De Grindr... Au Vatican

Publié par jl06 le 28.05.2019
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« Au Vatican, les prêtres draguent activement – comme tout le monde »

Frédéric Martel, l'auteur de « Sodoma » qui a révélé l'ampleur de l'homosexualité dans l'Église, répond à ses critiques et fustige l'hypocrisie des vaticanistes.

Par Frédéric Martel - Publié le 28/05/2019 à 14:49 | Le Point.fr
 
Frederic Martel.

 

Frédéric Martel.
© Leonardo Cendamo/Leemage

C'est un best-seller explosif auquel Le Point avait consacré sa couverture en février. Révélant l'ampleur de l'homosexualité au sein de l'Église catholique et l'hypocrisie du Vatican sur la question, Sodoma (Robert Laffont) s'est déjà vendu à plus de 300 000 exemplaires dans le monde. L'enquête de Frédéric Martel a globalement été bien reçue chez les fidèles. Il a aussi prouvé qu'en France on pouvait critiquer toutes les religions. Plusieurs ambassadeurs ont ainsi convié l'auteur – y compris dans les pays arabes –, car c'est pour eux un bon argument pour montrer que notre pays traite toutes les religions à égalité. Mais Frédéric Martel s'est aussi vu opposer des critiques sur les origines du projet, les sources du livre, le style parfois fleuri ou la question des abus sexuels. Il y a répondu dans un texte incisif que publie Le Point en n'oubliant toutefois pas les lecteurs qui lui adressent chaque jour des messages de soutien, « souvent pour (lui) raconter leur vie cabossée de prêtre gay ou leur existence de catholique culpabilisé par l'Église ». « Des lettres souvent bouleversantes qui me touchent profondément. Je leur dédie cet article. » Voici sa réponse en six points, dans laquelle il défend son approche et fustige une majorité de vaticanistes.

À l'origine de Sodoma

La question qui, pour commencer, me paraît la plus importante est celle-ci : pourquoi un tel livre n'a-t-il jamais été écrit et publié  ? Certains historiens ont traité la question homosexuelle dans l'Église, au premier rang desquels le célèbre historien John Boswell avec Christianity, Social Tolerance and Homosexuality. De nombreux autres ouvrages ont été publiés sur le thème de la foi dans ses rapports à l'homosexualité ou sur la vie particulière de prêtres gay (je pense à ceux de Richard Sipe ou de Marco Politi, parmi beaucoup d'autres). Quant à la question des abus sexuels dans l'Église – et bien que ce soit un tout autre sujet –, elle a également été largement traitée.

Mais ces auteurs, aussi méritants soient-ils, se bornaient à décrire des situations singulières ou « irrégulières ». Ils s'attaquaient à des brebis égarées ou dénonçaient des abus, mais ils ne remettaient pas en cause le modèle lui-même. Étude qualitative plus que quantitative, mon livre est différent du leur en cela qu'il se concentre sur le cœur du système. À partir d'une enquête de terrain de quatre années, menée en immersion au Vatican et dans une trentaine de pays – c'est un livre qui incarne à mes yeux une nouvelle forme de « journalisme d'immersion » –, il m'est apparu que l'homosexualité au sein de l'Église était un phénomène structurel, systématique et généralisé.

La rigidité de l'Église sur la morale sexuelle et son homophobie obsessionnelle s'expliquent essentiellement, selon moi, par la sexualité « intrinsèquement désordonnée » de la plupart de ses prélats – voilà ma principale conclusion. Ce qui n'était qu'une hypothèse au départ m'a été confirmé par l'enquête et des centaines de témoignages et, plus récemment, par les innombrables lettres et messages reçus. Ceux qui prêchent l'abstinence avant le mariage, refusent le divorce, interdisent l'homosexualité et culpabilisent les croyants pour leurs mœurs sont en fait les plus hypocrites. Ils pratiquent en secret ce qu'ils dénoncent en public.

En répondant à cette question de savoir pourquoi ce livre n'avait jamais été écrit, je crois donc qu'on fait tomber déjà les principales critiques adressées à mon livre. Le prêtre bénédictin italien Luigi Gioia souligne dans sa recension de l'ouvrage que toutes les tentatives précédentes de mettre à jour l'homosexualisation du clergé ont échoué faute de preuves. On s'est toujours limité à pointer du doigt quelques individus, à les « outer », faute de pouvoir analyser le système d'ensemble.

La réalité de la double vie généralisée du Vatican ne doit plus être dissimulée, car – et la plupart de mes critiques semblent étrangement ignorer ce point capital – l'homosexualité n'est plus désormais ni un crime ni un délit ! Elle est un fait de société et la mise à jour de cette explication sociologique centrale du fonctionnement de l'Église n'a rien de honteux ni de scandaleux. C'est une vérité de fait. À mes yeux, on ne peut rien comprendre au Vatican sans la clé de lecture homosexuelle, comme le pape François nous l'a d'ailleurs suggéré. Ceux qui prétendent parler de l'Église catholique en négligeant sa dimension intrinsèquement homosexuelle sont condamnés à se tromper durablement dans leur analyse. Je les plains sincèrement, car ils continueront longtemps à être aveugles sur les causes profondes des scandales et à aller de désillusion en désillusion.

