Trans : "Si c’est possible en Argentine, pourquoi pas ailleurs ?"

Publié par Rédacteur-seronet le 15.07.2012
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transidentité de genre
"Trans-puto-PD", c’est ainsi que Stéphane se présente. Originaire de Belgique, ce militant trans vit aujourd'hui en Argentine. Il y organise un festival culturel et politique (¿ ANORMALES ?) sur les discriminations fondées sur le genre. Seronet lui a demandé d’expliquer pourquoi et comment l’Argentine était devenue le premier pays du monde à adopter une loi sur l’identité de genre et quelles conséquences pouvait avoir cette avancée historique pour les trans.
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Selon vous, quels sont les éléments, les arguments qui ont permis d’aboutir à ce changement majeur que connaissent les trans en Argentine aujourd’hui ?
L'Argentine est un pays où l’on trouve des mouvements activistes forts. Après la légalisation du mariage pour les personnes du même sexe [en 2010, ndlr] la majorité des associations et des groupes militants a défendu les revendications visant à l’adoption d’une loi sur l’identité de genre. Les Marches de la diversité ont mis en avant cette loi comme première revendication. Par ailleurs, de nombreux débats publics ont porté et accompagné ce projet, que ce soit au sein des universités ou dans des centres culturels et même sur la place publique sous des formes variées : pique-nique, peintures murales, distributions de flyers, projections et manifestations de rue, etc. Il y a également eu des débats au congrès. Cette question a bénéficié d’une médiatisation officielle et activiste notamment via Internet. Comme ailleurs lorsque ce sujet est abordé, il y a eu des débats parmi les trans : une partie des personnes trans voulait rester "pathologisées". Elles avançaient, entre autres, un thème récurrent : l’accès gratuit aux hormones et à la chirurgie que la nouvelle loi pourrait remettre en cause. Une partie des activistes trans a fait remarquer que revendiquer un "sexe Genre" : être homme ou femme, reviendrait à rendre "invisibles" les identités trans. Ainsi des trans ont demandé d’avoir la mention "T" sur leurs papiers d’identité. Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu'il y a une grande différence de culture politique entre l'Argentine et l'Europe. L’Argentine est, de façon générale, très politisée. Il y a ainsi plusieurs manifestations chaque jour à Buenos Aires. Beaucoup d'étudiants sont hyper politisés. Du coup, nombreuses sont les universités qui comptent beaucoup d’étudiants activistes qui organisent des actions très visibles. Les universités sont de réels endroits de débats et d’expression politiques… qui débordent dans les rues. C’est le contraire de ce qu’on voit au Portugal où j’ai longtemps vécu où les universités s’apparentent plutôt aux gardiens des traditions y compris sexistes et homophobes.

A votre avis, qu’est-ce qui a fait office de détonateur pour cette réforme ?
Ce qui a été le détonateur est la lutte commune avec les LGB [Lesbiennes, gays et bis, ndlr], le grand nombre d'actions et de débats qui se sont déroulés publiquement et qui ont été repris dans les médias. Certains arguments ont porté comme ceux de la précarisation des personnes trans, du libre choix de nos corps et de nos identités, de la violence de la transphobie et de la "pathologisation". Pour remettre les choses dans leur contexte, si on compare avec la Belgique dont je suis originaire, le mariage pour tous les couples a été obtenu en 2003. Que s’est-il passé ensuite ? Un arrêt quasi-total de l'activisme LGB car il n'existait plus de revendications à exiger sur le plan légal. Et à cette époque, le mouvement trans belge était beaucoup moins important. La vie du mouvement LGB belge a repris à la suite des revendications des activistes trans. En revanche, en Argentine, le mouvement trans était déjà très important et visible lors de la légalisation du mariage pour tous. Le mouvement international contre la "pathologisation" était connu. Les activistes avaient déjà conscience de ce que cela signifie d’être considéré comme un "malade mental". Les protocoles officiels autoproclamés, la précarisation des trans, l’accès aux soins de santé, à l'éducation, etc. : l’ensemble des activistes LGBTI avait déjà conscience de ces enjeux et de ce qu’est la transphobie en général ; Le mouvement a suivi "naturellement".

