VIH : le poids des maux

Publié par Mathieu Brancourt et Bruno Spire le 08.03.2019
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ConférencesCroi 2019

L’enjeu de la qualité de vie n’a jamais été si prégnant dans la recherche sur le VIH. Les scientifiques ne peuvent plus ignorer les interactions sur la santé globale que peuvent avoir les traitements. Les sessions abordant ces questions, pas si périphériques, enrichissent beaucoup les autres présentations sur les nouveaux traitements, qui doivent prendre en compte les multiples interactions et le défi de la tolérance de façon très large.

Dans les années 80, l’enjeu du VIH portait sur la cachexie, un affaiblissement et amaigrissement profond de l’organisme. Puis les années 90 et l’arrivée des premiers traitements ont vu naitre la question des lipodystrophies, ces variations de répartition des graisses dans l’organisme, qui impactaient grandement la silhouette. Les années 2000, avec l’émergence des traitements efficaces et donc d’une espérance de vie, la question de l’obésité, déjà présente dans d’autres aspects de la santé publique, a commencé à poindre dans le milieu du VIH. La recherche a d’ores et déjà établi qu’il y a plusieurs causes à la prise de poids : l’environnement qui est « obésitogène » pour tous-tes, le retour à une prise en charge normale, qui ne prend pas en compte l’enjeu du poids, mais aussi le rôle potentiel de certains médicaments antirétroviraux dans un gain de masse graisseuse. La question a été abordée dans deux sessions spécifiques de la Croi, cette semaine. Car dans une perspective de qualité de la vie, au long cours, le surpoids pose des problèmes majeurs, comme le diabète ou les maladies cardio-vasculaires. La classe des anti-intégrases est suspectée de faire prendre du poids, notamment le dolutégravir, mais les études n’avaient pas bien assis jusqu’à présent ce lien de causalité. Chez les personnes séronégatives d’ailleurs, la prise d’un antirétroviral en usage préventif n’est pas associée à une prise de poids : le cabotégravir ne serait pas associé à un gain dans des essais de Prep. Mais quelques résultats présentés à Seattle sont intéressants à décrypter.

L’obésité chez des PVVIH traitées par ARV

L’obésité est définie par un indice de masse corporelle de plus de 30 (le surpoids correspond à plus de 25). Il y a deux milliards de personnes obèses dans le monde. Et l’IMC augmente d’autant plus vite chez les personnes vivant avec le VIH, après mise sous traitement. C’est dans les trois premières années du traitement que 80 % des personnes vivant avec le VIH voient leur poids augmenter, le quart d’entre elles passe en surpoids et parmi elles 20 % deviennent obèses. Il y a les facteurs de l’environnement, comme pour les séronégatifs, mais aussi des facteurs spécifiques du VIH : l’arrêt du tabac conseillé, l’assistance nutritionnelle et les traitements. L’obésité est associée à un risque accru de pathologies cardiovasculaires et de diabète. Il y a corrélation entre les épidémies de VIH ; d’obésité et de pauvreté. Il est difficile de démêler les facteurs physiopathologiques du VIH (rôle de l’inflammation, du traitement, du microbiote déréglé) et les facteurs psycho-socio-environnementaux. Un IMC de 30 ou plus est associé à un risque cinq fois plus élevé de diabète chez les personnes vivant avec le VIH et seulement de trois fois plus dans la population générale. Le VIH semble faciliter le dépôt d’acide gras dans les tissus et facilite la production de lipides par le foie. L’obésité est associée à des taux plus élevés des cytokines inflammatoires. Les molécules anti-intégrases semblent associées à des prises de poids plus importantes chez des personnes initiant un premier traitement qu’avec les anti-protéases. Le dolutégravir est celui qui a le plus d’impact sur la prise de poids. Cependant, tous les changements de traitement semblent associés, dans une étude du Sud des États-Unis, à une prise de poids, quelles que soient les classes d’antirétroviraux. Il y a encore besoin d’études prospectives pour mieux comprendre le lien entre anti-intégrases et prise de poids. La physiopathologie doit être étudiée : les anti-intégrases pourraient stimuler l’appétit au niveau du système nerveux central ? Ou ils pourraient être si efficaces que l’organisme a moins besoin de calories pour combattre la réplication virale résiduelle et donc faciliterait l’excès alimentaire.

