Un été 2011 (# 06)

Publié par Ferdy le 03.08.2011
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Le mauvais grain et la précieuse ivraie...
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Planquées dans les interstices, ignorées des passants, méprisées des riverains, habilement camouflées dans le décor, résistantes à toute forme de domestication ornementale, rebelles et forcenées, rustiques et banales, coriaces et discrètes, menacées par toutes les pressions exercées par l'activité humaine, le changement climatique et les déjections canines, les plantes sauvages urbaines ne se laisseront pas crever sans avoir pu au préalable lancer leur propre mouvement d'indignation.

Certes, celui-ci n'en est encore qu'aux balbutiements. Car comment fédérer des forces aussi variées, disséminées par le vent et les aléas d'un nomadisme contraint, sans autre moyen qu'un opiniâtre, ancestral et farouche instinct de survie pour lutter contre les promoteurs, urbanistes herbicides et autres prédateurs du macadam ? Les "mauvaises herbes", c'est tout le prolétariat de la diversité végétale de nos villes. Coincées entre le bitume et l'asphalte, le béton et les pavés, condamnées à la clandestinité mais robustes, réfugiées sur des espaces marginaux et infimes qui se raréfient chaque jour davantage pour laisser place à des trottoirs glissants, à des rues ou à des zones piétonnes rutilantes, tristement jalonnées par ces cubes de calcaire fournis par le groupe J.-C. Decaux, le Ceaucescu français du mobilier urbain, comme autant de mouroirs fleuris qui condamnent la folle et misérable biodiversité à la détention provisoire.

L'aseptisation des centres-ville s'inscrit dans un programme de nettoyage génétique visant à éradiquer les traces d'un passé encore récent où prospéraient gaiment les pissenlits et les pâquerettes, les violettes et autres cymbalaires des murailles. Cette résistance sauvage incarne aujourd'hui l'ultime rempart, les dernières barricades édifiées contre l'ennui. Dans chaque espace dédié à la circulation, au commerce ou à l'habitat, c'est un herbier qu'on assassine.

En dépit de cet acharnement exterminateur, les botanistes sont parvenus à recenser plus d'un millier d'espèces sauvages dans la région parisienne. Intra-muros, parmi les plus communes, une centaine d'entre elles tente de se maintenir vaille que vaille. Au pied des murs ou des arbres d'alignement, camouflées dans les plates-bandes, sous les haies, au bord des rues, planquées dans les ronds-points et sous les talus, etc.

Aussi, le Muséum national d'histoire naturelle, soucieux de réaliser un recensement détaillé de ce presque rien agonisant, (mais évidemment dépourvu des moyens financiers nécessaires à une entreprise aussi ambitieuse), invite chaque riverain qui le souhaite à observer son quartier ou tout arrondissement de son choix, afin de collecter les données utiles à cet inventaire. Notons au passage que même l'absence avérée de toute présence végétale saura enrichir la recherche.

Dans un premier temps, cette opération lancée en 2011 ne concerne que Paris et la région Ile-de-France. Elle sera progressivement étendue, dès 2012, à l'ensemble du territoire. Nul besoin d'être botaniste pour y participer, il suffit de s'inscrire auprès du collectif Sauvages de ma rue, associé à Tela Botanica et Vigie Nature.

Un petit guide illustré (1) saura pallier à toutes les lacunes d'un citadin qui n'a jamais vu un coquelicot ou un plant d'orties en vrai. Pour participer, il suffit de disposer d'une connexion Internet, du navigateur Firefox de préférence et se laisser guider après inscription par le protocole, rigoureux comme tout relevé scientifique mais très simple d'utilisation.

Pour les plus chanceux d'entre nous qui cumuleraient à la fois le doux privilège de ne pas partir en vacances cet été, qui n'aiment rien tant que Paris au mois d'août et qui, dans une sorte de félicité extravagante, se trouveraient aussi les heureux géniteurs d'un ou de plusieurs enfants accros à leur console de jeux, ce sera l'occasion de faire d'une pierre deux coups : un geste pour la Cité et sortir la progéniture de sa torpeur.

Enfin, ne négligeons pas les innombrables lieux de drague (où l'attente peut parfois se révéler ennuyeuse à la longue), friches industrielles, terrains vagues, portions de trottoirs ou autres ronds-points périphériques qui sauront transformer un morne après-midi estival en une originale expédition écocitoyenne.

(1) Guide des plantes sauvages des villes de la région parisienne, de Nathalie Machon (éd. Muséum national d'histoire naturelle  / Le Passage, 10 €)