Quelle place avez-vous pris en tant que personne concernée, militant dans ce combat ?
Je n'y ai pris qu'une petite place… n'étant qu’un grain de sable dans cet important mouvement. J'organise avec un ami, Lorenzzo, un festival indépendant itinérant en Amérique Latine : le festival ¿ ANORMALES ? Ce festival a pour thème les discriminations fondées sur le genre ; cela inclut la transphobie donc la dépathologisation, le sexisme donc la légalisation de l'avortement, l'intersexephobie [la haine des personnes intersexe, ndlr], la lesbophobie, le sida. Cet événement dure cinq jours. Il comprend de nombreux documentaires vidéos, une exposition de photos, des dessins, des affiches, des textes, des ateliers divers, parfois du théâtre, des performances, des fêtes, etc. Des débats y sont organisés. C'est aussi un endroit privilégié de rencontres entre des féministes (parfois essentialistes), des gays (parfois sexistes, parfois transphobes), des lesbiennes (parfois transphobes) et des trans (parfois sexistes, parfois homophobes). C'est un outil qui permet le débat plus "sérieux et officiel" mais aussi des rencontres plus intimes et individuelles. Ces débats et rencontres peuvent apporter des changements de positions militantes et politiques. Ils permettent de combattre les idées reçues et aussi de porter à la connaissance des personnes qui ne sont pas trans cette thématique, les revendications… L’un des objectifs de ce festival est d'unir toutes ces personnes. Il s’est déroulé à plusieurs reprises en Argentine et au Chili. J’ai également pris part à quelques débats dont certains que j’ai animés, mais je me suis heurté à ma méconnaissance historique et politique des conflits entre les différents groupes et assos trans argentins. J'avoue être aussi perdu au niveau du péronisme [doctrine politique fluctuante de l’extrême gauche à l’extrême droite héritée de Juan Péron, figure politique majeure des années  40. Elle a donné naissance au Parti justicialiste auquel l’actuelle présidente Cristina Kirchner appartient, ndlr] qui est hyper présent et qui me semble fort complexe. Je me borne à écouter les "Pour" et les "Contre" et à danser d'un pied sur l'autre.  

Il y a quelques jours les premiers documents officiels ont été remis par Cristina Kirchner en vertu de la nouvelle loi sur l’identité de genre. Qu’avez-vous ressenti et qu’ont ressenti vos proches, les militantes et militants trans que vous connaissez ?
Nous avons fêté cela… et je ne parle pas de nos gueules de bois ! Quand j'ai vu la vidéo [la remise des premiers certificats par Cristina Kirchner, ndlr], je pleurais d'émotion ! De nombreuses amies et amis trans ont déjà obtenu leurs papiers d'identité et ce très facilement. C’était une ambiance de fête et de pure joie.

Pensez-vous que cette avancée historique puisse avoir des effets d’entraînement et qu’elle incite d’autres pays à suivre cet exemple ou la spécificité de la société argentine est telle que ce n’est pas possible ailleurs ?
J'ai des doutes quant à l'Amérique Latine. Je ne connais pas la situation de tous les pays d’Amérique Latine, mais, par exemple, au Chili, il y a eu des débats pour une loi anti discriminations. Beaucoup ne voulaient pas y inclure l'homophobie. Les trans sont considérés par les politiques comme des homosexuels "malades" : ils et elles n'existent pas. Au Chili, mais c’est aussi valable pour le Brésil, il y a une forte présence de l'église évangéliste. Elle intervient au Parlement. Elle a un poids financier et donc un réel pouvoir politique. Cette église est tout spécialement sexiste, homophobe et transphobe. Au Chili, comme dans toute l’Amérique Latine, l'avortement est interdit, même en cas de malformations du fœtus, de viol ou de danger pour la vie de la femme. Il existe encore dans ce pays de nombreux décrets signés de la main de Pinochet [ancien dictateur chilien de 1974 à 1990, ndlr]. Au Paraguay, après le dernier changement politique, nous avons reçu ce premier mail de la part d'activistes paraguayennes : "C’est un coup d’Etat avec l’apparence de la légalité. Le nouveau président, Federico Franco, est un fondamentaliste religieux ultra, ultra "suce cierges". C'est la terreur. On nous a volé notre Démocratie !" Pour ce pays, par exemple, la loi argentine n’aura aucune influence. Pour ce qui concerne l’Europe, je pense que la loi Argentine  peut être un exemple et avoir effectivement une influence. Beaucoup d’Européens semblent se faire encore une image de l'Argentine comme étant "socialement sous développée". J'espère que ce sera une démonstration du contraire et un exemple… Car si c'est possible ici pourquoi pas dans d'autres pays démocratiques ?
 