Switch pour un anti-intégrase

Une analyse rétrospective a étudié la prise de poids chez les personnes en charge virale indétectable qui changeaient leur traitement actuel pour un composé d’anti-intégrases. D’après l’étude, la prise de poids est plus importante après le switch que dans les années qui précèdent le changement : près de un kilo par année pour le dolutégravir et 0,5 kg/an pour l’elvitégravir.

PVVIH sous anti-intégrases et autres traitements

Une autre étude, sur plus de 24 000 personnes nord-américaines, a voulu étudier l’impact des traitements sur le poids. Toutes les personnes prennent du poids en cinq ans après l’initiation du traitement, mais la prise de poids la plus forte est avec les anti-intégrases (+6 kg), suivis des anti-protéases (+5,1 kg)  puis des non nucléosidiques (+4,3 kg). C’est le dolutégravir et le raltégravir qui font prendre le plus de poids comparés à l’elvitégravir.

Prise de poids chez des femmes traitées

Une autre étude a recherché les personnes ayant pris plus de 3 % de poids supplémentaire après un changement de traitement. Au final, ces dernières représentent 30 % des personnes incluses dans cette étude. Mais au-delà du traitement, les co-facteurs sont nombreux. La prise de poids est plus fréquente chez les personnes ayant des troubles psychiatriques ou chez les femmes. Elle est moins fréquente chez les personnes qui avaient des anti-protéases. Une autre étude s’est intéressée aux femmes changeant de traitement pour un anti-intégrase, réputées pour leur rôle dans la prise de poids. Celles qui changent rapportent qu’elles prennent plus de poids, que leur IMC augmente et leur tour de taille aussi, sans parler d’autres effets liés au surpoids, comme la hausse de la pression artérielle.

Identifier les PVVIH pour faire reculer la mortalité

La mortalité est la plus importante chez les personnes qui arrivent tard au soin, soit parce qu’elles sont dépistées tardivement, soit par ce qu’elles ne sont pas rentrées suffisamment tôt dans le traitement. L’étude Search au Kenya et en Ouganda a étudié l’impact sur les soins et la mortalité d’un bon de paiement pour du transport et un accompagnement en plus du dépistage, sur l’orientation de personnes ayant moins de 350 CD4. La mortalité est 28 % plus basse dans les régions qui ont bénéficié de cette intervention par rapport à celles qui n’ont bénéficié que du dépistage classique. Les hommes sont plus souvent retrouvés parmi les personnes arrivant tard au soin, mais l’intervention est aussi efficace chez les hommes que chez les femmes.

Bithérapie cabotégravir + rilpivirine efficace en maintien

Ces deux molécules existent sous forme de comprimé et aussi sous formes d’injection retard (pour une action prolongée), une fois par mois. L’étude Atlas a réparti 616 personnes avec une charge virale indétectable, soit qui restaient sous leur trithérapie classique ou qui prenaient alors une bithérapie de traitement retard, injectable en intramusculaire chaque mois. Le traitement sous injection retard fonctionne aussi bien que le traitement classique, en termes d’efficacité sur la charge virale (93 % versus 96 % de charge virale indétectable). Trois personnes seulement ont été en échec dans le groupe avec injections retard : pour elles, les médicaments étaient apparemment sous-dosés. Il y a eu quatre échecs dans le groupe qui a continué la trithérapie classique par voie orale. Mais il y a eu moins d’effets indésirables rapportés dans le groupe qui a reçu la bithérapie injectable. Le principal effet indésirable s’avère être la douleur au point d’injection. Les personnes sont également plus satisfaites de leur traitement dans le groupe qui a reçu cette combinaison injectable, pionnière des traitements en long acting.

