Et un grand froid passat sur la ville (thriller) .... ouf

Publié par jl06 le 17.07.2018
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Thriller - Le jour où Ebola débarquera à Paris...David Gruson, ancien conseiller santé de François Fillon, signe un livre haletant où une épidémie de fièvre hémorragique frappe la capitale. Entretien.Par Publié le 17/07/2018 à 16:33 | Le Point.frEn 2011, « Contagion » de Steven Soderbergh imaginait également une épidémie foudroyante. 

En 2011, « Contagion » de Steven Soderbergh imaginait également une épidémie foudroyante.

Conseiller santé de François Fillon, entre 2010 et 2012, désormais magistrat à la Cour des comptes, David Gruson, 39 ans, publie aujourd'hui son premier roman. Dans ce thriller haletant (1), il imagine que le virus Ebola frappe Paris en 2025. Mi-polar, mi-roman d'anticipation, il y restitue, de façon ultra-réaliste, le parcours de divers personnages contraints de faire face à la menace : une équipe médicale tout d'abord, des policiers et des militaires ensuite. Car cette épidémie est peut-être liée à une attaque terroriste ! Ce scénario dystopique où les malades doivent recharger leur carte de sécurité sociale comme un vulgaire pass Navigo et où le moindre objet connecté peut se révéler un danger (à commencer par les pacemakers) ferait un excellent film-catastrophe. Plusieurs producteurs ont d'ailleurs approché David Gruson dans l'espoir de porter à l'écran son histoire.

Cette intrigue est surtout, pour l'auteur, un prétexte pour s'interroger sur le devenir du système de santé français, confronté au défi de la numérisation. À l'heure où robots et intelligences artificielles font leur entrée à l'hôpital, cette fiction donne, en effet, l'occasion à David Gruson d'exposer les espoirs et les craintes que suscitent chez lui ces innovations. Entretien.

Le Point : Votre roman raconte la manière dont se propage une épidémie effrayante dans Paris. Comment vous est venue l'idée de cette histoire ?

David Gruson, 39 ans, est docteur en droit et titulaire d'un troisième cycle en technologie de l'information et de la communication. SARRA est son premier roman.

© ELOMBARD ELOMBARDDavid Gruson : Sur le plan académique, je travaille depuis une quinzaine d'années sur les questions de numérique en santé. Après mon passage au cabinet du Premier ministre, j'ai dirigé pendant quatre ans le centre hospitalier universitaire de La Réunion, dans l'océan Indien. En 2014, avec les équipes du CHU, nous avions eu à gérer une situation très complexe de suspicion de cas d'Ebola. L'idée est alors venue de savoir ce qu'aurait pu donner la gestion d'une telle situation de risque majeur par une intelligence artificielle en santé. (Les services sanitaires locaux de La Réunion suivent aujourd'hui, avec de tels outils, la prolifération des moustiques et la progression des épidémies de Dengue et de Chikungunya, NDLR). De là est partie l'idée d'une fiction qui analyserait la manière dont les différents acteurs réagiraient à une gestion par IA d'un risque d'Ebola dans Paris.

« Les patients auraient tout à gagner d'un plus grand pilotage par les données de santé. Ils y gagneraient en confort et cela serait moins coûteux »

Le titre de votre livre S.A.R.R.A désigne le puissant système automatisé de réponse rapide aux alertes dont le ministère de la Santé s'est doté. Votre livre se déroule, rappelons-le, en 2025. À cette date, une intelligence artificielle (IA) aide les médecins au diagnostic et au pronostic des patients. Où en est-on aujourd'hui dans ce domaine ?

La révolution numérique qu'a connue, ces dernières années, le secteur de la santé est spectaculaire. Des robots ont débarqué dans les blocs opératoires, des pans entiers des plateaux médico-techniques (laboratoires, pharmacies…) ont été automatisés. L'utilisation de l'intelligence artificielle ne relève plus de la science-fiction. C'est aujourd'hui une réalité dans de nombreux secteurs, même si les professionnels ne le mesurent pas toujours au quotidien. Et ces transformations sont encore appelées à prendre plus d'ampleur à brève échéance. À travers ce roman, j'ai voulu explorer les possibilités qu'offre le développement de cette innovation technologique. Notamment dans une gestion de crise.

L'intervention de l'intelligence artificielle dans le domaine de la santé suscite des réactions ambivalentes. Quelle est votre position à ce sujet ?

