Un blip de bien-être...

Publié par Rimbaud le 16.01.2018
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          Je maudissais le traitement et me voilà célébrant. Je fulminais contre ma vulnérabilité et je suis de nouveau dans la bataille, affrontant. Je me croyais prisonnier, barricadé, assailli mais désormais j’ai le regard qui se plante tout là-bas, au loin, là où je ne suis pas. Une simple et insignifiante réussite professionnelle a suffi à la renaissance des respirations oubliées. Le pouvoir de l’esprit a l’immensité d’une divinité méconnue, invisible et imprévisible. Il fausse le jugement, altère la raison, embrume les visions, détourne de l’essentiel, ralentit la cadence, détruit les énergies, consume la lumière lorsqu’au détour d’un accident, l’air de rien, au moment feutré des habitudes : il modifie nos trajectoires, redessine les paysages presque entièrement gommés, déchaîne des tempêtes de soleils, propulse le corps dans un avenir improbable mais possible, un à présent éblouissant que l’on a bien du mal à regarder en face, stupéfaits de nous tenir là, plantés au cœur du vivant, dans la lucidité de l’épure qui rend toute chose sensuelle, suave et tendre.

      Je ne fonds pas sur la proie, ni ne dévore le plaisir, ni ne consume la joie, de peur de la voir disparaître. Je sais que tout n’est qu’éphémère. Je ralentis la possibilité de l’unité pour que ce qui n’est peut-être qu’un blip de bien-être puisse déployer ses ailes et graviter autour du temps. Je ne l’effraie pas par des embrassades pathétiques. Je ne joue aucun jeu : ni celui de la résistance, ni celui des retrouvailles, ni celui du soulagement, ni celui du mérite ou du surhomme. Je fais silence et tend l’oreille aux oraisons revenantes. Je savoure. Je pose un à un mes pas sur le fil tendu de l’horizon que rien n’abîme. Sur ce fil sèchent les peurs et roulent des cerceaux. Point d’encombrement. Sur ce fil, la délicatesse se joue de la menace. La musique est partout car d’enjeu il n’y a pas. Il parcourt les pays lointains et, légers, les bustes progressent. La pupille n’est attirée ni vers le bas vertigineux, ni vers des cieux chimériques. Elle est molle et grandissante, et accueille, contient, adopte les mains tendues, les bêtises, les châteaux ensablés, les barbe-à-papa collantes, les vers éternels, le sublime et l’inexact, l’égratignure consolée et les mesures improvisées. Je ne bondis pas, ni n’élève la voix, ni n’affirme, ni ne décrypte. Je suis un sifflement comme on chantonne un air suranné...

 

Vous ne pouvez pas savoir
Comme mon pauvre cœur est lourd,
Pourtant je le sens ce soir
L'amour n'interdit pas l'amour.
Le jeu recommence
Le printemps s'avance

 

Rêves d'amour,
Bonheurs trop courts
Ô paradis perdu !
Tendres espoirs,
Bouquets d'un soir
Dont le parfum n'est plus
Le cœur cherche sans cesse
L'écho de sa jeunesse
Et chaque amour
Est un retour
Au paradis perdu ! perdu !

 

Vous venez je ne sais d'où,
J'ignore jusqu'à votre nom
Je vois que vos yeux sont doux,
Mais votre voix ment-elle ou non ?...
Tant pis, je vous aime
L'amour ! c'est moi-même
Qui meurt et renaît chaque jour...

 

(Le Paradis perdu, Lucienne Delyle, 1941)

Commentaires

Portrait de Pierre75020

Très beau poème ( honte à moi qui n'ai rien lu de  Lucienne Delyle), très beau texte lyrique.Je suis  heureux que tu ais retrouvé le moral.La musique a aussi des effets puissants sur moi mais je ne sais pas en jouer tout au plus je m'efforce de l'écouter avec attention.Merci encore pour ce "blip" de bien être.

Portrait de Rimbaud

Diseuse, née Lucienne Delache (légimitisée sous le nom de Trinquier), à Paris, le 16 avril 1913 (et non en 1917 comme on l'a trop souvent écrit) et décédée de leucémie, à Monte Carlo, le 10 avril 1962.

C'est par le biais d'un concours radiophonique qu'elle se fait entendre pour la première fois sur les ondes de Radio-Cité en 1939. On la dit jolie mais les photos de l'époque nous renvoient plutôt l'image d'un visage plutôt quelconque, même fade.

Lucienne Delyle et Aimé Barelli

Jacques Canetti s'intéresse à elle, puis Aimé Barelli qui deviendra son mari.

Ses premiers enregistrements, elle les fait avec les orchestres de Marcel Cariven, de Raymond Legrand et de Jacques Météhen.- Cela donne "Sur les quais du vieux Paris", en 1939 ; "Le paradis perdu" (du film - voir ci-dessous), en 1941 ; "Mon amant de Saint-Jean", en 1942 ; une chanson de Django Reinhardt, "Nuages", en 1943. - Le succès sera au rendez-vous jusqu'a la toute fin des années cinquante (elle passera en vedette à Bobino en 1961) avec : "Malgré tes serments", en 1944 ; "Boléro", en 1948 ; "J'ai rêvé de vous", en 1950 ; "Domino", en 1953 : "Java" en 1956...

La voix fait quelque peu penser à Lucienne Boyer, à ses tous débuts, puis elle devient langoureuse, éthérée. Ce n'est pas une chanteuse à voix : elle est intimiste mais de cet intimisme de cabaret où, devant un orchestre ou tout simplement un piano, la vedette du spectacle fait son tour de chant, en robe de soirée, sous le feu d'un seul projecteur. - Le style est connu. - On l'a vu et on peut le revoir à cent exemplaires dans les films de l'époque. - Sauf qu'avec Lucienne Delyle, il a atteint son apogée pour ne pas dire sa perfection.

Portrait de IMIM

je suis restée un moment sans venir sur le site

A mon retour t posts m'ont tt de suite séduite

C tellement bien écrit qu'il m'est difficile de m'exprimer après toi...!!!

 

G senti chacun de tes états d'âme

Je m'y suis souvent retrouvée.....bien que notre parcours soit différent...

 

Je suis terriblement heureuse que tu entrevois un rayon de soleil qui à nv illumine ta route 

 

Quant à la musique, sans elle, je serais dead......

 

Plein de bonne choses à ton égard 

Portrait de Rimbaud

Merci à toi. Ca fera juste un an de séropositivité décelée en février alors j'ai beaucoup écrit pour ne pas garder en moi tous ces chamboulements. Ton message (comme ceux qui réagissent) brisent la solitude, ça aide beaucoup.

Blip-biz

Portrait de Pierre75020

Merci pour ces informations et bonne journée.