Torquemada contre les sex-toys

Publié par Ferdy le 07.03.2012
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Faut-il que nos députés soient encombrés de fantasmes tordus pour vouloir protéger les enfants d'un très hypothétique accès à des accessoires aussi innocents que ces charmants petits canards vibrants, ces amusantes menottes roses et autres godemichés colorés ?
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En application de la loi du 5 mars 2007, le tribunal correctionnel a condamné symboliquement ce discret love shop parisien, le "1969 – Curiosités désirables", qui avait eu la mauvaise idée de s'installer, en 2008, à 90 mètres de l'école élémentaire et du collège catholiques Saint-Merri (4e arrondissement).

Selon les plaignants, la Confédération nationale des associations familiales catholiques (CNAFC) et l'association CLER Amour et Famille (cette dernière luttant entre autres contre l'avortement et l'homosexualité, rapport au péril démographique qui, selon elle, menacerait la France), les sex-toys ludiques relèvent de l'interdiction qui frappe le commerce des objets pornographiques au même titre que les vidéos et les revues réservées aux adultes. Ce que la loi, durcie en 2007, interdit à moins de 200 mètres d'un établissement d'enseignement.

Ce jugement, prononcé le 29 février 2012, et largement relayé par les journaux télévisés avec toute la superficialité requise, a occulté le seul véritable débat que cette condamnation aurait dû susciter.

Dans le flou juridique qui plane encore entre l'objet érotique autorisé (lingerie fine et suggestive, huiles de massage, beaux livres de nus, etc.) et le délit du gadget pornographique incriminé, l'interprétation de la loi offre une voie royale à la censure, dont l'obscur anachronisme ne lasse pas de surprendre en ce début du 21ème siècle.

La distance de deux cents mètres, par exemple, est-elle suffisamment dissuasive pour assurer un cordon sanitaire à la hauteur de cet enjeu ?

Déjà en 1997, lors d'une première tentative de réforme (inaboutie) de la loi, Robert Badinter mettait en garde ses collègues sénateurs : "Si nous prenons la carte d'une ville et que nous traçons un périmètre d'un tel rayon autour de chaque établissement [d'enseignement, NDR], nous couvrons toute la ville !"

La mairie de Paris n'est pas en reste, qui préempte les baux commerciaux des sex-shops qui se libèrent rue Saint-Denis, officiellement au prétexte de la diversité du négoce, mais dont la détermination à délocaliser vers la périphérie ces vitrines aux néons trop explicites paraît plus crédible. (1)

L'autre soir, j'écoutais sur Inter un micro-trottoir (sic) consacré à ce sujet majeur. Une auditrice témoignait de son possible embarras si son fils, âgé de sept ans, avait un jour l'outrecuidance de lui demander à quoi servent ces petits objets colorés que l'on trouve en vente libre aux Galeries Lafayette ou dans le catalogue des 3 Suisses. Sans vouloir interférer dans l'éducation de ce jeune homme trop curieux, ne serait-ce pas l'occasion pour cette dame un peu coincée d'aborder avec légèreté le sujet de la sensualité et du plaisir qui ne manquera pas de s'imposer, quand elle s'y attendra le moins, dans le développement libidinal de ce jeune adulte en formation.

Car, que cette auditrice le veuille ou non, la patiente découverte des mystères de l'existence aura tôt fait de révéler à son gamin que les filles ne naissent pas dans les roses, ni les garçons dans les choux.

Sans douter de l'intérêt sincère porté à la protection des mineurs par ces associations catholiques, tandis que ni la paroisse, ni les parents d'élèves, ni les établissements scolaires concernés n'aient jamais eu à s'émouvoir de l'existence de ce petit love shop tranquillement bobo et à la vitrine si discrète, nous n'aurons pas la cruauté de leur rappeler le silence coupable de plusieurs hauts dignitaires ecclésiastiques, couvrant des prêtres accusés d'actes pédophiles autrement criminels, dont certains ont pu être jugés et condamnés.

L'obscur puritanisme qui traîne devant les tribunaux le simple commerce de l'érotisation du divertissement, très en vogue partout dans le monde parmi les adultes consentants, au prétexte d'une loi d'arrière-garde, dénote d'une hypocrisie de jésuites à l'ère de l'Internet et de l'appât pornographique qui dope l'audimat.

Cette histoire aberrante se conclut par la décision du gérant de faire appel, mais qui annonce déjà la fermeture définitive de son établissement et le licenciement de ses trois salariés.

Il devra verser un euro symbolique au titre des dommages et intérêts à l'association CLER Amour et Famille qui en réclamait 10 000 !

[Tomás de Torquemada (1420-1498), premier Grand Inquisiteur est devenu un symbole des horreurs de l'Inquisition espagnole, de la bigoterie et du fanatisme cruel qui envoya au bûcher des milliers de personnes au principe de l'intolérance religieuse].

(1) Sex-shops, une histoire française – Baptiste Coulmont, sociologue, maître de conf à l'université Paris VIII (Ed. Dilecta).

Commentaires

Portrait de rickhunter

mais les élèves en apprendront beaucoup plus sur le sexe dans l'école catholique elle-même, enfin !