Je ne fais pas partie des technophobes. Mais je me garderai bien de répondre de manière tranchée à cette question. L'IA peut néanmoins apporter une réponse particulièrement efficace aux problèmes de santé publique. Le recours au numérique et le pilotage de la donnée peuvent orienter utilement la décision politique. Prenez par exemple le dossier de la prise en charge de l'insuffisance rénale chronique. Nous avons en France un système qui oriente encore beaucoup trop les patients vers des centres lourds de dialyse alors qu'ils pourraient être pris en charge chez eux ou greffés. Dans l'ensemble des pays de l'Union européenne, 20 % des personnes souffrant d'insuffisance rénale font leur dialyse à domicile. Contre 8 % seulement en France. Cette politique est particulièrement lourde pour les finances publiques et pesante pour les patients qui souffrent de pertes de chances médicales et d'impacts pour leur vie quotidienne. La Cour des comptes avait d'ailleurs relevé, en 2015, que nous devions changer de modèle. Les patients auraient tout à gagner d'un plus grand pilotage par les données de santé. Ils y gagneraient en confort et cela serait moins coûteux pour notre système de soins...

« La machine n'hésite pas à procéder à des sacrifices si ses calculs lui démontrent que cette décision est susceptible de sauver davantage de vies par la suite »

Faut-il donc toujours s'en remettre aux décisions préconisées par l'exploitation du « Big Data » ?

Je n'aime pas trop l'expression « Big Data », surtout lorsqu'il s'agit de parler de données de santé. Les données de santé doivent être mieux partagées pour faire avancer notre système de soins, mais le « Big Data » donne l'impression fausse que tout se vaudrait. Or, certaines données ont plus d'importance que d'autres, comme les données génomiques qui touchent au cœur de notre identité. Ensuite parce que le risque est grand de déléguer à la machine le consentement du patient et la prise de décision du professionnel de santé. Mais il est indéniable que l'IA peut utilement aider à l'amélioration du diagnostic.

Votre expérience de terrain vous conforte-t-elle dans cette idée ?

J'étais directeur adjoint d'un hôpital (le Kremlin-Bicêtre, NDLR) en 2003, au moment de la canicule, et je me suis toujours demandé si l'hyperrationalité de l'intelligence artificielle aurait permis de sauver davantage de vies. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai commencé à me pencher sur ce problème. Cette question de la place des nouvelles technologies dans notre système de santé soulève de nombreuses questions que nous abordons, avec des chercheurs, des médecins et des responsables de structures de santé, dans le cadre d'un groupe informel de réflexion (Ethik IA). Nous y abordons une question très sensible : le risque de minoration de la valeur de la personne par rapport au collectif. La machine n'étant pas dotée d'affect, elle n'hésite pas à procéder à des sacrifices si ses calculs lui démontrent que cette décision est susceptible de sauver davantage de vies par la suite. C'est tout le paradoxe de notre époque individualiste : quand on s'en remet à l'outil informatique, c'est le collectif qui prime. Or, si le raisonnement de la machine peut s'avérer juste au regard de la science statistique, elle peut induire un risque de minoration de la prise en compte des personnes sous le poids du collectif.

Pourquoi avoir écrit une fiction et non un essai ?

La fiction visait, à travers le prisme du polar, à permettre de toucher aussi un public qui ne se serait peut-être pas directement intéressé à cette question. Mais évidemment la réflexion de fond a aussi toute sa place. Tocqueville avait d'ailleurs déjà pressenti cette tension entre l'individuel et le collectif.

En dehors de Tocqueville, quels auteurs vous ont influencé ?

Difficile de ne pas citer Albert Camus. La Peste est en effet un ouvrage magistral dont le sujet apparent porte sur une épidémie mais dont on se rend vite compte que c'est un prétexte pour parler d'autre chose : de l'état de notre société, notamment. Mais mon livre comporte d'autres références. J'ai été très marqué par la lecture de Paul Watzlawick. L'un de ses livres (La Réalité de la réalité) émet une hypothèse très intéressante : la surabondance d'informations finit par nuire à la communication entre les individus.

Les algorithmes sont partout. Pas seulement dans le domaine de la santé. Ils règlent aussi notre vie amoureuse à travers les sites de rencontre, ils orientent nos choix de vacances ou notre manière de consommer...

Oui. Et ils sont diablement efficaces. Je me suis abonné récemment à Netflix. Au bout de quelques jours, son intelligence artificielle avait parfaitement cerné mes goûts et me recommandait des séries télé avec un très faible taux d'erreur. Pour accompagner la sortie de mon livre, nous avions décidé de tourner avec mon éditrice quelques vidéos de mises en situation d'anticipation. Celles-ci ont suscité un petit buzz sur Internet. Buzz aussitôt repéré par l'algorithme d'Amazon qui a, du coup, avancé la sortie de mon livre. Quand l'IA fait elle-même la pub d'une fiction sur la régulation des enjeux éthiques de l'IA, la boucle est presque bouclée. Et c'est vertigineux...