Les assistés en ligne de mire

Publié par Ferdy le 15.06.2011
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Il est tout de même assez inquiétant de constater qu'un terme aussi respectable, porteur d'un honneur autant collectif qu'individuel ait pu, en l'espace de quelques mois, basculer de l'engagement solidaire qu'il a toujours incarné vers une suspicion détestable. Toutefois, si le terme d'assistance est parvenu à se maintenir convenablement dans le champ sémantique, celui d'assisté désigne désormais un parasite social, un profiteur cupide et fainéant, vivant aux crochets de la société.

C'est ainsi que le Figaro Magazine n'a pas hésité à consacrer huit pages, dans son édition datée du 4 juin 2011, à ce sujet hilarant : "Enquête sur la France des assistés, ces allocs qui découragent le travail" (*). Les allocataires du RSA y sont présentés sous la caricature de potentiels délinquants avachis sur leur canapé. Mais le pire se trouve plus évident encore dans la propagande visuelle : en couverture, un homme quelconque affalé dans un hamac tricolore. Il n'y manquait que le pétard et le pack de Kro, face à l'écran plat. Le régime de Vichy n'aurait pas fait mieux pour ostraciser les indésirables. Les abonnés au Fig-Mag n'ont peut-être pas de temps à perdre, et une image aussi subtile les aura-t-elle confortés dans leur conviction intime. Sales pauvres !

Les assistés, ce ne sera bientôt plus seulement un problème mais un programme. Bâtir une campagne électorale sur le rejet, en désignant les plus démunis comme la source des déficits des comptes publics, c'est accuser le thermomètre quand la fièvre est devenue incontrôlable.

Parmi tous les hommes politiques qui gouvernent ce pays depuis une cinquantaine d'années, aucun n'aura eu le courage de reconnaître ses erreurs. La faute revient inévitablement à pas de chance soit, traduit en langage d'élite, au contexte économique international défavorable, sans que jamais leur prise de décisions n'ait pu participer à la faillite. Le désastre planétaire, qu'il soit d'ordre climatique, financier, humanitaire, sanitaire ou systémique serait ainsi, selon nos dirigeants, la conséquence d'événements imprévisibles fâcheux venus contrarier leurs promesses électorales au début de leur mandat. La faute à pas d'chance.

La stigmatisation des allocataires de toute obédience (RSA, chômeurs, travailleurs précaires, handicapés, futurs retraités centenaires, etc.) permet de désigner une population assez vaste d'assistés qui aurait en commun cet irresponsable attrait pour l'oisiveté, les petites combines et la fraude. Ce n'est plus un programme mais un réquisitoire. Dans l'impuissance où se trouvent nos élites, de gauche comme de droite, à garantir une solidarité nationale qui permette à chaque individu un développement harmonieux, l'égalité dans le partage des ressources semble être une fonction désactivée du pouvoir.

Dans le camp de l'UMP, l'abandon du bouclier fiscal s'accompagne d'un savant allègement de l'ISF, et le PS ne brille pas spécialement dans ses timides propositions pour relever le défi des inégalités sociales.
C'est un peu comme si nous devions nous prononcer prochainement pour l'élection d'un syndic qui devrait choisir entre la réfection de la toiture ou l'aménagement des espaces verts, sans trop se soucier du confort des locataires.

Compte-tenu de l'impuissance des gouvernements successifs à gérer la faillite globale, ne serait-il pas temps de transformer tous nos beaux palais nationaux en musées, en hôtels populaires, en lieux d'échanges, en finir une fois pour toutes avec ce faste pompeux qui accompagne chaque petit ministre intérimaire, pour investir dans l'éducation, la justice, la santé, l'intégration, la sécurité ou le logement.

La démocratie n'est pas une marchandise comme une autre. Lorsqu'il n'y a plus de responsables, on ne trouve alors que des victimes. Il serait effarant d'invoquer leur nombre croissant pour justifier des plans d'austérité à leur encontre. Réhabiliter l'homme et la femme dans leur dignité, afin de réveiller la conscience de chacun envers ses droits et ses devoirs, participerait peut-être à réanimer l'esprit de solidarité nationale.

(*) article signé par cette très fine analyste des problèmes sociaux, Sophie Roquelle, accessoirement épouse d'un influent patron d'un groupe du CAC-40. Au Figaro, on ne lésine pas sur le recrutement des pigistes...