Un problème temporaire

Publié par Ferdy le 21.03.2012
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"Désolé, une erreur s'est produite. Veuillez réessayer ultérieurement". Je crois me souvenir que ce fut le message prononcé par la sage-femme à l'oreille de ma mère lors de ma naissance. C'était un mardi, à huit heures quarante-cinq. Il pleuvait sur le bois de Vincennes.
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Depuis, ce message me poursuit jusque dans ma vie la plus intime. Il traduit et résume l'ensemble de mon parcours, précède chaque occasion miraculeuse que je rencontre afin de me surpasser, conclut chaque tentative d'accéder à une existence moins chaotique.

"Une erreur s'est produite. Veuillez réessayer ultérieurement".

Issu d'une famille traditionnellement athée, mes sens furent délicieusement perturbés dès avant la puberté par ces visites régulières et clandestines que je m'offrais à l'église (déjà, ce sens de la transgression...)

Elles me faisaient confondre la quête mystique et la trouble fascination du mystère que j'éprouvais devant leur Christ presque totalement dénudé, cloué au sommet d'une croix, les yeux dans le vague, couronné d'épines, auréolé de béatitude et de souffrance, inaccessible et fatal. Abandonné du Père ou simple erreur système ?

"Contenu inaccessible. Veuillez réessayer ultérieurement".

Puis, dans l'ordre chronologique, ce fut l'adolescence. Je devinais que l'attrait encore assez brouillon que j'éprouvais pour le plus beau de mes camarades, un certain Nicolas, se trouverait assorti d'un interdit qui allait compliquer le fil ordinaire de mon existence.

Involontairement, j'avais opté pour une orientation sexuelle largement minoritaire, condamnée dans mon charmant petit pays par l'article 330 du code pénal, et inscrite à la liste des maladies mentales de l'OMS.

En apprenant la nouvelle, personne dans mon entourage familial n'eut l'idée de me mettre à la porte, ni à l'asile. Je n'eus pas à livrer de bataille acharnée. Il n'y eut aucun pleur, aucun combat. Ou, comme dit le proverbe : à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.

Je profitai de l'air de liberté qui soufflait dans ces années-là pour jouir de mon corps avec modération. Mais avec quelle candeur je tombais amoureux du premier venu en ce temps-là...

"Patientez quelques instants et réessayez !"

L'image obsédante du crucifié ténébreux, couronné d'épines, s'effaça progressivement pour laisser place à toute la diversité olfactive et palpable du corps masculin.

Ma famille avait peut-être une vision assez permissive de l'intime, elle n'en demeurait pas moins effrayée à l'idée du scandale qui pouvait rejaillir sur elle. Sitôt que le mystère lui fut révélé, il me fut interdit de recevoir qui que ce soit au domicile familial, à l'exception des quelques jeunes filles choisies encore admises à venir prendre le thé dans le salon, et fumer le pétard dans ma chambre.

En contrepartie, il me plaisait d'écouter Barbara à fond les manettes.

Si tu es l'homme, cet homme
Qui ressemble à mon homme,
Mon homme, en somme,
Si tu es l'homme que j'espère,
Si tu es l'homme que j'attends,
Oh, tu devrais venir plus vite,
Tu devrais venir maintenant.
Si tu es l'homme après qui
Aucun autre homme dans ma vie
Ne sera plus jamais un homme,
Ni dans mon cœur, ni sur ma peau,
Oh, tu devrais venir plus vite,
Oh, tu devrais venir plus tôt
Et tant pis, tant pis
Si tu n'es pas beau.


"Désolé, une erreur s'est produite..."

Voilà combien de jours, voilà combien de nuits,
Voilà combien de temps que tu es reparti,
Tu m'as dit cette fois, c'est le dernier voyage,
Pour nos cœurs déchirés, c'est le dernier naufrage,
Au printemps, tu verras, je serai de retour,
Le printemps, c'est joli pour se parler d'amour,
Nous irons voir ensemble les jardins refleuris,
Et déambulerons dans les rues de Paris (...)


"Veuillez réessayer ultérieurement".