Comme militant, quels conseils tactiques donneriez-vous aux activistes trans en France pour que ce pays aille dans la même direction que l’Argentine ?
Je ne me targue pas de donner des conseils… juste quelques réflexions personnelles. Je pense qu'il existe beaucoup de conflits et de violence à l’intérieur même de la communauté trans, ce qui nous dessert énormément pour pouvoir obtenir une loi qui nous est pourtant absolument indispensable. Il faut unir nos forces, stopper les débats stériles et les querelles entre nous et porter publiquement un discours cohérent. Il faut aussi s’unir aux LGB ! Historiquement, nous avons beaucoup de points communs comme le fait de figurer sur la liste des maladies mentales, d’être l’objet de pseudos recherches scientifiques cherchant l'origine de nos "maladies" comme la dysfonction de la fonction hétérosexuelle pour les homos et la dysphorie de genre pour les trans. Des "maladies" à propos desquelles on développe les mêmes théories, citons le taux d'hormones durant la grossesse, le complexe d’Œdipe, le père ou la mère absent, etc. Autre point commun, les mêmes tentatives pour nous "guérir" : les électrochocs, les injections d'hormones, les thérapies, etc. Même le vocabulaire nous lie : le troisième sexe, des "personnes nées dans le mauvais corps", les "erreurs de la nature", etc. Trans, pédés, gouines, nous ne correspondons pas aux attentes de la "société hétéro-normative". Nous n’avons plus à faire de concessions, par exemple en acceptant une loi qui entretiendrait le principe d’une "pathologisation" acceptable. Je pense que c'est vraiment une très mauvaise tactique, d’autant qu’elle envoie comme message aux politiques, aux médias, mais aussi à nos frères et sœurs trans et à nous-mêmes que, par certains aspects, nous nous considérons comme des "malades mentaux".

Selon vous, ce type de combat doit-il être mené pays par pays ou plutôt sur un plan international ?
Les deux. Pour ma part, je pense que l'étincelle a eu lieu en France avec le GAT, groupe d'activistes trans créé en 2001 [il a cessé ses activités en 2006, ndlr]. Ils étaient seulement quatre et furent, à ma connaissance, les premiers à comprendre l'impact de la pathologisation et à parler de dépathologisation. Puis, il y a eu STP 2012 [Stop Trans Pathologization 2012, une campagne pour la dépathologisation des identités trans, ndlr] qui a internationalisé le sujet. Les contacts entre activistes au niveau international sont réellement très importants pour connaitre la situation particulière à chaque pays, leur histoire LBGTI… ce qui peut nous aider à ne pas commettre les mêmes erreurs que nos voisines et voisins et à reprendre les actions qui ont bien fonctionné dans ces pays. Cela permet aussi de pouvoir débattre et avancer ensemble et notamment de mener ensemble des actions au niveau international. C’est important qu’il y ait un réseau international d’activistes pour soutenir celles et ceux qui militent dans des pays où il est dangereux de le faire… Je pense à l’assassinat de Gisberta, trans, travailleuse du sexe, sans-papiers, séropositive, au Portugal. Dans de nombreux pays, des activistes ont organisé des actions de protestation devant les ambassades portugaises.