Un tel livre ne pouvait donc pas être l'œuvre d'un simple vaticaniste : si un de ceux-là s'y était risqué, il aurait perdu son « job ». Un Italien aurait eu, lui aussi, des problèmes avec son éditeur ou son patron de presse, tant le sujet reste tabou en Italie. Un hétérosexuel n'aurait pas disposé des codes ni de réseaux pour mener à bien son enquête. Voilà pourquoi ce livre est écrit par un Français, non vaticaniste et qui n'est pas catholique. Il fallait donc qu'il soit signé par un « outsider » de l'Église (comme le rappelle Brian Flanagan dans son article) – mais pas un outsider de la question homosexuelle.

Faut-il oublier aussi – je l'ai répété plusieurs fois dans le livre et dans de nombreuses interviews – que le fait qu'un cardinal, un évêque ou un prêtre soit activement gay ne me pose, personnellement, aucun problème. Je pense même que cette réalité devrait être reconnue par l'Église tant elle est générale et qu'elle devrait être une option de vie des prêtres, parmi d'autres, puisque c'est déjà si massivement le cas. Et que l'homosexualité est légale en droit (ce qui importe bien plus dans une démocratie que ce que pense l'Église)  !

Souvent les critiques les plus sévères à mon égard sont d'ailleurs des prêtres gay ou des vaticanistes homosexuels qui, à force de déni et de double vie, se sont persuadés depuis si longtemps qu'il valait mieux préserver le secret d'ensemble du système par crainte que leur propre vie privée soit dévoilée. Je comprends sincèrement leur état d'esprit. Dans leur malheur, ils ont trouvé une certaine stabilité qu'ils redoutent de perdre. Ainsi s'expliquent, pour une part, les réactions à mon livre, mais aussi, et pour les mêmes raisons, les attaques virulentes contre le pape François. Lui aussi a compris « le » secret et croit à la nécessité de changer les règles du jeu.

Des ragots  ?

Si je me suis lancé dans ce projet, moi qui n'étais ni italien, ni vaticaniste, ni même croyant, c'est d'abord parce que j'ai eu accès au Vatican, dès le début de mon enquête, à des sources fiables, récurrentes, concordantes, qui, toutes, pointaient dans la même direction. Une somme de « signaux faibles » qui m'ont permis, à partir d'hypothèses innovantes, de changer entièrement la manière d'approcher et de comprendre l'histoire récente de l'Église.

Au regard du nombre et de la récurrence de ces sources, il faut être de bien mauvaise foi pour affirmer que ce livre ne reposerait que sur des insinuations, voire des ragots. Et d'ailleurs, comment comprendre, sinon, l'impact qu'il a eu à travers le monde dans des dizaines de pays  ? Si l'analyse était fausse, pourquoi le livre a-t-il été une déflagration d'une ampleur aussi inédite au sein de l'Église ? Pourquoi a-t-il changé, à ce point, les termes du débat dans les médias du monde entier  ? Pourquoi, sinon parce qu'il vient confirmer ce que tous les témoins, tous les vaticanistes et toutes les personnes suffisamment informées savaient.

Le livre, en réalité, ne repose pas sur une seule rumeur, pas une seule insinuation ni « innuendo », pas sur un seul ragot. J'ai publié plus de 300 pages de sources en ligne, incluant plus de 2 000 documents d'archives, rapports de police ou de justice, articles de presse dûment cités et la liste des ouvrages consultés. Le moindre fait présenté dansSodoma est corroboré par des notes – parfois, un fait peut avoir jusqu'à 50 sources en référence – et c'est une méthode éditoriale moderne que de publier en ligne ses sources afin d'avoir suffisamment d'espaces pour les détailler.

Ainsi, j'utilise dans l'ouvrage d'innombrables documents inédits de grande fiabilité : par exemple, sur la guerre menée par le Vatican contre la dépénalisation de l'homosexualité à l'ONU ou le rejet des unions civiles, je me nourris de plus d'une centaine de télégrammes diplomatiques confidentiels dont je détiens une copie, sans les avoir publiés – ce qui serait illégal –, pour m'en servir constamment. Je pourrais les produire en cas de contestation ou de droit de réponse.

De même, j'ai consulté d'innombrables documents judiciaires provenant des audiences et longues investigations des policiers issus des minutes de milliers de procès pour abus sexuels. Par exemple, le procès du cardinal Barbarin en France, celui des affaires chiliennes, bostoniennes et irlandaises, celui du cardinal Pell en Australie : dans certains documents judiciaires que m'ont fournis les avocats des victimes apparaissent des indications sur l'homosexualité des prélats et des cardinaux qui ont couvert ces abus. En général, je ne cite pas ces documents directement dans le texte afin de ne pas « outer » des cardinaux vivants, mais je dispose de ces informations fiables qui me permettent d'écrire mon texte avec beaucoup de précisions.

En Italie, je me suis servi également des minutes de plusieurs procès déterminants comme ceux de Mgr Cesare Burgazzi, du laïc de la Conférence épiscopale italienne Dino Boffo ou encore du prêtre aventurier Francesco Camaldo. (C'est à partir de sources policières et judiciaires que je peux également raconter les affaires de prostitution des cardinaux La Mongolfiera et Platinette, dans l'entourage immédiat de Jean-Paul II, à partir d'enregistrements téléphoniques effectués par la police italienne.)

