Pénalisation et stigmatisation : la double peine ?

Publié par Bruno Ognantan Ottimi le 09.10.2009
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Discrimination ! Exclusion ! Stigmatisation, ça on connaît ! On est habitué ! Mais pénalisation-là, c’est quoi encore ?
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La pénalisation de la transmission du virus du sida fait couler beaucoup d’encre depuis un moment. Du Canada à la Suisse, en passant par la France et même l'Afrique, les procès se multiplient et, avec eux, les condamnations judiciaires de séropositifs ayant “volontairement” transmis le virus à leurs partenaires au cours de rapports sexuels. Elle fait aussi parler d’elle dans les communautés migrantes où elle pourrait être comme la peine bis qui viendrait ajouter à celle, lourde, qu’est déjà la stigmatisation, trop présente dans les communautés subsahariennes ou caribéennes.

Ici et là-bas, la stigmatisation et la discrimination des personnes séropositives sont très fortes et liées aux idées reçues sur le VIH/sida. La famille, les amis, lorsqu’ils apprennent la séropositivité d’un des leurs (que le concerné le révèle lui-même ou que cela soit dû à une “fuite”), ne tardent pas à le mettre au banc de la communauté. Au sein de la famille, dans les maquis, les N’Gandas, les propos sont durs et secs : “Tu l’as cherché ! Tu l’as trouvé !”, “Tu n’as plus ta place parmi nous !”, “Et puis qui va ramener ton corps au pays ?” Cette situation est ressentie d’autant plus douloureusement qu’elle est infligée par les propres membres de sa communauté, par les siens, par ceux-là même qui sont censés comprendre, entourer, consoler pour alléger le désarroi de la personne.


Il en résulte, que très souvent, la peur de la réaction que suscitera l'annonce, dissuade nombre de personnes touchées de révéler leur séropositivité à leur entourage, surtout dans une relation de couple où cette annonce peut entraîner des accusations d’adultère, des déchirements et la séparation. Ne pouvant révéler son statut, ne pouvant se soustraire aux rapports sexuels avec son partenaire et ne pouvant surtout imposer ou négocier avec lui l’usage d’un outil de prévention, la personne a lourdement conscience d’exposer son partenaire à un risque de contamination, mais la peur du rejet est la plus forte : autant lui faire prendre ce risque que de prendre le risque de se faire démasquer et “chasser”. Dans ces conditions, le virus peut se propager allègrement et, au final, ce sont des personnes contaminées qui, au lendemain de leur test, ne comprenant pas comment ils ont eu “ça”, ne se privent et ne se priveront pas de pointer un doigt accusateur sur leur partenaire pour que “justice” soit faite. Cette justice, pour nous, souvent, c’est le ban de la communauté. Ce sont les “Tu as appris que...” Avec la mode de la pénalisation, certains d’entre-nous s’abstiendraient-ils de se laisser tenter par l’aventure des dommages et intérêts et autres sanctions pénales ? La “justice” quittera donc les familles, maquis et N’gandas pour s’installer dans les palais de justice. Alors que les épées de Damoclès que sont la stigmatisation et le rejet de la communauté ne manqueront pas de s’abattre sur le prétendu “coupable”, c’est la sanction judiciaire, comme une double peine, qui viendra s’ajouter au lot de malheurs et de déconvenues qu’entraîne avec lui ce maudit virus. C’est quoi même ! Ce virus ne suffit-il pas comme ça à me pourrir la vie pour que la prison veuille aussi s’en mêler ?

Ce billet d'humeur est paru dans le dernier numéro de Remaides - Septembre 2009