Désormais l’Argentine est le pays leader en matière de droits des trans. Pour autant, y a-t-il encore des droits, avancées… à gagner pour les trans dans ce pays ?
Il ne faut pas se leurrer, si le mariage gay est acquis, l'homophobie ne disparait pas ! De même pour la transphobie. Il faut revendiquer pour les trans le droit à des chirurgies correctes. Il ne faut pas oublier que si les trans obtiennent des papiers d’identité conformes, certains et certaines resteront toujours physiquement visibles sans l'avoir voulu… Pour ces personnes, la violence reste quotidienne. Une étude concernant les femmes trans réalisée en 2006 par le ministère de la Santé argentin et l’organisation panaméricaine de la santé indiquait que 75 % de ces femmes vivaient de la prostitution et exerçaient dans la rue, 25 % travaillaient dans des ateliers de couture ou comme coiffeuses. 50 % de ces travailleuses du sexe avaient commencé cette activité entre 15 et 19 ans. 86 % des travailleuses du sexe ont été détenues au moins une fois ; 81 % ont déclaré avoir souffert de maltraitances policières (des insultes dans les lieux publics aux détentions illégales). De plus, 95 % déclarent que la manière la plus facile de ne pas avoir de problèmes en tant que trans et travailleuses du sexe est de donner un "petit pourboire". La prévalence du VIH sida était de 34,47 %. Cette loi est un progrès, mais la violence policière ainsi que carcérale dont sont victimes les trans, le non-accès aux médicaments pour les personnes séropositives en détention, la forte prévalence du VIH/sida, les problèmes de chaque jour face au corps médical (obtenir des soins "basiques" sans discriminations quand on a un corps trans) ne vont pas brusquement disparaitre. Il faut attendre encore un peu pour voir les résultats pratiques au niveau de l’accès aux traitements hormonaux. Par exemple, dans la province de Buenos Aires, ils sont en vente libre, mais à des prix élevés donc peu accessibles à la majorité des personnes. Dans d’autres provinces, il faut une prescription pour les obtenir…  Par ailleurs, il est temps de se pencher sur ce qu'est la transphobie du coté des trans masculins. Peu d'études les prennent en compte ; beaucoup restent encore invisibles. OUI ! Il y a encore beaucoup de travail à accomplir !

Propos recueillis par Fred Bladou et Jean-François Laforgerie
Remerciements à Gabriel Girard

Identité de genre : que dit la loi argentine ?
Sans entrer dans le détail de la loi désormais en vigueur en Argentine, on peut dire qu’elle autorise les citoyens argentins (de 18 ans et plus) à déclarer le sexe de leur choix, et ainsi de changer d'état civil selon leur volonté et cela sans nécessiter l'accord d'un médecin ou d'un juge. Les mineurs pourront aussi demander ce changement d'état civil, mais à condition qu'un parent ou un tuteur légal soit d'accord. Autrement dit, l'identité de genre ne dépend plus que du "vécu intérieur et individuel du genre, tel que la personne le perçoit elle-même" et le choisit. "Toute personne peut demander un changement de sexe, de prénom et d'image, à partir du moment où ils ne correspondent pas au genre de cette personne, tel qu'elle le perçoit", précise la loi argentine. Aucun changement physique (opération chirurgicale, prise d'hormones ou traitement médical) n’est donc requis pour changer  d'état civil. Pour effectuer ce changement, la personne se rend au Registre national des personnes avec sa simple demande

Une rencontre lesbi trans inter féministe à Asunción
Outre son festival, Stéphane participe également à l'organisation de la Rencontre annuelle féministe d'Amérique Latine et Caraïbes. Pour la première fois, celle-ci organise une rencontre "Lesbi trans inter féministe". Pour Stéphane : "C’est un pas historique en Amérique Latine pour l'alliance entre les mouvements féministes et LBTI". La présence des trans et des intersexes durant ces rencontres a été mise au vote, ce qui a suscité beaucoup de violences transphobes. Quoi qu’il en soit, la jonction est faite. Cette rencontre se tiendra du 2 au 4 novembre 2012 à Asunción au Paraguay.