J'ai pu écrire les chapitres sur le Chili, la Colombie ou l'Argentine grâce à un autre type de sources primaires : les archives déclassifiées du département d'État américain. En effet, du fait du soutien apporté par les États-Unis à certaines dictatures latino-américaines, et en premier lieu au général Pinochet, des dizaines de milliers de documents officiels ont été récemment déclassifiés. Des informations sensibles de Sodomaproviennent de ces dizaines de milliers de sources publiques que nous avons lues minutieusement.

En France, certains critiques du livre se sont focalisés sur le cas du philosophe Jacques Maritain. On connaît l'influence considérable de ce penseur français sur le catholicisme en général et sur Vatican II en particulier. J'évoque à son sujet un « code » fondé sur l'homophilie, ou le concept d'« amour-amitié », dont bon nombre de cardinaux se seraient servis pour dissimuler leur mode de vie. Homophile sublimé ou réprimé, Maritain s'est marié, mais il a passé un pacte secret de chasteté avec sa femme, resté longtemps secret. Ils n'ont pas eu d'enfants. Je n'ai jamais pensé que leur relation ne reposait pas sur un amour sincère et profond. Toutefois, la question de l'homosexualité se pose au sujet de Maritain. Un maître de conférences, Florian Michel, m'accuse d'avoir attenté à la mémoire du philosophe Maritain en le créditant d'homophile – comme si l'homosexualité était encore un délit ! Il me fait grief de ne pas intégrer les sources les plus récentes (alors qu'elles figurent pourtant dans ma bibliographie, ainsi que des sources inédites !). Au prix d'erreurs factuelles graves, de contre-vérités, et en s'appuyant sur un article d'un doctorant qui n'a pas encore soutenu sa thèse, Florian Michel nie avec la plus grande véhémence l'homosexualité de Maritain – sans aucune preuve bien évidemment (il nie également l'aventurisme sexuel et l'homosexualité active de Julien Green, un débat qui sera clos définitivement cet automne avec la publication du Journal intégral de Green, non censuré, dans la collection Bouquins).

Sur le cas Maritain, ces spécialistes auto-désignés oublient juste de rappeler la correspondance inédite de Maritain, que je cite : elle compte plus de 175 lettres d'amour avec son jeune amoureux de l'époque, Ernest Psichari (l'homosexualité active de ce dernier est établie de manière certaine). En voici des extraits qui donnent un sentiment de vertige : « Je sens que nos deux inconnus se pénètrent doucement, timidement, lentement », écrit Maritain ; « Ernest, tu es mon ami. Toi seul » ; « Tes yeux sont des phares splendescents (sic). Tes cheveux sont une forêt vierge, pleine de chuchotements et de baisers » ; « Je t'aime, je vis, je pense à toi » ; « C'est en toi, en toi seul que je vis » ; « Tu es l'Apollon (…). Veux-tu partir avec moi vers l'Orient, là-bas, dans l'Inde  ? Nous serons seuls dans un désert » ; « Je t'aime, je t'embrasse » ; « Tes lettres, mon bijou, me font un plaisir infini et je les relis sans cesse. Je suis amoureux de chacune de tes lettres, de tes a, de tes d, de tes n et de tes r ».

La biographie définitive de Maritain, signée par Jean-Luc Barré, ne laisse guère de doute, elle non plus, sur les inclinations du philosophe et son obsession irrationnelle pour le sujet, même s'il a pu rester chaste, comme je l'ai rappelé, après sa grande passion amoureuse avec Psichiari. L'homosexualité n'étant plus aujourd'hui un délit ou un crime, en quoi cette révélation sur la vie intime de Maritain constituerait-elle un scandale, une honte ou une insulte à sa mémoire ? En rejoignant ainsi la longue liste des écrivains homosexuels – d'André Gide à François Mauriac, en passant par Julien Green, Jean Cocteau, Raymond Radiguet ou Maurice Sachs, avec lesquels il correspondait en s'intéressant obsessionnellement à l'homosexualité –, Maritain gagne en humanité. Sa vie intime s'éclaire d'un nouveau jour. La volonté de nier cette réalité s'inscrit dans une démarche qui est, en fait, à mes yeux, intrinsèquement homophobe. (Je n'ai pas utilisé dans mon livre les témoignages que j'ai reçus de deux personnes qui ont été activement draguées par Maritain, dont l'une qui a été « caressée par lui » à son insu, car ceux-ci me paraissaient trop évasifs et datés, mais il serait possible de les produire, le cas échéant.)

