Fin de partie (sous le gui)

Publié par Ferdy le 28.12.2011
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Que celui ou celle parmi vous qui regretterait cette année finissante se fasse connaître à l'accueil. Il lui sera proposé un bilan complet, assorti d'une série d'entretiens et quelques séances d'exorcisme.
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J'ai beau fouiller dans ma mémoire et dans les archives, 2011 ne nous aura apporté que des emmerdes. Dès le début, elle avait mal commencé pour moi. Le 2 janvier au matin, il pleuvait, le bureau de tabac le plus proche était fermé. Ma belle écharpe, disparue dans le bus du retour (vous savez, la verte en cachemire, à fines rayures jaunes et rouges qui m'avait été offerte pour Noël.) Le 4, je couvais un gros rhume qui allait se prolonger jusqu'au 14. Le 6, c'était le lave-linge qui faisait des siennes, refusant de passer en mode essorage. Etc.

Étant d'un optimisme prudent, la traditionnelle euphorie grisante qui secoue la planète à chaque nouveau passage calendaire devrait pourtant nous interroger sur le sens de ces festivités. Serait-ce la célébration d'une forme de renaissance d'une chose toujours recommencée ou une manière de se débarrasser des souvenirs amers d'une année marquée par son cortège d'infortunes et de tragédies ? Sous la monarchie, à la mort du souverain, il était de coutume de célébrer le règne promis à son héritier, par cette espèce d'exaltation brouillonne : "Le Roi est mort ! Vive le Roi !"

La Saint-Sylvestre (Sylvestre, un Pape du IVe s., peu suspect de percevoir des royalties sur le vin de Champagne, le foie gras et les cotillons), endosserait-elle, dans notre calendrier grégorien, la fonction de ces rites lointains, qui visaient à se débarrasser symboliquement des détritus de la vieille année pour se réjouir de la nouvelle ?

Je me souviens avoir passé, il y a longtemps déjà, ce réveillon du Nouvel An à Naples (Italie du sud). Ici, la coutume veut que la population jette à cette occasion par les fenêtres : des armoires, du mobilier, de l'électroménager hors d'usage... c'était très amusant, dans les ruelles étroites, de voir ainsi toute cette pluie d'objets se fracasser au sol. Je ne sais pas ce qu'il en est aujourd'hui, mais à cette époque cette tradition coûtait la vie à une petite dizaine de piétons chaque année.

En Espagne, était née en 1909, à la suite d'un surplus de la production de raisin, une invention marketing du tonnerre beaucoup plus pacifique. Elle persiste encore et consiste à avaler à chaque carillon précédant le fameux coup de minuit, douze grains de raisin. Pour des personnes comme moi, paresseux dans la mastication comme pour tout le reste, je m'étais retrouvé à Barcelone avec dans la bouche une embarrassante quantité de raisin pour commencer l'année. A Rome, enfin, (je l'avais relaté dans un blog déjà ancien), la tradition des feux d'artifices et des pétards (dont le bruit, à l'origine, était sensé faire fuir les mauvais esprits), avait surtout attiré une bande de casseurs au domicile de notre hôtesse. Ils s'en étaient pris à la porte d'entrée et à l'ascenseur vitré de son palais. Personne, parmi les invités, n'avait paru s'en émouvoir. La fête s'était poursuivie tard dans la nuit, comme si de rien n'était.

Je ne résiste pas à la tentation de citer un très court extrait d'une pièce de théâtre, certes fort éloignée du sujet qui nous préoccupe actuellement :

"HAMM – (…) Allez-vous-en et aimez-vous ! Léchez-vous les uns les autres ! (Un temps. Plus calme.) Quand ce n'était pas du pain c'était du mille-feuille. (Un temps. Avec violence.) Foutez-moi le camp, retournez à vos partouzes ! (Un temps. Bas.) Tout ça, pour ça ! (Un temps.) Même pas un vrai chien ! (Plus calme.) La fin est dans le commencement et cependant on continue. (Un temps.) Je pourrais peut-être continuer mon histoire, la finir et en commencer une autre. (Un temps.) Je pourrais peut-être me jeter par terre. (Il se soulève péniblement, se laisse retomber.) Enfoncer mes ongles dans les rainures et me traîner en avant, à la force du poignet. (Un temps.) Ce sera la fin et je me demanderai ce qui a bien pu l'amener et je me demanderai ce qui a bien pu... (il hésite) … pourquoi elle a tant tardé. (Un temps.) Je serai là, dans le vieux refuge, seul contre le silence et... (il hésite) l'inertie. Si je peux me taire, et rester tranquille, c'en sera fait, du son, et du mouvement. (...)" (1)

Au nom de mon pseudo, je vous souhaite à toutes et à tous le meilleur pour la suite.

2012 ne sera certainement pas encore une partie de franche rigolade.

Votre bulletin de vote sera pourtant plus décisif qu'une carte de vœux. N'oubliez pas que vous pouvez vous inscrire sur les listes électorales jusqu'au 30 décembre, même si nous savons bien qu'après rien ne nous est promis.

Bien à vous, fidèlement,

Ferdy.

(1) Samuel Beckett (Fin de partie, 1957, éd. de Minuit)

Commentaires

Portrait de into the wild

et puis si, comme annoncéePerplexe, 2012 est la der des der et bien nous aurons tous beaucoup moins de soucis!!

bon truc et bon machin a tous 

bizbye

Clin d'oeil 

Portrait de frabro

Ferdy cite cette formule utilisée lors de la mort des rois de France : "Le Roi est mort ! Vive le Roi !" qui, selon la tradition, exprimait que "le roi ne meurt pas en France" puisque son successeur prend aussitôt le pouvoir à sa place. Cette tradition subsiste dans la plupart des monarchies européennes où le Roi ne fait que de la figuration et n'a plus le pouvoir.

Si l'année 2011 à vu les transitions de dictatures de père en fils compromises dans le nord de l'Afrique, rien n'a ébranlé cette tradition en Corée du Nord : Kim le troisième a succédé à son père et son grand père, dans une cérémonie hallucinante d'hystérie collective que l'on à de la peine à croire naturelle...

Je n'ai guère de souvenirs  de mes 57 précédentes St Sylvestre : ce passage symbolique à réjouissance obligatoire m'a toujours semblé dérisoire, car la joie y est aussi forcée que les lamentions des pleureuses de Pyong Yang. Sans doute cette nuit sera-t-elle illuminée par les incendies de voitures, les comas éthyliques, les Ts et les accidents de la route au petit matin...

Rien, de nouveau sous la Lune.

J'attends donc le printemps 2012 pour voir si des fois une sorte de renaissance serait possible, à minima un peu d'espoir de justice sociale.

Que la St Sylvestre vous soit douce, sortez couverts, et n'oubliez pas de soufflez dans le ballon avant de reprendre la route.

François