Stefano Vella : "On a donné beaucoup d’espoir, il faut maintenant le concrétiser"

Publié par Mathieu Brancourt le 11.01.2015
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ConférencesConférence de Romefin de l'épidémie

Fin novembre, les ministres européens de la Santé se donnaient rendez-vous en Italie, à l’occasion de la Conférence de Rome de l’Union Européenne sur la réponse à l’épidémie de sida pour la prochaine décennie. La société civile a voulu mettre la pression, dix ans après Dublin, pour une politique européenne ambitieuse de lutte contre la pandémie. Stefano Vella, chercheur engagé et chef du département thérapeutique de l’Institut national de recherche sur la santé, revient sur la Déclaration de Rome et ses défis.

Vous avez assisté aux discussions durant cette Conférence de Rome. Quel regard portez-vous sur les engagements pris par l’Union européenne pour une nouvelle politique pour mettre fin à l’épidémie de VIH/sida sur le continent ?

Stefano Vella : Cette déclaration reste aujourd’hui purement d’intention, car elle doit être validée par tous, partout à travers l’Europe. Mais les déclarations sont fortes, avec des objectifs élevés. Les Etats s’engagent dans une perspective de fin de l’épidémie en Europe d’ici à 2020. Cela veut dire qu’il faudra faire en six ans ce que l’on n’a pas réussi à faire jusque là. Mais cela reste des principes assez similaires à ceux prônés à Dublin en 2004. Et beaucoup des objectifs fixés il y a dix ans n’ont toujours pas été atteints. Ici encore, ce sont les actes qui vont compter.

Les activistes étaient nombreux à Rome et ont pu participer aux débats. Quelles étaient leurs revendications ?

Il faut de la continuité entre Dublin et Rome. Les militants présents ont rappelé avec justesse que le combat était loin d’être terminé. Le travail entamé à Dublin doit être repris, voire redoublé. Les chiffres élevés même en Europe nous le rappellent : Il faut être ambitieux pour l’Europe et ses zones limitrophes. Nous avons demandé que l’Europe mette en place un plan 2014-2016 pour les pays de l’Union européenne, mais aussi ses voisins. Il est nécessaire de fournir de l’aide, des investissements et des financements là où les populations sont discriminées et n’ont pas accès à la santé. Ce plan d’action devra aussi inclure l’ensemble des objectifs à atteindre auprès des personnes les plus exposées. Défendre une approche de santé publique, plaider pour la promotion des droits des minorités et arrêter de voir la question des drogues comme un problème policier. Enfin l’Europe peut et doit jouer un rôle important dans la lutte mondiale sur les prix des médicaments. Car on arrive à un paradoxe inquiétant : après avoir réussi à donner un accès aux traitements aux pays les plus pauvres du monde, les mêmes pays d’Europe ne garantissent plus un accès universel aux médicaments chez eux.

La déclaration de Rome a pris comme slogan : "Leaving no one behind and ending AIDS in Europe" ("Ne laisser personne sur le bord de la route, pour en finir avec le sida en Europe"). Est-ce réaliste en l’état ?

Il y a plusieurs constats à faire. Concernant les populations les plus exposées (gays, migrants, usagers de drogues injectables), le VIH n’est pas sous contrôle, même dans les pays les plus développés. Aussi, l’Europe de l’Est reste la zone où l’épidémie est la plus dynamique. Les diagnostics au stade sida et les décès liés à la maladie y restent très nombreux. Il n’y a quasiment pas de programmes de prévention ou de réduction des risques. Et les lois punitives, concernant la consommation de drogues ou l’homosexualité, empêchent d’atteindre ces populations très vulnérables. Il y a aujourd’hui près de 30 % de personnes qui vivent avec le VIH sans le savoir et n’ont pas recours ou accès au dépistage sur le continent européen. Et l’enjeu de la coinfection VIH/hépatites virales n’est pas encore bien pris en compte par les Etats. Il y a des améliorations, mais il reste beaucoup à faire. Nous n’atteignons pas le 90-90-90 (pourcentage de personnes dépistées, sous traitements puis en charge virale indétectable) fixé par l’ONUSIDA, même dans les pays riches de la région. Nous sommes loin de pouvoir donner des leçons à l’Afrique. Il ne faut pas faiblir en pensant que le sida est terminé car on peut aujourd’hui faire des projections vers une fin de l’épidémie. On a une Europe à deux vitesses. Il faut médiatiser la situation pour une prise de conscience collective et une mobilisation internationale. Pour atteindre les objectifs fixés, il va falloir de la volonté politique et des financements constants pour que le rêve rejoigne la réalité. On a donné beaucoup d’espoir, il faut maintenant le concrétiser.

"Casser les barrières" : la promesse de Dublin
En février 2004, les représentants des Etats d’Europe et d’Asie centrale se réunissaient en Irlande pour promouvoir les nouvelles directions de la lutte contre le VIH/sida. La Déclaration souhaitant déjà casser les barrières pour atteindre les populations vulnérables, souvent victimes de discrimination et qui n’avaient toujours pas accès à la prévention. La promotion de bonnes pratiques et des droits des minorités, le renforcement de la lutte en Europe de l’Est, la mutualisation des efforts de financements et la généralisation des traitements pour les personnes séropositives ("les 3 millions" à l’époque) étaient déjà au programme. Au final, certains de ces objectifs ont été atteints, à l’aune de politiques spécifiques et des avancées médicales. Mais l’idée d’un engagement commun à atteindre l’ensemble des personnes les plus vulnérables reste encore brûlant, 10 ans après.