Une autre source déterminante de Sodoma provient, bien sûr, des témoignages des cardinaux et des prélats. J'ai interviewé plus de 1 500 personnes sur le terrain dans une trentaine de pays, dont 41 cardinaux, 52 évêques et monsignori, 45 nonces apostoliques et ambassadeurs étrangers, et plus de 200 prêtres et séminaristes. Tous ces entretiens ont eu lieu en face à face (aucun par téléphone ni e-mail) et la plupart ont été enregistrés ou se sont déroulés en présence d'un de mes collaborateurs (j'ai travaillé avec près de 80 « researchers », traducteurs, fixeurs, dont les noms figurent dans le livre ainsi qu'en ligne). Depuis quand un témoignage enregistré, fait devant un témoin, ne pourrait-il pas être considéré comme une source fiable  ? Précisons ici que je n'ai reçu aucun droit de réponse d'un quelconque cardinal ou évêque : le seul démenti indirect et évasif émane du cardinal Gerhard Müller qui a laissé entendre, dans un bref entretien au site ultraconservateur américain lifesitenews, que j'étais venu le voir une seule fois quelques minutes sous un faux prétexte, à savoir mon souci de retrouver la foi à ses côtés ! Le cardinal allemand Müller ment ici de manière éhontée et cela est facile à prouver : j'ai eu deux longs entretiens avec lui, enregistrés, confirmés par écrit par son secrétariat, dans lequel ma condition de journaliste et d'écrivain était explicitement mentionnée ; en outre, il a lui-même confirmé ses citations par un email, après les avoir relues ! Si un cardinal peut mentir aussi bêtement, ne doit-on pas craindre qu'il mente sur bien d'autres éléments de sa vie privée, quels qu'ils soient, ou sur les abus sexuels qu'il a eu à connaître ? Je suis stupéfait par le caractère grossier d'un démenti aussi grotesque et sur le peu de prix qu'un cardinal de la curie romaine accorde à des vérités de faits aussi banales. Eh non, je suis athée et je n'ai jamais eu l'intention de retrouver la foi, surtout pas avec un rigide homophobe super-menteur comme l'ultraconservateur cardinal Müller !

J'aimerais conclure cette question des « sources » en défendant ici un système d'investigation fondée sur l'intuition et l'expérience personnelle que j'appelle le « gaydar ». L'usage de cette méthode d'enquête a pu susciter une certaine ironie chez des hétérosexuels qui ne connaissent rien ni à l'homosexualité ni à l'Église. J'admets, bien volontiers, le manque de scientificité d'un tel « gaydar », mais je le défends pour sa fiabilité réelle, ce qu'un hétérosexuel non initié ne pourra jamais comprendre. En outre, je n'ai jamais prétendu écrire un livre académique : Sodoma est une enquête journalistique sérieuse et mon « gaydar », un outil pour me permettre de comprendre l'homosexualité au Vatican. Car, lorsque l'on est en présence d'un cardinal gay, à la manière dont nous échangeons, dont il me regarde, dont j'épie ses mouvements et ses gestes, je peux savoir sans trop me tromper s'il est homosexuel ou pas  ! Et, après tout, mon « gaydar » a plutôt bien fonctionné puisqu'il m'a permis d'identifier des prélats homosexuels (tel l'ambassadeur du pape à Paris, Mgr Luigi Ventura) avant que leur homosexualité ne soit révélée à l'occasion de certains scandales récents. Et si je laisse entendre, par exemple, que deux célèbres cardinaux français de Jean-Paul II étaient activement homosexuels, c'est que je suis certain de moi compte tenu de mes relations avec eux (je connais le nom de plusieurs des amants du premier et je dispose d'un témoignage de première main d'un jeune militant catholique qui a été dragué activement et explicitement, à plusieurs reprises, par le second).

On peut bien sûr discuter de telle source, de tel fait ou de telle interprétation. Mais je suis certain à 100 % de ma grille de lecture et de mes analyses d'ensemble sur la nature structurellement homosexualisée de l'Église.

Grindr et SMS

Pour un journaliste et un écrivain, le numérique est un changement considérable dans la manière d'enquêter et de travailler. Lorsque j'évoque la prostitution dans les résidences du Vatican, je dispose de plusieurs vidéos explicites où l'on voit les escorts y entrer avec leur client (mais bien sûr, je ne révèle pas les noms des monsignori concernés, qui se seront néanmoins probablement reconnus). Lorsque j'évoque l'homosexualité de tel archevêque ou tel maître de cérémonie, je dispose de dizaines de messages WhatsApp de drague explicite de sa part… Un cardinal de langue allemande m'a dragué en allant jusqu'à poser sa main sur ma cuisse : c'était audacieux, mais inoffensif, je n'ai pas été abusé par lui ; mais, pour moi, il s'agit à tout le moins d'une preuve… Un archevêque français m'a, à plusieurs reprises, touché les parties intimes ; je l'ai repoussé sagement, car je suis adulte et je sais me défendre, mais c'est encore une preuve que je crois assez explicite. L'une des figures les plus connues parmi les proches assistants d'un des deux derniers papes m'a également proposé à plusieurs reprises par SMS de le rejoindre sous la douche ! J'ai conservé de nombreuses preuves de ce type, par-devers moi, sans les citer. Aurait-on préféré que je « oute » leurs auteurs ? Qu'aurait-on dit si j'avais décrit ces scènes et mentionné les noms ? Je préfère ici que l'on me reproche de m'en être tenu à des « insinuations » plutôt que d'avoir livré mes preuves.

