Une prière avant l ,aube , accrochez vous ....

Publié par jl06 le 19.06.2018
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Dans l'enfer des prisons thaïlandaises

ENTRETIEN. Pour réaliser « Une prière avant l'aube », en salle mercredi, le cinéaste Jean-Stéphane Sauvaire a travaillé avec d'anciens prisonniers.

Par Louis Chahuneau - Publié le 19/06/2018 à 10:34 | Le Point.fr  

 

Bienvenue en Thaïlande, ses plages paradisiaques, son monarque imprévisibleet... ses prisons. Au pays du Ya ba, la drogue qui rend fou, plus de 330 000 détenus sont entassés dans d'immenses cellules aux conditions inhumaines, souvent pour des crimes et délits liés à la drogue. La monarchie, qui n'a pas aboli la peine de mort, figure au 7e rang du classement mondial en termes de taux d'emprisonnement, selon le World Prison Brief . La Thaïlande est l'un des pays au monde où la législation antidrogue est la plus répressive.

Un enfer carcéral vécu par Billy Moore. À la fin des années 2000, ce jeune boxeur anglais accro à la drogue est arrêté et condamné à 3 ans de prison pour possession d'armes et recel à Bangkok. En arrivant à la prison de Chang Mai (nord du pays), il va découvrir le système pénitentiaire thaïlandais et ses cachots bondés. Pour sortir de cet enfer, Billy Moore va devoir gagner le respect de ses pairs, d'autant plus qu'il ne maîtrise pas la langue locale. Son seul refuge sera la boxe. Billy Moore intègre l'équipe de la prison et multiplie les tournois de boxe tout en combattant son addiction aux drogues.

Ce parcours du combattant en milieu hostile a beaucoup plu au réalisateur français Jean-Stéphane Sauvaire, qui l'a adapté au cinéma dans Une prière avant l'aube. Le film, qui sort le 20 juin, a été présenté hors compétition au Festival de Cannes en 2017. Sauvaire, 49 ans, n'en est pas à son coup d'essai. Après Carlitos Medellin (2004), documentaire sur les guerres de gang en Colombie et Johnny Mad Dog, long-métrage sur les enfants-soldats en Afrique(2008), il signe un nouveau film ultra-réaliste sur le thème de la violence et de la survie (le film est interdit aux moins de 16 ans). Une véritable plongée à la première personne dans un environnement aussi inconnu que dangereux. Le Point l'a rencontré à Paris, sur la terrasse des locaux de son distributeur français Wild Bunch.

Le Point : Comment avez-vous découvert l'histoire qui a inspiré votre film Une prière avant l'aube  ?

 

Jean-Stéphane Sauvaire ©  Jean-Stéphane Sauvaire

Le réalisateur Jean-Stéphane Sauvaire sort son nouveau film "Une prière avant l'aube".

© Jean-Stéphane SauvaireJean-Stéphane Sauvaire : Quand ma productrice m'a parlé du projet, je me suis dit que c'était intéressant parce que le scénario a des codes à la fois de film de boxe et de prison. Et en plus l'histoire est vraie, et c'est toujours intéressant de confronter la réalité avec le cinéma. J'ai donc lu l'autobiographie de Billy Moore (A Prayer Before Dawn, Maverick House, 2014, non traduit en français, NDLR), et je suis allé le rencontrer à Liverpool. Au départ, Jason Statham avait été envisagé pour interpréter le rôle de Billy Moore, mais ça aurait donné un vrai film de genre, ce qu'on ne voulait pas.

Vous avez donc choisi Joe Cole (connu pour son rôle de John Shelby dans Peaky Blinders). Il incarne un jeune homme perdu et rempli de rage. À quoi ressemble le vrai Billy Moore ?

C'est quelqu'un de très intéressant et d'attachant parce qu'il a cette contradiction entre son histoire très violente et une certaine vulnérabilité. C'est un vrai gamin, il est très sensible et peut se mettre à pleurer d'un coup. Il est né dans un quartier populaire, et petit, il faisait un peu de boxe. Son père était alcoolique et le battait, donc Billy s'est réfugié dans la drogue : héroïne, cannabis, etc. Il est devenu addict, et a fait de la prison pour mineur à Liverpool. Un jour, il en a eu marre et a pris un billet pour la Thaïlande, qui n'est peut-être pas la meilleure destination pour arrêter la drogue.

Là-bas, il était prof d'anglais, faisait un peu de boxe et même un peu de doublure cinéma. Très vite, il s'est mis à dealer, et s'est fait arrêter puis emprisonner à la prison de Chiang Mai dans le Nord. Il a fait 2 ans derrière les barreaux, ce qui est une courte peine en Thaïlande, et la dernière année de sa peine à Liverpool. C'est paradoxal, mais d'un côté, la prison et la boxe lui ont permis de trouver son identité. Quand il est sorti, il a travaillé bénévolement pour les narcotiques anonymes, la réinsertion des drogués, etc. L'année du tournage, il a attrapé un cancer de la gorge et a commencé à prendre des médicaments. Il a fini par retomber dans l'addiction et a cambriolé ses voisins à Liverpool. Billy a toujours ce côté très fragile, on sent qu'il peut retomber à n'importe quel moment.

