Stratégies d’allègement : les avis de cliniciens experts

Publié par Rédacteur-seronet le 15.09.2017
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Thérapeutiqueallègement thérapeutique

Lors de la conférence HIV Science à Paris en juillet dernier, un symposium a été consacré aux stratégies d’allègement médicamenteux ou thérapeutique (nombre des molécules, nombre de jours de prise, diminution des doses d’antirétroviraux). Les chercheur-e-s avaient choisi d’intituler ainsi la session : "Avons-nous besoin de trithérapies pour tous et toute la vie ?" Le principe du traitement anti-VIH hautement efficace étant depuis 1996 la prise quotidienne de trois médicaments antirétroviraux (trithérapie), éventuellement additionnés d’un booster (ritonavir ou cobicistat). Chaque congrès sur le VIH se pose désormais la question des stratégies d’allègement. Cette question, les personnes sous traitements la posent à leurs médecins et se la posent (Dois-je changer de traitement ? Dois-je alléger ? Puis-je alléger ? Comment ?), les cliniciens aussi. Et les associations ont relayé ce besoin auprès des médecins et chercheurs depuis plusieurs années. C’est d’ailleurs pour cela que de nombreuses études sont menées. Seronet a extrait des interviews thérapeutiques du numéro 100 de Remaides, les avis de quelques médecins concernant les pratiques d’allègement.

Le concept et les pratiques d'allègement avancent. Les personnes vivant avec le VIH le demandent, pour réduire les effets indésirables, pour réduire la toxicité sur le long terme. Jusqu'où pourrait-on aller dans ce domaine selon vous ?

Jade Ghosn : Ces deux dernières années ont été très riches en enseignement sur le concept d’allègement thérapeutique. Le "dogme" de la trithérapie pour tous a été sacrément ébranlé par des essais comme Gardel, essai qui a montré qu’une bithérapie avec un inhibiteur de la protéase boosté par le ritonavir associé à une molécule qu’on connaît depuis longtemps, qui est bien tolérée et génériquée, la lamivudine (3TC), n’était pas moins efficace qu’une trithérapie classique, y compris pour des charges virales initialement élevées. On attend avec impatience les résultats des essais Gemini, qui comparent, en initiation de traitement, une bithérapie associant le dolutégravir (inihibiteur de l’intégrase de deuxième génération) avec la lamivudine. Ces résultats, s’ils sont bons, pourraient redéfinir la "référence" en termes de composition d’un traitement antirétroviral de première ligne. Nous avons également plusieurs résultats d’études d’allègement vers des bithérapies chez des personnes déjà contrôlées sous traitement par trithérapie. La difficulté, chez ces personnes, réside dans le fait qu’il y a un "cahier des charges" à valider avant de pouvoir passer en bithérapie, et ce cahier de charges dépend des différents traitements déjà reçus par le passé et de leur efficacité, de la durée d’indétectabilité, des antécédents de maladies — notamment neurologiques — , etc. Il est donc important que cet allègement ne se fasse pas de façon unilatérale [sans avis médical, ndlr], mais en concertation avec son médecin et l’équipe soignante.

Concernant les monothérapies, les résultats d’études récentes évaluant le dolutégravir en monothérapie, ont montré que cette molécule donnée seule n’était pas suffisamment robuste pour empêcher le développement de mutations de résistance en cas d’échec, ce qui compromet les options futures. Seuls les inhibiteurs de la protéase boostés par le ritonavir peuvent être utilisés en monothérapie de relais chez des personnes déjà contrôlées, mais du fait du potentiel impact cardio-vasculaire de cette classe d’antirétroviraux, une telle stratégie ne me semble pas être une stratégie de long terme. Enfin, des résultats très convaincants sont maintenant disponibles pour les traitements "intermittents", quatre/cinq jours sur sept, et on attend à présent le démarrage de l’essai Quatuor qui va tester cette stratégie de traitement quatre jours sur sept en la comparant à un traitement continu, chez plus de 600 participants. On pourra donc bientôt proposer, à chaque personne, une stratégie antirétrovirale "allégée" qui lui convient le mieux : moins de molécules, mais une prise quotidienne (ou un peu plus tard, une ou deux injections tous les "X" mois), ou autant de molécules, mais moins de jours par semaine.

Gilles Pialoux : S’agissant des pratiques d’allègements qui avancent dans bien des domaines, et que réclament un certain nombre de personnes vivant avec le VIH, il me semble que la question économique ne doit pas oblitérer les risques à alléger mal et/ou trop. S’il est clair que beaucoup de patients, même dans les centres expérimentés, sont encore "trop" traités en termes de nombre de molécules utiles, l’allègement ne doit pas constituer une perte de chance en termes d’efficacité virologique du traitement.