Beaucoup d'éléments irréfutables m'ont été également fournis par des techniques numériques nouvelles. Comme Grindr pour mesurer l'intensité de la drague homosexuelle à l'intérieur du Vatican : il nous a suffi de deux smartphones positionnés des deux côtés du petit État catholique pour identifier, avec une marge d'erreur extrêmement faible, la localisation et le nombre de gays. Via les comptes Facebook, Google+ ou LinkedIn de certains évêques et prêtres, qui, le plus souvent, connaissent mal les règles de confidentialité de ces réseaux sociaux et laissent visible leur liste d'amis, j'ai été en mesure de déterminer leur mode de vie. Il suffit ainsi de scruter leur compte public à partir de celui d'un homosexuel bien introduit dans la communauté gay de Rome pour déterminer à partir des « amis en commun », avec une quasi-certitude, si le prêtre est gay ou pas. Sans qu'une « timeline » contienne le moindre message homosexuel, le fonctionnement de Facebook les trahit presque automatiquement.

Sur Twitter, Instagram, Google+ ou LinkedIn, on peut faire le même type de recherche tout à fait légalement. Grâce à des outils professionnels comme Brandwatch, KB Crawl ou Maltego, on peut analyser l'ensemble des contenus « sociaux » d'un prêtre, ses amis, les infos qu'il a aimées, partagées ou postées, et même voir apparaître ses différents comptes liés (parfois sous des identités différentes). J'ai utilisé ce type de logiciel très performant qui permet de créer des arborescences générales et des graphes de toutes les interactions d'une personne sur les réseaux sociaux à partir des informations publiques qu'elle laisse sur le Web. Le résultat est impressionnant : le profil complet de la personne émerge à partir des milliers de données qu'elle a communiquées elle-même sur les réseaux, sans même s'en souvenir. Dans la majorité des cas, si cette personne est homosexuelle, cette information apparaît avec une faible marge d'erreur. Pour échapper à ce type d'outil, il faut avoir à ce point compartimenté sa vie, en utilisant des réseaux séparés et en n'ayant jamais partagé avec ses amis la moindre information personnelle, que c'en est presque impossible. Voilà pourquoi la vie sexuelle de la très grande majorité des prêtres ne pourra plus rester secrète à l'avenir.

Un style trop queeny  ?

Certains critiques m'ont reproché mon style trop « fleuri », trop queenyou mon campy humor ; certains ont décrié mes descriptions catty ou même bitchy ; d'autres encore ont évoqué un exemple de queer studies ; d'autres enfin ont critiqué la nature subversive de ce style. C'est leur droit le plus absolu, mais c'est aussi le mien de choisir mon style. « L'ironie, le ton mélodramique et le style camp ne sont pas incompatibles avec la vérité », explique Brian Flanagan, dans son article, en me défendant.

Depuis quand le style serait-il contradictoire avec le sens  ? Faut-il qu'un livre sur la religion soit écrit avec les euphémismes ringards, le ton morne et l'ennui insupportable qui définit en principe le genre (voir les livres imbitables et réactionnaires de Rod Dreher qui n'ont eu aucun succès à l'étranger, ce qui expliquerait-il sa jalousie à mon égard  ?)  ? Si j'avais à réécrire mon livre, je n'en changerais pas le style : je lui conserverais ses descriptions, ses références à la culture et aux arts, ses citations littéraires et, bien sûr, l'évocation des robes longues cardinalices, les concours de cappa magna ou les dialogues, dignes de soap operas télévisés, murmurés par des cardinaux obsédés par la dissimulation de leur homosexualité. Le Vatican est, à mes yeux, une organisation à dominante gay ; pour la décrire, il est donc naturel d'employer les termes même de la « subculture gay ».

 

 
Le cardinal Raymond Leo Burke. © OSSERVATORE ROMANO / AFP
 
On m'a reproché également d'avoir caricaturé le cardinal américain Raymond Burke : mais c'est lui la caricature ! Je n'ai fait que me conformer au sujet ! Je ne me livre pas à un « trafic de stétéotypes gay », je décris ce que je vois. Raymond Burke est une de ces figures qui dénaturent le catholicisme : une créature efféminée ultra-conservatrice qui critique la féminisation de l'Église et qui est, à mes yeux, profondément risible. Ceux qui le défendent ne servent pas l'Église : ils valorisent le pastiche et le toc. Il n'y a jamais aucune fiction dans mon livre, seulement des faits, aussi ridicules soient-ils ! Ceux qui, pour la même raison, trouvent excessive ma description homo-érotique de la consécration épiscopale de Georg Gänswein par (ils insistent sur le fait que je n'ai pas dû voir beaucoup de cérémonies de ce type, ce qui est vrai) devraient se poser la question : si une telle fête est à la fois si banale et si homo-érotique, n'est-ce pas une preuve de plus que l'Église est largement homosexualisée ?
 
Aux yeux de mes contradicteurs, on ne pourrait donc pas se moquer de l'Église ! On ne peut pas en rire ! Mais je suis français et chez nous, critiquer l'Église est un des principes de la « laïcité » – et fort heureusement un sport national. Nous sommes les enfants de Rabelais, de Voltaire, de Rousseau et de Rimbaud. Critiquer l'Église est, en France, un droit constitutionnel et personne ne peut prétendre nous le retirer.