Qu'est-ce qui vous a frappé sur le système carcéral en Thaïlande ?

Là-bas, la peine de mort est toujours en place, les chambres d'exécution à injection létale sont toujours là, et la promiscuité est impressionnante dans les cellules (le taux d'occupation atteint 224 %, contre 115 % en France, NDLR). On a donné notre scénario au ministère du Tourisme qui l'a relu pour vérifier qu'on ne faisait pas d'offense au roi. Ça n'a pas été simple. Ce n'est pas un sujet paradisiaque. Pendant le tournage, un censeur venait tous les jours pour vérifier qu'on respectait notre script. Il y avait des choses que je n'avais pas le droit de faire : filmer le portrait du roi dans les cellules, les prisonniers qui chantent l'hymne national tous les matins, etc.

Vous avez tourné votre film dans de vraies prisons comme celle de Nakorn Pathom . Pourquoi cet ultra-réalisme presque documentaire ?

Les prisonniers me racontaient qu'ils avaient regardé la série Prison Break,mais que ce n'est pas forcément réaliste. On ne voulait pas être dans l'imaginaire. J'avais envie qu'on comprenne ce que c'est de se retrouver en prison en tant qu'étranger. Qu'on soit immergé dans le corps de Joe Cole, comme dans un jeu vidéo à la première personne. On entend ses pas, sa respiration, on ne comprend pas ce que disent les autres prisonniers, ça crée un vrai sentiment d'oppression, d'hostilité.

Pour les combats de boxe, on a tourné des chorégraphies, avec de longs plans séquence. C'est le contraire de ce qu'on fait dans les films de boxe, avec des scènes montées qui créent l'illusion de combat. Nous, on est plus proches d'un entraînement. Ce n'est pas joué. Surtout que Joe Cole ne voulait pas de boxeurs professionnels.

Joe Cole ©  Capture d'écran Facebook

L'acteur Joe Cole pose avec les prisonniers et acteurs du film. © Capture d'écran Facebook

Pour Johnny Mad Dog, vous aviez tourné avec de vrais enfants-soldats. Là encore, il n'y a que deux acteurs professionnels (Joe Cole et Vithaya Pansringarm qui a tourné dans Only God Forgives)...

J'ai préparé un casting d'ex-prisonniers qui avaient tous fait entre dix et quinze ans de prison, avec l'aide de Keng (l'un d'eux). Ils étaient très investis, et avaient envie de raconter leur histoire parce qu'on ne leur donne pas cette opportunité en temps normal. Ce qui a été dur, c'était de casser le côté très poli des Thaïlandais pour rentrer dans les scènes de violence. Devant les étrangers, ils restent très sobres, polis. Pour les libérer, on faisait des exercices d'acting : on les mettait face à face, mains dans le dos, et ils devaient s'insulter. C'était très dur pour eux. Je me suis beaucoup servi de l'art-thérapie, une technique qui permet d'exorciser la violence en rejouant un souvenir. Quant aux boxeurs, ce sont aussi d'anciens boxeurs prisonniers.

Keng (Panya Yimumphai de son vrai nom), chef de gang et acteur du film, a fondu en larmes lors de la standing ovation du public à Cannes en 2017. Qu'est-ce que cela représentait pour lui ?

Keng était un chef de gang, mais aussi un homme adorable et respecté en Thaïlande. Sur Facebook, il a 2 millions d'abonnés. Il représente cette Thaïlande qui n'a jamais trouvé sa place dans la société. Le pays est divisé entre une minorité très riche et une vaste classe populaire. À Cannes, pour la première fois, il n'était pas jugé pour ce qu'il avait commis ou pour son physique de chef de gang, mais par rapport à sa propre histoire, son courage de faire le film et sa prestation incroyable. Il n'a pas arrêté de me remercier d'avoir fait ce film. C'est aussi pour ces moments, pour ces rencontres que je fais du cinéma. Malheureusement, Keng est depuis retourné en prison pour une vieille affaire de deal derrière les barreaux.

Vos trois derniers films (Une prière avant l'aubeJohnny Mad Dog et Carlitos Medellin) traitent de combat et d'injustice. Qu'est-ce qui vous attire tant...

(Il coupe et éclate de rire) Dans la violence ? Ça me permet de mieux la comprendre et la combattre. Le cinéma, c'est ma thérapie. Mon prochain film raconte l'histoire d'un photographe qui parcourt le monde pour comprendre sa propre violence. J'aime cette violence de survie, plus réaliste que de divertissement. C'est un sujet tabou alors qu'elle fait partie de notre société. On a tendance à la regarder à distance, on est plus vraiment affectés. C'est aussi un moyen de prendre conscience que ce n'est pas la solution.