Je pense notamment qu’on ne peut pas à la fois alléger le suivi (voir le patient une fois par an), alléger le dépistage des comorbidités et le contrôle de la charge virale indétectable, alléger le dépistage des IST et les messages de préventions qui lui sont associés et aussi diminuer l’efficacité thérapeutique par différentes formes d’allègements (moins de jours ou moins de principes actifs). Cela pouvant augmenter le risque de remontée des charges virales, dissociées entre sang et sperme avec la fréquence des "blip" [rebonds temporaires de la charge virale, ndlr]. Sans parler de l’évaluation des prises de risques avec le partenaire pour les personnes dans des stratégies d’allègement maximales [risque sur l’efficacité du Tasp, ndlr].

Le concept et les pratiques d'allègement avancent. Les personnes vivant avec le VIH le demandent. On a pu reprocher à l’agence de ne pas aller assez vite dans ce domaine, partagez-vous cette opinion. Jusqu'où pourrait-on aller dans ce domaine selon vous ? Que faut-il encore faire comme recherches ?

François Dabis : Je sais qu’il y a eu des débats par le passé. Notamment sur l’opportunité de soutenir la recherche sur ce sujet. Depuis, des décisions ont été prises afin d’avancer sur ce projet d’allègement thérapeutique. Un travail [essai ANRS-4D, ndlr] a été mené et présenté partiellement à la conférence de Durban l'année dernière. Il y aura une phase de publication des résultats définitifs. Nous sommes dans une phase intermédiaire, avec le lancement d’un nouvel essai pour étudier plus largement l’intérêt de la stratégie de réduction de prises hebdomadaires (1). Il faut que cela se fasse, en lui donnant le temps de produire des données que nous pourrons présenter puis publier. Continuer dans cette voie là en multipliant les projets ne me parait pas une bonne solution. Je ne crois pas que nous en ayons beaucoup dans les tuyaux. C’est déjà une partie de la réponse. Faut-il qu’il y ait un agenda de recherche sur la simplification à long terme ? Oui. Mais avec des objectifs ambitieux, sur les médicaments à diffusion prolongée notamment, les nanoparticules. (…) A nous de nous mettre autour de la table pour réfléchir ensemble et atteindre cette simplification.

Cette dernière est un champ important, je le reconnais. Il faut reconnaître que pour 95 % des gens, le traitement est bien toléré et la question de l’observance se pose moins. Reste une partie marginale de personnes pour lesquelles c’est encore un enjeu. Nous sommes dans des niveaux de succès que d’autres pathologies nous envient. Pour autant, il faut plus de recherches sur la qualité de vie. (…) La question des stratégies d’allègement a pris, ces dernières années, de plus en plus d’ampleur. Elle n’a pas échappé à la caricature, aux effets de manche, aux approximations voire aux idées fausses (une stratégie unique d’allègement serait bien pour tout le monde). Le débat doit se poursuivre et ce d’autant que des recherches se poursuivent et que de nouveaux résultats sont attendus. Il doit d’autant plus se poursuivre que les questions posées sont plus complexes et plus vastes. Ainsi, par exemple, certains spécialistes se demandent si une initiation de traitement doit obligatoirement se faire par une trithérapie ou si une bithérapie voire une monothérapie pourrait être proposée en traitement d’induction et pour qui ? De même, des spécialistes réfléchissent aux traitements en cycles courts (quatre ou cinq jours par semaine) et surtout pour quelles personnes et quels profils est-ce une bonne option thérapeutique ? D’autres encore travaillent sur la diminution de doses d’antirétroviraux avec les résultats d’essai sur l’efavirenz et les antiprotéases. On le voit, rien n’est figé. Une seule chose est sûre : un allègement ne doit pas être entrepris sans un avis médical spécialisé.

(1) : Essai ANRS 170 Quatuor. L’essai Quatuor a pour objectif de comparer chez les personnes ayant un traitement efficace depuis au moins quatre mois, une prise de traitement quatre jours consécutifs par semaine versus la prise de traitement sept jours sur sept actuellement recommandée. La prise en compte des anti intégrases dans les traitements est nouvelle par rapport à l’essai 4D.

Jade Ghosn est médecin clinicien, spécialiste du VIH, investi dans la recherche et l’enseignement, membre des commissions d’experts du Rapport Morlat.
Gilles Pialoux est médecin, chercheur, chef de service des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital Tenon (AP-HP, Paris), investi dans la recherche et l’enseignement, membre des commissions d’experts du Rapport Morlat.
François Dabis est médecin, chercheur et directeur de l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS), depuis mars 2017.