La question des abus sexuels

Certains critiques m'ont reproché la date de publication de mon livre, paru au moment du sommet sur les abus sexuels. Cette critique est injuste pour trois raisons. Lorsque j'ai débuté mon enquête, il y a presque cinq ans, j'étais loin d'imaginer qu'un tel sommet puisse un jour se tenir. Le livre devait paraître à l'automne 2018 et il a été retardé du fait des nombreuses traductions, sa publication globale simultanée ayant été privilégiée. Sa parution en février 2019 n'avait pas été anticipée. En outre, les scandales sur les abus sexuels dans l'Église sont à ce point fréquents (affaire chilienne, affaire McCarrick, affaire Pell, affaire Barbarin, scandale Vigano) que cette coïncidence avec l'actualité des abus était inévitable quelle que soit la date de parution.

Mais il y a une raison plus grave qui justifie d'avoir publié ce livre lors de ce sommet inédit : je regrette de devoir écrire cela, mais il est clair que mon livre apporte la clé d'explication la plus substantielle et la plus nouvelle à la plupart des affaires d'abus sexuels. Pourquoi ? Il n'y a évidemment aucun lien entre l'homosexualité et les abus sexuels en général. À travers le monde, les études existantes confirment que la majorité de ces affaires ont lieu au sein des familles hétérosexuelles, des écoles ou du monde professionnel « hétérosexuel » ; la plupart des victimes sont des filles ou des femmes. Cela s'explique aisément par le fait qu'il y a, dans des proportions incomparables, plus d'hétérosexuels que d'homosexuels à travers le monde.

Toutefois, dans l'Église catholique, il y a une particularité essentielle que révèlent les statistiques sur les abus sexuels. Selon la conférence des évêques américains ou les résultats de l'enquête Spotlight, entre 80 et 85 % des victimes de prêtres seraient des garçons mineurs ou des hommes majeurs, par exemple des séminaristes. Dans l'Église, la majorité des abus sexuels sont donc bien d'ordre homosexuel. Cela ne veut pas dire, encore une fois, que ces actes sont la conséquence de l'homosexualité. La plupart du temps, les prêtres concernés ont une sexualité particulièrement immature, pathologique, maladive et schizophrénique, une sexualité refoulée, niée, et ils mentent aux autres et parfois se mentent à eux-mêmes. (Dans son étude, malheureusement fondée sur des échantillons trop réduits, l'ancien prêtre et sociologue Richard Sipe montrait que 50 % des prêtres qu'il a interrogés avaient une sexualité active – qu'elle soit hétérosexuelle ou homosexuelle –, 10 % étaient fidèles à leur vœu de chasteté et 40 % étaient immatures et en grande difficulté quant à leur sexualité.)

Mais il y a plus. Au-delà des causes individuelles de ces abus, forcément complexes et multiples, il y a un phénomène collectif – et c'est pourquoi l'Église doit assumer ici sa responsabilité. Des dizaines de milliers de prêtres (5 948 aux États-Unis, 1 880 en Australie, 1 670 en Allemagne, 800 aux Pays-Bas, 500 en Belgique, 250 au Chili, etc.) sont aujourd'hui soupçonnés, accusés ou dénoncés pour de tels actes. Les sociologues savent, depuis l'étude fondatrice de Durkheim sur le suicide, que derrière des comportements individuels massifs et répétés, se cache souvent un phénomène sociologique collectif. Certes, ces prêtres abuseurs sont les premiers responsables et les premiers coupables. Mais ils sont aussi le produit d'un système.

Le mensonge sur la sexualité des prêtres, la dissimulation de l'homosexualité refoulée ou active de la majorité du clergé et le cover up organisé de ces mensonges contribuent à la réplication des abus. Les scandales des pédophiles criminels Marcial Maciel au Mexique ou Fernando Karadima au Chili n'auraient pas pris une telle ampleur si l'Église, qui en a été précocement informée, avait condamné à temps les coupables. Au lieu de quoi, ils ont été protégés pendant plusieurs décennies en connaissance de cause. (Mes révélations sur le rôle général dans ce système de l'assistant particulier de Jean-Paul II, Mgr Stanislaw Dziwisz, et sur celui de l'ancien secrétaire d'État, Mgr Angelo Sodano, sont ici décisives, comme l'ont souligné des dizaines d'articles en Amérique latine.)

L'homosexualité n'a donc pas un lien direct avec les abus sexuels, mais elle explique pour une large part le système de cover up. La grande majorité des cardinaux et des évêques qui ont protégé les prêtres pédophiles sont eux-mêmes homosexuels ; terrorisés par l'idée que leur secret intime puisse être révélé, ils ont eu peur du scandale, de la médiatisation et des procès. Comme de nombreux chercheurs honnêtes l'ont rappelé (Sean Larsen, Timothy Radcliffe, James Alison, Luigi Gioia) cette démonstration est l'un des apports les plus substantiels de mon livre.

Au Vatican, les prêtres draguent activement – comme tout le monde –, ils vivent fréquemment avec un boyfriend et les abus, agressions et chantages sexuels sont monnaie courante (ce scandale interne, au sein du clergé, finira bien par être révélé, lui aussi). L'idée du « loyal celibate priest » avancée par James Martin est assez généralement une fiction ; et il n'est pas surprenant que nombre de vaticanistes ou de prêtres qui ont recensé mon livre contestent, comme Martin, et pour des raisons tout aussi idéologiques, cette réalité. C'est beaucoup d'hypocrisie, car les mêmes, lorsque je les rencontrais off the record, étaient les premiers à me parler d'une homosexualité massivement active au Vatican et à « outer » beaucoup de cardinaux !

