française de lutte contre le sida (SFLS) s’est clôturé vendredi 7 octobre. Pendant deux jours, les participants — médecins, infirmières, chercheurs ou encore acteurs associatifs — ont débattu et échangé sur une problématique brûlante sur bien des aspects : les enjeux de sexualité et d’addictions. En creux, c’est l’émergence du phénomène chemsex (sexe sous produits) que cette société savante de médecins VIH a voulu appréhender. A travers ateliers, mises en situation et débats en plénière, c’est l’ensemble de la prise en charge de cette problématique de santé sexuelle qui a été réfléchi. A l’issue de cette conférence, l’objectif atteint est d’avoir partagé et délivré une information de référence sur le sujet pour faire monter en capacité les acteurs de la lutte contre le sida et les hépatites. Pour mieux travailler ensemble et créer des ponts et relais, afin de changer le regard et les pratiques.

Il était temps ! Pour beaucoup de participants, il y avait urgence à ressembler une large partie de la communauté sida autour de la question du sexe et des addictions. Deux problématiques maintes fois rebattues, mais jamais abordées de front, ni intriquées. Le choix de la Société française de lutte contre le sida  (SFLS) d’en faire un enjeu à part entière arrive après la mobilisation des militants et acteurs associatifs, premiers à constater cette problématique sur le terrain, et à l’avoir documentée.

Ces dernières années, des chercheurs et médecins ont commencé à investiguer les implications et réalités afin d’obtenir des données sur lesquelles se fonder. Cette édition 2016 de la SFLS était donc un point de convergence et de partage des éléments scientifiques et expériences profanes agrégés depuis lors. "La thématique est la bonne, dans une période de transition et d’installation de la PrEP (prophylaxie pré-exposition), dans la prise en charge et l’accompagnement de personne séronégatives, qui veulent le rester. Je suis convaincu qu’il y aura des effets positifs après ce congrès sur comment aborder et améliorer l’approche sur cette thématique de la sexualité et des addictions", se réjouit d’avance Jacques Reynes, professeur au CHRU de Montpellier et local de cette SFLS.

Les questions de drogues ont toujours été fermement arrimées aux travaux d’addictologues, mais étaient assez peu abordées dans la prise en charge des personnes séropositives par les médecins travaillant dans le champ du VIH, voire même reliées aux questions de sexualité et de risques sexuels. Aujourd’hui, avec le phénomène chemsex et sa branche du slam (injection de substances dans un contexte sexuel), où se mélangent pratiques sexuelles exposant à un risque de contamination au VIH et aux hépatites et conduites addictives avec des produits psychoactifs, obligent à une approche transdisciplinaire, et donc à une approche holistique et inclusive de tous les partenaires. "J’ai voulu participer à cette édition car je ne comprenais pas complètement les enjeux de soins concernant le chemsex. Dans mon service VIH, ce n’est pas un sujet qu’on aborde", explique Maryse, infirmière au CHU de Dijon. Pour d’autres, c’est la rencontre avec les acteurs associatifs qui leur permet de tisser des liens, des relations voire des partenariats pour travailler de concert. "Les échanges avec les acteurs associatifs m’ont permis de voir que d’autres étaient également en contact avec des personnes avec des problématiques d’addiction. J’ai aussi pu récupérer la documentation produite par ces acteurs, comme AIDES ou le Respadd (Réseau de prévention des addictions)", explique Lionel, médecin généraliste à Paris qui reçoit des patients gays et séropositifs.

Des présentations ont abordé la question d’autres consommations problématiques en matière de santé, mais plus répandues, comme celles du tabac, du cannabis ou de l’alcool. Elles ont permis de balayer le spectre des enjeux qui se posent en matière de santé. Sachant que les personnes séropositives, par les impacts psycho-sociaux de la maladie, sont plus exposées à ces consommations. "L’apport des addictologues et des sexologues a été crucial", ajoute encore Jacques Reynes en conclusion de la conférence.

La gageure reste, pour l’ensemble des acteurs, de se servir de cette impulsion pour avancer de manière collective sur ces enjeux et, à terme de réussir à trouver de nouvelles stratégies pour appréhender un phénomène qui a un impact sur les contaminations au VIH et au VHC. 2017 sera aussi l’année du bilan pour la SFLS à ce propos, puisque la prochaine édition se déroulera à Nice les 19 et 20 octobre, et sera consacrée à la quête d’un "territoire sans sida".

"Mieux prendre en charge les personnes de façon globale"
Le docteur Anne Simon, présidente de la SFLS, abonde, il y aura un avant et un après la SFLS 2016. "L’arrivée de la PrEP, l’arrivée des CeGIDD, l’enjeu de la santé sexuelle vers une prévention bio-médicalisée aussi auprès des personnes séronégatives, nous font changer de paradigme. Nous sommes les mêmes individus, qui passons des uns aux autres. C’est une nouvelle culture à travailler. Associatifs et médecins, nous venons de deux mondes très différents. Nous avons beaucoup appris de ces autres prises en charge. Mais il y avait tout un monde qui ne se connaissait pas, tout un champ de la médecine, comme les addictologues et les sexologues, qui ne savent pas ce que l’on fait. Tous n’étaient pas au fait de ces nouvelles problématiques de sexualité. C’est ce monde-là qu’il va falloir mettre en musique. C’est notre défi. Nous avons repérer les personnes avec qui nous allons pouvoir travailler. Ceux que nous connaissions déjà, comme les associatifs, mais en fonctionnant différemment, mais aussi d’autres professions dont nous pouvons "se servir", pour mieux prendre en charge les personnes de façon globale. Ce sont des situations complexes, des personnalités complexes, des prises de risques complexes. Je pense que l’on va beaucoup apprendre les uns des autres désormais."