Déchet toxique

Publié par Ferdy le 14.09.2011
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J'adore feuilleter les catalogues publicitaires. Dans ma tendre enfance, c'était pour mater les slips kangourou des mecs de La Redoute...
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J'adore feuilleter les catalogues publicitaires. Dans ma tendre enfance, c'était pour mater les slips kangourou des mecs de La Redoute. Aujourd'hui, ces supports de vente par correspondance me donnent l'impression d'être en phase avec mon époque. Voilà ce que c'est que de vivre loin d'un centre commercial, sans accès à Internet. Ils me font découvrir des tas de nouveaux produits. Ou plutôt, c'est comme s'ils venaient apporter une réponse à un problème que je n'avais pas encore eu le temps d'éprouver. Avant cela, il y avait bien eu dans le désordre de mes désirs une vague, une très vague et très lointaine perception d'un manque, mais de là à voir ce manque affiché en pleine double-page couleur du catalogue me confirme dans ce que je n'osais à peine esquisser sous mes rêveries immatures.

Quelque part à travers le vaste monde, une entreprise a anticipé l'objet de mon désir et me le propose pour ainsi dire clés en main. Ce qui, traduit en langage marketing direct, revient à dire que je n'étais pas seul à avoir eu à ressentir le besoin de faire l'acquisition d'un produit capable de répondre à mes attentes les plus folles. Des ingénieurs, des designers, des développeurs de toute nature se sont ainsi relayés afin de trouver une solution à un problème qui m'avait à peine été donné d'entrevoir. On lui a donné une forme précise, un poids, une taille, des coloris, des spécificités techniques et des performances attrayantes quand j'en étais encore à bricoler, dans un coin perdu de mon cerveau, des hypothèses floues et archaïques.
Ce produit existe donc, il est là sous mes yeux, clairement référencé. Il porte un nom, parfois assorti d'un code un peu compliqué à retenir. On lui a bien sûr attribué un prix. C'est la valeur de l'objet de mon désir mis sur le marché. Je devine qu'il y a derrière lui des tas de gens qui se nourrissent de sa fabrication, ce sont tous ces ouvriers alignés en rang d'oignons qu'il m'arrive parfois de croiser en regardant des documentaires sur Arte. Ils assemblent des pièces, dans une suite minutieuse de gestes inlassablement répétés. Si je remonte un peu la filière, il y a le groupe industriel qui tire un bénéfice de la commercialisation de mon produit et, accessoirement, des actionnaires qui se partagent le dividende. Depuis que les marchés se sont mondialisés, je sais que ce ne sont pas forcément les populations qui fabriquent mon produit qui le consomment. Maintenant, quant à connaître le salaire mensuel de la main d’œuvre lointaine, cela dépasse mes compétences. Je suis un simple consommateur qui ne prétend pas veiller à la juste rémunération de chacun. J'achète au plus bas coût sans autre état d'âme. Là où je demeure inflexible, c'est sur le strict respect des conventions internationales interdisant le travail aux enfants.
Evidemment, il m'arrive aussi d'avoir un petit pincement au cœur quand je vois la mention Made in China sur la plupart de mes emballages. Mais à supposer que je m'en sois tenu à la production rigoureusement française, j'en serais aujourd'hui encore à taper mes textes sur une machine à écrire antédiluvienne et bruyante. L'Asie, en général, est si bien parvenue à s'infiltrer chez moi qu'elle me procure à peu près tout ce dont je crois avoir besoin, jusqu'à mes sous-vêtements. J'ai beau découper soigneusement l'étiquette, par pure lâcheté ou simple snobisme de circonstance, j'en viens parfois à me demander si je ne ferais pas mieux de me délocaliser à mon tour afin de me trouver plus près de mes fournisseurs.
En réalité, je dois me rendre à cette évidence : je m'en fous. Le consommateur aura toujours raison du citoyen plus ou moins engagé que je croyais être. Il m'est égal de savoir comment se confectionne l'objet convoité, pourvu qu'il réponde à mes exigences et à mes capacités financières. La supercherie du café équitable m'exaspère, je la retrouve chez la plupart de mes amis les bobos, eux et leurs quatre poubelles réservées au tri sélectif. Même le bio a quelque chose d'inconvenant et de suranné par ses impératifs coupables, son horizon à vocation durable, son développement factice. Lorsque je me brosse les dents, je suis ravi de commettre un acte transgressif en laissant couler l'eau du robinet. Ne pouvant plus supporter la lumière blafarde de leurs tubes à faible consommation, j'ai constitué un stock d'ampoules à incandescence qui devrait satisfaire à mes besoins au moins jusqu'en 2017. Enfin, si j'avais eu la chance d'obtenir le permis de conduire, mon choix se serait naturellement porté vers une antique et puissante cylindrée, hyper gourmande en carburant et généreuse en rejets polluants, etc.

Un jour, peut-être, mes divagations éditoriales seront devenues à ce point toxiques et irrespirables qu'il sera nécessaire de les traiter avant de les enfouir. Profondément.

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