Les prêtres gay seraient donc chastes  ! Quel conte de fées  ! J'ai pu constater qu'au Vatican, jésuites, franciscains et dominicains sont bien peu nombreux à rester fidèles à leur vœu de chasteté et je ne les blâme pas pour cela. Des activistes comme Michael Sean Winter ou James Martin (rejoints d'ailleurs par le silencieux Antonio Spadaro, un porte-parole officieux du pape et un propagandiste de ses idées, grand maître de la langue de bois) qui m'ont reproché dans leurs recensions malhonnêtes mes analyses sur la sexualité des prêtres, ne le savent-ils pas ? En fait, ils entretiennent cette fiction pour nourrir leur projet politique dans l'espoir d'obtenir pour ces prêtres, en raison de leur supposée chasteté, une meilleure intégration dans l'Église. Je comprends la logique, mais c'est encore une fois fonder une stratégie politique à la fois sur un mensonge et sur une erreur d'analyse. Eux aussi, faute de remettre en question tout le système, sont dans une impasse. Et les prêtres qu'ils prétendent protéger sont deux fois victimes de ce mensonge : une première fois parce qu'ils sont culpabilisés de ne pas être chastes ; une seconde fois parce qu'ils doivent mentir aux autres et cacher leur si fréquente double-vie.

Bien sûr, il existe des prêtres gay chastes. J'en connais ! Mais il serait honnête de dire qu'ils sont une minorité et que, lorsqu'ils existent, et le sont rarement sur une vie entière, ils demeurent parfois dans des frustrations et des refoulements « intrinsèquement désordonnés ». La source de tous les scandales, c'est la chasteté – pas l'homosexualité ! Des dizaines de prêtres gay m'ont confessé tout cela (de manière générale, les prêtres gay parlaient avec moi assez facilement de leur homosexualité, mais les cardinaux gay me parlaient essentiellement de l'homosexualité des autres…).

Ne serait-il pas temps de reconnaître l'échec général de la chasteté et du célibat des prêtres, qu'ils soient hétérosexuels ou homosexuels ? Ne serait-il pas urgent de rappeler, comme tout le monde le sait désormais, que la chasteté est profondément contre-nature et, souvent, la source de graves problèmes pathologiques ? D'ailleurs, c'est une invention tardive et apocryphe : le Nouveau Testament laisse le choix et le célibat n'y est pas imposé. Enfin, n'est-il pas temps de rendre possible l'ordination des femmes et le mariage des prêtres, et ce, d'autant plus que ces règles archaïques et misogynes ne reposent, elles non plus, sur aucune base sérieuse dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament ? Je suis persuadé, comme tout le monde, que ces réformes de bons sens arriveront tôt ou tard. Les prêtres anglicans intégrés au catholicisme sont mariés, comme à 55 % les prêtres maronites, reconnus par Rome. L'interprétation de la doctrine a toujours été très souple et ce que l'Église fait, elle peut le défaire : c'est une règle millénaire.

Les vaticanistes sont de faux journalistes

Je ne peux manquer pour finir de m'intéresser à une catégorie un peu spéciale de journalistes qui ont parfois tendance à trahir les règles de leur profession : les vaticanistes. L'Italie est ce pays un peu étrange où des détenteurs de carte de presse professionnelle peuvent écrire indirectement sous les ordres du Vatican. Les « vaticanistes » sont considérés comme l'élite du journalisme en Italie : ils sont pour moi un véritable scandale  ! Chaque pays, bien sûr, a ses préjugés. Les Américains croient qu'ils ont pour mission de sauver le monde ; les Français pensent que leur modèle républicain est plus égalitaire et que leur École nationale d'administration en est un bon exemple ; les Italiens croient que leurs vaticanistes disent la vérité ! À chacun ses impasses et ses leurres  !

Un vaticaniste a comme spécialité de rendre compte régulièrement de la vie du Vatican. Comme dans toute profession, il y en a de remarquables (je pense par exemple aux Italiens Marco Politi, Emiliano Fittipaldi, Carlo Tecce ou Gianluigi Nuzzi, au Mexicain Bernardo Barranco ou encore à la Française Cécile Chambraud qui tous ont su garder leur indépendance). Il y en a d'autres qui, obsédés par un agenda conservateur, mondain ou biaisé, diffusent, souvent aveuglément, les informations de leurs sources au Saint-Siège (Matteo Matzuzzi dans Il Foglio, Sandro Magister de l'Espresso, Edward Pentin du National Catholic Register, Damian Thompson du CatholicHerald, Mathias Rub de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, Antoine-Marie Izoard de Famille chrétienne ou encore l'ultra-mondaine Caroline Pegozzi de Paris Match pour n'en citer que quelques-uns). En soi, il n'y a rien de critiquable dans le fait que des journalistes soient désignés « vaticanistes » par leur rédaction pour couvrir régulièrement le Vatican et, d'ailleurs, il existe également des journalistes embedded à la Maison-Blanche ou, en France, au palais de l'Élysée. Ce qui est plus problématique, c'est de privilégier les sources vaticanes sur l'investigation des faits et être au service du Saint-Siège plus qu'au service de ses lecteurs. C'est pour cette raison qu'il n'y a pas de vrai « vaticaniste » en France : personne ne leur accorderait du crédit comme journaliste s'ils étaient à ce point dépendants du Vatican !