Bithérapie injectable (cabotégravir + rilpivirine)

Dans cette étude, qui s’intéresse à la même combinaison que la précédente, les 809 personnes vivant avec le VIH étaient naïves de traitement. Elles ont d’abord initié une trithérapie classique (Triumeq en un comprimé par jour, pendant 20 semaines), puis elles ont été réparties, soit vers une bithérapie injectable (cabotégravir + rilpivirine), soit la même bithérapie, mais par voie orale. La stratégie injectable est ici non-inférieure (1,4 % versus 1,1 % d’échec). Les effets indésirables étaient fréquents, mais peu graves. Les réactions (inflammation, douleur) au point d’injection sont plus fréquentes au début, mais ne durent pas plus de sept jours, ce qui n’est pas négligeable. Dans cette étude, la satisfaction  envers le traitement proposé est également meilleure dans le groupe recevant le traitement injectable.

Un nouvel inhibiteur de capside prometteur

Il s’agit d’un inhibiteur de la formation de la capside GS-6207, dont nous avions déjà parlé dans une précédente édition de la Croi. Les inhibiteurs de capsides représentent une nouvelle classe d’antirétroviraux, qui agit au niveau de l’assemblage du virus lors des étapes tardives du cycle viral. Cet inhibiteur pourrait se donner sous forme injectable, pour un effet prolongé. Il est, en effet, dix fois plus puissant que les antirétroviraux actuels. Il semble actif et efficace contre de nombreuses souches de VIH, y compris celles déjà résistantes à d’autres classes d’antirétroviraux. Des essais de dosages différents, chez quelques volontaires séronégatifs, ont montré l’absence de toxicité et une longue durée de vie du médicament après injection. On retrouve du médicament jusqu’à 24 semaines au moins après une seule injection, quelles que soient les doses testées. Le taux de médicament mesuré à douze semaines semble efficace pour inhiber la réplication virale ; des essais à plus grande échelle sur l’humain doivent commencer bientôt, selon les chercheurs-euses financés-es par le laboratoire Gilead.

Inhibiteur de la maturation du virus GS2938232

Il s’agit également d’une nouvelle classe d’antirétroviraux, qui inhibe les étapes tardives du cycle viral. Cet inhibiteur a été étudié chez quelques personnes avec le cobicistat car le médicament nécessite un booster, qui pose des problèmes d’interactions médicamenteuses. Administré d’abord à 100 mg pendant dix jours, il est ensuite administré à 20, 50, 100 ou 200 mg. Cela à chaque fois avec 150 mg de cobicistat. La charge virale baisse à partir de la dose de 20 mg, mais l’efficacité ne se fait vraiment sentir qu’à partir de 50 mg. Peu d’effets indésirables notables selon les premiers résultats. Des essais cliniques d’efficacité sur un plus grand nombre de personnes vont devoir démarrer.

Un anticorps monoclonal comme traitement PGT121

C’est un anticorps monoclonal neutralisant (fabriqué afin de reproduire en grand nombre un anticorps spécifique contre le virus), très puissant in vitro, qui a été essayé comme traitement chez quelques personnes par voie intraveineuse ou sous-cutanée. Il s’agit surtout, pour cette première étude chez l’homme, de tester la tolérance et la persistance de cet anticorps dans l’organisme. Il y a eu très peu d’effets indésirables. La demi-vie (la durée où la moitié de la dose initiale persiste encore) de l’anticorps est de 23 jours. La charge virale se divise par cent, chez cinq des neuf personnes étudiées, ce qui est étonnant. Quand l’anticorps disparait après quelques jours, la charge virale remonte, mais sans présenter de résistances. Deux personnes ont eu une charge virale indétectable pendant plus de six mois. Plus d’études sont nécessaires pour connaitre le devenir réel de ce type d’approche.