Steave Nemande : "Reconnaître les homosexuels comme des êtres humains à part entière"

Publié par tofo le 25.07.2008
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droits de l'hommeaccès aux soinsdiscrimination
Médecin, militant des droits des homosexuels en Afrique, Steave Nemande est un des responsables d'Alternatives-Cameroun, une jeune association très engagée dans la lutte pour les droits des minorités sexuelles. Outre un engagement sur le plan juridique et social, Alternatives-Cameroun s'investit beaucoup dans le domaine de la prévention du VIH. Interview.
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Quels sont les principaux obstacles en matière de prévention ?


Les blocages sont nombreux, à commencer par les gays chez qui les "mauvaises" habitudes ont la vie dure, comme dans le reste de la population d’ailleurs. Nombreux sont ceux qui n’utilisent pas le préservatif parce qu’ils n’aiment pas, parce que cela réduirait le plaisir, par confiance dans leur partenaire, etc. Beaucoup d’homosexuels à Yaoundé et à Douala [les principales villes du pays] ont entendu parler et ont utilisé pour la première fois un gel lubrifiant grâce aux actions d’Alternatives-Cameroun. Le déni de l’homosexualité et le rejet des homosexuels constituent un facteur aggravant dans la mesure où les gays sont contraints de faire des rencontres et de vivre parfois leurs premiers rapports sexuels dans des conditions où le préservatif et le gel sont absents. Si nous prenons l’exemple d’un lycéen ou d’un étudiant qui vit encore chez ses parents et qui fait la rencontre d’un autre jeune comme lui, où vont-ils ? Certainement pas chez leurs parents. À l’hôtel non plus car ils n’en ont pas les moyens. Ils iront dans un lieu isolé des regards : terrain vague, stade, chantier, parc, toilettes publiques, etc. La situation n’est pas meilleure pour les adultes. Le contexte social homophobe contraint les hommes qui aiment les hommes à entretenir également des relations sexuelles avec des femmes. Ce multipartenariat qui est ici une tactique de camouflage expose ces derniers au double risque d’être contaminés autant par leurs partenaires masculins que féminines. De plus, ils partagent avec chacun de leurs partenaires les risques pris avec les autres. Enfin, la pénalisation des pratiques sexuelles entre personnes de même sexe dans la majorité des pays africains légitime l’homophobie sociale et renforce la peur chez les homosexuels qui prennent davantage de risques en vivant une sexualité clandestine.

Qui est le mieux placé pour mettre en place des programmes spécifiques de prévention : les associations de lutte contre le sida ou les associations gay ?


En principe, tout le monde. Et vu les dimensions importantes que prend l’épidémie chez eux, la prévention et la prise en charge du VIH chez les homosexuels devraient être considérées comme une question de santé publique à part entière. Pour une prévention réussie, il faut avoir les connaissances, mais surtout reconnaître les homosexuels comme des êtres humains à part entière et les impliquer dans les activités de prévention. Les associations classiques de lutte contre le sida ont généralement les connaissances et les compétences nécessaires pour ce travail. Malheureusement, beaucoup se l'interdisent à cause de l’intolérance de leurs membres. Cette intolérance est bien souvent alimentée par les préjugés, les convictions religieuses, morales, etc. Les associations qui entreprennent, malgré tout, des actions en direction des gays se heurtent à l’homophobie des autorités locales, voire aux réticences des homosexuels eux-mêmes. Alors que faire ? Il est impératif de renforcer les capacités des associations identitaires existantes qui ont une facilité pour approcher les gays et transmettre des messages de prévention, mais pas toujours les connaissances exactes. Il faut que les associations classiques de lutte contre le sida fassent plus que travailler avec des groupes gay. Elles doivent intégrer les homosexuels dans la vie même de l'association. C'est cela qui facilitera la découverte mutuelle des uns et des autres et qui contribuera à une meilleure acceptation des homosexuels dans l'ensemble de la société.
Il est utopique de vouloir obtenir l’utilisation du préservatif ou l’adoption de comportements à moindres risques chez les homosexuels si ces derniers se sentent rejetés et sont désespérés. Dans pareils cas, il n'y a pas grande différence entre mourir du sida et mourir de la haine des autres.

Alternatives-Cameroun
BP 12 767 Douala, Cameroun
Tél. : + 237 99 20 03 29
Mail : alternatives.cameroun@gmail.com