Dans le cas de mon livre, et selon l'indiscrétion de plusieurs insiders, il semble que certains responsables de la communication du Vatican (qui n'avaient pas pu en lire une seule ligne) aient diffusé oralement des « éléments de langage » pour le dénoncer, avant même sa publication. Il s'agissait d'insister sur le fait que l'ouvrage était basé sur des « insinuations » et autres innuendo, que je n'avais « pas de preuves », et qu'il contribuait « à la confusion entre homosexualité et abus sexuel ». Ce serait un « ramassis de gossip » et un salacious work. (Ces éléments de langage ont été initialement distillés sous le plume du vaticaniste Matteo Matzuzzi dans un article grotesque d'Il Foglio, une étrange recension qui ne correspond en rien à ce qui figure dans mon livre et qu'il n'avait pas pu lire au demeurant, puisqu'il était encore sous embargo).

Le Vatican a longtemps su développer une communication mensongère. Aussitôt que des enquêtes paraissaient, ses services de communication réagissaient violemment par des démentis aussi absurdes que rigolos. On ne compte plus les « mensonges d'État » du Saint-Siège relatifs à des faits qui ont été par la suite confirmés – le porte-parole de Jean-Paul II, Joaquín Navarro-Valls, lui-même homophile, est resté célèbre pour son art du mensonge érigé en système. Aujourd'hui, les communicants du pape sont plus subtils. Un ancien journaliste de La Stampa, Andrea Tornielli, que j'ai rencontré longuement à deux occasions – et qui, en privé, semblait partager la plupart de mes hypothèses – est maintenant en charge des médias de Radio Vatican. Le vaticaniste officiel du pape est devenu le porte-parole officiel du Vatican ! Grâce à lui, ainsi qu'au machiavélien Paolo Ruffini, au gaffeur Dario Viganò, au marionnettiste Andrea Monda (qui dirige l'Osservatore Romano) ou encore au versatile Antonio Spadaro, la communication du Saint-Siège est désormais plus habile. Dans leur réaction à mon livre, ils ont été d'autant plus efficaces qu'ils connaissent parfaitement – et même à la perfection, pour deux d'entre eux, pour des raisons évidentes – les réseaux gay du Vatican. Tous « nourrissent » les vaticanistes quotidiennement, les abreuvant des mille et un secrets de la curie romaine, au point de les rendre dépendants de leurs informations (je peux en témoigner, car j'ai été moi-même régulièrement informé off the record par certains de ces communicants). Si un vaticaniste prend trop de libertés avec les « éléments de langage » qu'ils distillent, il pourra se voir privé de sources et, punition suprême, d'invitation de voyage officiel avec le pape ! À court terme, son poste de « vaticaniste » deviendra sans objet, une véritable coquille vide et, coupé de toute information, il perdra inévitablement son poste. Ainsi, les vaticanistes (essentiellement des hommes) sont souvent « tenus en laisse » – la formule est de l'un d'entre eux.

Au fond, il y a deux types de journalistes qui n'ont pas compris mon livre : ceux qui sont complètement étrangers au monde gay et apparaissent donc désemparés ou incrédules face à la réalité que je décris ; ceux qui, comme les vaticanistes, la connaissant trop bien, savent pertinemment la vérité de Sodoma, mais préfèrent, pour des raisons diverses, en conserver le secret. Pour beaucoup d'entre eux, il s'agit de choses qu'on a le droit de dire, mais pas le devoir d'écrire ! Tous mettront du temps à comprendre – mais ce temps viendra.

Pour toutes les raisons rappelées dans cet article, Sodoma ne pouvait être que l'œuvre d'un écrivain et journaliste qui ne soit ni italien ni vaticaniste, et qui ait avant tout le souci des « vérités de faits ». Voilà pourquoi, je suis heureux d'avoir contribué à changer la conversation sur le catholicisme. « Sodoma a changé pour toujours les règles du jeu », écrit le prêtre et théologien James Alison. Désormais, il ne s'agit plus d'essayer de comprendre pourquoi tant de cardinaux sont homophobes ; il s'agit de savoir pourquoi ils sont si nombreux à être homosexuels. Il n'est plus question de dénoncer la présence gay dans l'Église ; il s'agit de comprendre pourquoi l'Église attire à elle, recrute et promeut essentiellement des homosexuels. Il ne faut plus faire aucune confusion entre homosexualité et abus sexuels ; il faut comprendre au contraire pourquoi la culture du secret sur la sexualité des prêtres est la véritable matrice du système de cover up. Et s'il ne devait y avoir qu'une seule règle à retenir de mon livre, ce serait celle-là : plus un cardinal ou un prêtre est homophobe en public plus, il a de chances d'être homosexuel en privé.

Voilà pourquoi je crois sincèrement avoir rendu service à l'Église en publiant Sodoma, ce qui sera reconnu, je le crois, à moyen ou à long terme. Un livre dont l'exigence de vérité rejoint, en fin de compte, l'exigence de vérité du pape François.