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Nous avons oublié que la rougeole tue !

On la croit bénigne, mais en 1985, la rougeole tuait plus d'un million d'enfants dans le monde. Une hécatombe stoppée par la vaccination.

Par Paul Duprex (The Conversation)Modifié le 01/03/2019 à 13:06 - Publié le 27/02/2019 à 12:56 | Le Point.fr  entre le 1er janvier et le 13 fevrier 2019, plus de 4 300 cas de rougeole ont ete confirmes aux Philippines.

Vaccination contre la rougeole à Manille : entre le 1er janvier et le 13 février 2019, plus de 4 300 cas de rougeole ont été confirmés aux Philippines.

© ROUELLE UMALI/XINHUA-REA

21 décembre 2018, jour du solstice d'hiver, le plus sombre de l'année. Au Center for Vaccine Research de l'Université de Pittsburgh, nous envoyons un tweet plein de désespoir : un article du célèbre quotidien britannique The Guardian rapporte en effet que le nombre de cas de rougeole en Europe a atteint son niveau le plus élevé en 20 ans. Pourquoi étions-nous à ce point préoccupés ? L'Europe est bien loin des États-Unis et à en croire certains, la rougeole ne serait rien de plus qu'une bénigne maladie infantile, qui provoque simplement une légère éruption cutanée, un nez qui coule et quelques boutons. Alors à quoi bon tout ce tapage ?

Pour reprendre les mots de George Santayana, « ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le répéter ». Une amnésie collective s'est emparée de nous à propos de la virulence de cette maladie. Nous avons oublié que le virus de la rougeole a tué des dizaines de millions de nourrissons au cours de l'histoire. Désormais, alors que plusieurs flambées sont en cours dans notre propre pays, cette menace fort dispensable est de retour.

La rougeole est une maladie très contagieuse et parfois mortelle, qui se propage comme un feu de forêt au sein des populations n'ayant jamais été exposées au virus. Ce dernier a été impliqué dans la décimation des populations amérindiennes, à l'époque des grandes découvertes. Ces groupes humains n'avaient en effet aucune immunité naturelle contre les maladies introduites par les Européens dans le Nouveau Monde. Certaines estimations suggèrent que la variole, la rougeole et d'autres maladies infectieuses ont tué jusqu'à 95 % de la population amérindienne.

Une maladie devenue évitable

Aux États-Unis, dans les années 1960, le virus de la rougeole infectait 3 à 4 millions de personnes chaque année. Plus de 48 000 malades ont été hospitalisés et environ 4 000 ont développé une encéphalite aiguë, une inflammation des tissus cérébraux potentiellement mortelle. On estime que le nombre de décès a pu atteindre les 500, principalement des victimes de complications telles que pneumonie et encéphalite. Cette situation a motivé les pionniers de la vaccination anti-rougeole, John Enders et Thomas Peebles, à isoler le virus, l'affaiblir et l'utiliser pour mettre au point un vaccin capable de véritablement transformer la santé humaine. Les parents qui connaissaient la réalité de la maladie ont rapidement fait vacciner leurs enfants. Le nombre de personnes vaccinées a explosé, entraînant une chute des cas de rougeole et des décès associés dans les pays industrialisés.

Dans le monde, en 1985, année de la mort de John Enders, plus d'un million d'enfants mouraient néanmoins toujours des suites de cette infection. Mais la rougeole était désormais devenue une maladie évitable grâce à la vaccination, et l'Organisation mondiale de la santéimpulsa fortement l'élan visant à en finir avec cette tragédie.

Lorsque j'ai moi-même commencé à travailler sur le virus en 1996, plus de 500 000 enfants mouraient encore de la rougeole chaque année dans le monde. Il est difficile de se représenter de tels chiffres. Mettons les choses en perspective : si vous avez déjà voyagé à bord d'un avion de ligne gros porteur (du type Boeing 747), ou si vous en avez ne serait-ce qu'aperçu un, vous conviendrez sans peine qu'il s'agit d'un appareil plutôt gros. Imaginez maintenant que, chaque jour de l'année, plus de trois de ces avions remplis d'enfants en bas âge s'écrasent, tuant tous leurs occupants. Janvier, février, mars… le solstice d'été en juin, l'équinoxe d'automne en septembre… octobre, novembre, retour au solstice d'hiver, en décembre… une année complète. Vous avez désormais une idée de la réalité de la rougeole. Durant les années 1990, plus d'un demi-million de vies ont été annuellement perdues dans le monde à cause d'elle.

