2012 - SDF et GEEK, ce n'est plus incompatible

Publié par Ferdy le 25.01.2012
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Si le téléphone portable incarne désormais cette espèce d'incontournable "fil à la patte", il a cependant le mérite de rendre des services précieux à ceux auxquels on s'attendait le moins : les sans-abri.
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Longtemps assimilé à un signe extérieur d'une intense activité sociale et professionnelle, le mobile est parvenu en moins de six ans à accomplir une révolution si juteuse pour les opérateurs et les fabricants de smartphones, qu'il est devenu un mode de consommation aussi courant et nécessaire que le raccordement au gaz et à l'électricité.

Dans un article récent, le site Rue89, relate une série d'entretiens réalisés avec des SDF pour lesquels cet outil permet de garder un lien avec la famille, les proches, les associations, les services sociaux et l'administration, accéder au 115 (le plus souvent en vain d'ailleurs), ou gérer certaines situations d'urgence. Ça nous change un peu de ces sempiternels "Ouais, salut, t'y es où ? tu fais quoi ?" (uè slt tyé ou ? t'fè koa ?)

Ainsi, cet accessoire qui a remplacé la cigarette dans les sitcoms (sans toutefois parvenir à combler le manque d'imagination des scénaristes, ni régénérer la qualité des dialogues), intervient en pleine crise pour aider les exclus dans des problématiques autrefois ingérables.

S'il n'est pas à proprement parler un rempart ni un palliatif à la douleur du monde, il participe à faciliter certaines démarches et à maintenir un lien – certes assez illusoire – avec une vie ordinaire comme, par exemple, écouter la radio ou regarder la télévision. On peut vivre dans la rue et avoir aussi besoin de se tenir informé ou se distraire.

D'autres applications accessibles avec la webcam d'un portable concernent les QR (quick response), vous savez, ces petits code-barres en 2D qui envahissent les affiches publicitaires et la plupart des magazines et des emballages, permettant d'afficher des pages internet, des numéros de téléphone, des informations ciblées, etc.

Parce que la caricature du clochard étendu sur le trottoir avec son litron de rouge ou sa kro, si elle n'a pas vécu, a elle aussi connu une mutation radicale.

Assez représentative de la dégradation régulière des conditions de vie qui affectent cette nouvelle génération de précaires, rajeunie, féminisée (ce sera peut-être le seul succès sociétal de ce quinquennat où la fameuse parité sera bientôt atteinte), pas ou peu diplômée, et qui voit chaque jour ses chances d'accéder à un emploi stable s'éloigner. Mais qui n'en demeure pas moins soucieuse de bénéficier d'un service nomade réduit à l'essentiel, comme le reste.

Pour un SDF, ouvrir un compte bancaire ou postal afin de disposer d'un RIB (ou RIP) pour pouvoir s'abonner à un forfait bloqué ne sera pas des plus faciles, sauf à se domicilier auprès d'un centre d'action sociale ou d'une association agréée (Médecins du monde, Armée du salut, etc.) La recharge de la batterie sera le plus souvent assurée par ces mêmes associations de proximité, lesquelles ont dû se saisir de la plupart de ces problèmes concrets volontairement ignorés par les pouvoirs publics.

Pour mémoire, à la fin du XIXe s., aux Etats-Unis, les "hobo signs" tracés à la craie ou au charbon avertissaient dans un langage crypté les vagabonds d'alors, en quête d'un travail saisonnier, des avantages et des inconvénients susceptibles d'apparaître à proximité de leurs lieux de transit.

Toujours aux USA, en ce début du XXIe s., un organisme indépendant (Free Art & Technologies) a réalisé une série de QR, modulable à l'envi, facile à reproduire in situ grâce au pochoir. La liste est vaste et recouvre des informations variées, allant de "méfiez-vous des pickpockets", en passant par : "table à langer", "attention flics actifs", "homophobes dangereux", "WiFi gratuit" ou "douche possible"...

Il se trouve pourtant au cœur de ce succès technologique apparent un constat d'échec assez cuisant.

La France, ce petit pays autrefois prospère, lequel demeure encore la cinquième puissance économique mondiale, afficherait une certaine indécence, pour ne pas dire plus, à se féliciter de savoir que ces cohortes d'indigents auraient trouvé une solution provisoirement idéale, grâce à cet accès à la téléphonie mobile ou à l'internet. Ce serait non seulement fallacieux et cynique, mais profondément indigne d'une société qui voit une part non négligeable de sa population réduite à un état de mendicité et d'errance. Pauvre mais geek.

Enfin, je me refuserai de commenter les offres nouvelles de téléphonie mobile proposées par le quatrième opérateur français, qui a si bien réussi sa campagne de communication tonitruante pour tenter de nous faire accroire qu'un puissant groupe financier agissait par pure philanthropie.

C'est ce brouillage du discours qui parvient à corrompre le fondement même de cette belle et prometteuse devise républicaine, Liberté, Égalité, Fraternité, à laquelle il faudra peut-être bientôt ajouter le terme de Rentabilité, sans autre état d'âme.