Grâce à la vaccination, cependant, entre 2000 et 2016, la mortalité due à la rougeole a diminué de 84 %. Plus de 20 millions de décès ont ainsi été évités. Quelle réussite, n'est-ce pas !

À la suite de l'adoption du vaccin dans la quasi-totalité des pays en développement, les infections dues à la rougeole et les décès concomitants sont devenus très rares. En 2000, la rougeole a été éliminée des États-Unis. La dernière personne qui y est morte de la maladie est décédée en 2015.

Un vaccin très efficace

Ces succès ne signifient pas que la rougeole a disparu ou que le virus s'est affaibli. Loin de là. Pour l'avoir observé de près pendant toutes ces années, et savoir ce qui se passe quand il sévit chez un hôte infecté, je ne peux qu'être empli de respect envers ce minuscule « sac de destruction », dont le matériel génétique est 190 000 fois plus petit que le nôtre. Il est ironique de constater à quel point le fait d'avoir perdu de vue la rougeole, en raison du succès de la vaccination, a fait émerger de nouveaux défis sociétaux.

Ce qu'il est important de comprendre, c'est que les millions d'enfants qui sont morts de la rougeole durant les années de la dernière décennie du XXe siècle vivaient, pour la plupart, ailleurs que dans les pays développés. À l'époque, que ce soit ici aux États-Unis ou en Europe, on appréciait que les vaccins fonctionnent (#VaccinesWork) et que le vaccin contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR) soit administré à la grande majorité des gens, les protégeant de façon efficace et réelle. Deux doses dudit vaccin permettent en effet de stopper l'infection dans 97 % des cas.

Ce que le virus de la rougeole, l'un des agents pathogènes les plus infectieux de la planète, peut faire à une personne non vaccinée est, biologiquement parlant, incroyable. Même en 2019. Répétons-le : ce que le virus peut faire à un être humain non vacciné. Mais pourquoi quiconque déciderait de ne pas se faire vacciner, ou de s'abstenir de protéger ses enfants ?

« Les conditions d'une véritable tempête sont réunies »

Parce que notre psychisme post-rougeoleux est frappé d'amnésie sélective. Nous avons oublié le passé. Tragiquement, l'ignorance des faits scientifiques nous a menés jusqu'ici, en un lieu où des individus ne prennent plus la mesure de la valeur et de l'utilité des armes les plus formidables que nous ayons été capables de forger au cours de la guerre immémoriale qui nous oppose aux maladies infectieuses. Les programmes de vaccination ont subi les ravages des déclarations de célébrités mal informées ainsi que d'allégations non fondées, selon lesquelles des vaccins comme le ROR (rougeole-oreillons-rubéole) seraient associés à l'autisme, à la sclérose en plaques, à la maladie de Crohn, etc. Des parents véritablement attentionnés, inconscients de la réalité de maladies qu'ils n'avaient jamais vues de leurs propres yeux ont décrété que, puisque les virus avaient disparu de leur partie du monde, les injections faisaient désormais « tellement dernier millénaire ». Bref, certains ont purement et simplement renoncé aux vaccins.

Les conditions d'une véritable tempête sont réunies. Les vols long-courriers ont raccourci les distances entre l'Europe, l'Afrique, l'Amérique du Sud et l'Asie du Sud-Est, et le virus de la rougeole est si infectieux… Un cas qui se déclare quelque part peut déclencher une infection en n'importe quel endroit du globe. S'avérer incapable de vacciner de larges pans de population favorise la réémergence du virus. De la Californie à New York, de l'État de Washington au Minnesota et à la Géorgie, la rougeole fait un retour en force. Désormais, nous ne pouvons qu'espérer que le dernier décès causé par cette maladie mortelle sur le sol des États-Unis demeurera celui de 2015. Mais rien n'est moins sûr.